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jeudi 18 septembre 2025

Promis le ciel, un film de Erige Sehiri

La compétition du festival Paysages de cinéastes ne comportait qu’un seul second long-métrage, celui de la réalisatrice franco-tunisienne Erige Sehiri avec qui on avait fait connaissance en septembre 2022, à ce même festival, où son premier film, Sous les figues, racontant la naissance de relations amoureuses dans la jeunesse rurale tunisienne pendant la récolte estivale, avait été projeté en compétition. un portrait sensible de la jeunesse rurale. Le film avait été aussi présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes et était devenu la candidature officielle de la Tunisie aux Oscars 2023.

Promis le ciel a ému le public comme les jurés, surtout les membres du Jury des Jeunes qui a été sensible à sa dimension chorale et à l’intention de la réalisatrice de rendre visibles les invisibles et lui a décerné son Prix.
Marie, pasteure ivoirienne et ancienne journaliste, vit à Tunis. Elle héberge Naney, une jeune mère en quête d’un avenir meilleur, et Jolie, une étudiante déterminée qui porte les espoirs de sa famille restée au pays. Quand les trois femmes recueillent Kenza, 4 ans, rescapée d’un naufrage, leur refuge se transforme en famille recomposée tendre mais intranquille dans un climat social de plus en plus préoccupant.
Tout a commencé par la rencontre avec une journaliste ivoirienne basée à Tunis dont Érigé Sehiri a appris au fil des entretiens, et par hasard, qu’elle exerçait un second métier, celui de pasteure évangélique et qui venait de créer sa propre église avec l’objectif de soutenir les femmes au maximum. Elle a inspiré le personnage de Marie (Aïssa Maïgaqu’on voit diriger son église comme une entreprise.

On pense que les mouvements migratoires se font essentiellement depuis le continent africain par bateau vers l’Europe alors qu’ils n’en représentent que 20%. La migration interne à l’Afrique est donc très importante (pour 80 %), nous rappelant combien la Tunisie fait partie de ce continent africain. Il a donc semblé essentiel à la réalisatrice de revendiquer l’identité africaine de la Tunisie qui fut tant blessée ces dernières années, surtout la communauté subsaharienne qui y vit. On peut en effet être musulman, arabe et africain.

Promis le ciel raconte plusieurs parcours individuels de déplacement qui sont tous la conséquence d’un énorme espoir. La réalisatrice est partie de la chanson éponyme de Delgres pour écrire le scénario de ce film, avec Anna Ciennik et Malika Cécile Louati. Ce groupe de blues créole ou caribéen français s’est formé en 2016, et son nom est un hommage à l'anti-esclavagiste antillais Louis Delgrès. En écoutant leur chanson à la fin du film on ne peut que constater que les paroles résument totalement l’ensemble et se réjouir que le groupe Delgres ait donné l’autorisation d’utiliser son titre. « On m’a promis le ciel, en attendant je suis sur la terre, à ramer. » La promesse du ciel, a déclaré la réalisatrice, fait référence aux promesses du droit, de la solidarité, des parents à leurs enfants, des gouvernements à leurs citoyens, de la religion, de ce qui nous attend ailleurs, demainLes paroles de la chanson sont tragiques et pourtant elles insufflent de l’énergie, à l’instar de ces femmes qui, malgré la précarité de leur situation nous communiquent leur détermination.

Déjà en 2016, à l’occasion de recherches pour un court métrage documentaire Erige Sehiri avait rencontré des jeunes d’Afrique subsaharienne venus poursuivre leurs études en Tunisie, et ce bien avant la vague migratoire vers l’Europe qui a suivi. Ils étaient sénégalais, congolais, camerounais, ivoiriens, toutes et tous issus de différentes classes sociales. C’est parmi eux qu’évolue le personnage de Jolie (Laetitia Ky), qui est la seule des quatre femmes à avoir des papiers en règle. Mais, étant concentrée sur ses études elle ne s’identifie pas à la communauté dans laquelle elle vit, jusqu’à ce qu’elle subisse sans aucune raison apparente d’horribles violences policières. Laetitia Ky est actrice autant qu’artiste. Vivant à Abidjan, elle est connue pour ses sculptures capillaires que l’on peut voir sur Instagram. Elle utilise ses cheveux comme un médium artistique et militant, transmettant des messages sur l’estime de soi, l’égalité des genres et la beauté noire.

Hormis pour le personnage de Marie, interprétée par une actrice française d’origine malienne, la réalisatrice a fait appel à des comédiennes toutes ivoiriennes, ce qui ajoute de la crédibilité à l’interprétation, et en particulier pour le personnage de Naney (Debora Lobe) qui incarne le destin de toutes ces femmes, venues seules en Tunisie, ayant dû laisser leurs enfants en Côte d’Ivoire … et pour cause puisque c’était exactement sa propre situation, refusant de gagner sa vie comme femme de ménage ou nourrice, fréquentant aussi des Tunisiens, parlant un peu cette langue, dégageant à la fois force et fragilité, et un humour à toute épreuve … et sur le point réellement de s’engager dans la traversée.

La fillette, Kenza, une orpheline d’origine incertaine, mais sans doute née en Tunisie, est un peu l’enfant de tout le monde. On la découvre dès le début du film en mémoire d’une petite fille de cinq ans qui avait péri lors d’un naufrage en Méditerranée. Sa présence parmi les trois femmes adultes va faire office de carburant pour les faire évoluer, en particulier Marie qui souhaite la garder à ses côtés dans son église, et Naney qui se verrait bien partir avec elle pour faciliter son insertion en Europe. L’enjeu est important et inquiète Marie qui interroge Noa (Blamassi Touré), son ami et guide spirituel : Doit-on la remettre aux autorités pour qu’elle soit reconnue pupille de l’Etat ou la garder dans la communauté de l’église de la Persévérance ?

Blamassi Touré est réellement non-voyant, militant des droits humains dans la réalité, vivant en Tunisie depuis 15 ans. Ce personnage amène une référence biblique. Il connait cette femme mais mesure aussi les enjeux politiques et cherche à la protéger. Garder cet enfant représente un danger, dans la mesure où les églises évangéliques sont régulièrement accusées de trafic d’enfants vers la Méditerranée, et sont considérées comme des foyers de migration illégale. Kenza est donc un risque pour Marie, un enjeu pour Naney, une consolation pour Jolie, si bien qu’on oscille régulièrement entre solidarité et individualité, et entre dépendance et liberté. J’ai été étonnée par la réponse de l’enfant à Marie, dans les premières minutes, à la promesse : On va bien s’occuper de toi … Je veux pas répond Kenza. Elle exacerbe sans doute aussi plus tard les interrogations de Naney sur sa capacité à être une bonne mère avec sa fille restée au pays.

Le spectateur comprend nettement que, tout en vivant ensemble, Marie, Naney et Jolie ont des objectifs différents. Cette dernière ne se sent pas très à l’aise avec les deux autres, un peu emprisonnée, y compris économiquement, et aspire à plus d’indépendance. Marie est déjà (bien) installée dans son nouveau pays, la Tunisie, tandis que Naney, en transit, est indécise face à son avenir - rester ou traverser.

Hormis Noa, les hommes qui gravitent autour de ces trois femmes et de la fillette, sont rarement positifs, à commencer par les policiers. Le bailleur du local loué pour servir d’église (Mohamed Grayaâ, très grand acteur tunisien) campe un propriétaire comme ceux qui louaient des logements à des Subsahariens sans se poser trop de questions, jusqu’au jour où les autorités du pays ne le tolèrent plus et qu’ils se sentent eux-mêmes menacés. L’ami de Naney, Foued (Foued Zaazaa) joue double jeu, profitant de la moindre situation avec pour seule excuse d’être chômeur et de subir la crise économique. La scène de la trotinette, soit disant offerte à Naney, est révélatrice de son opportunisme.

On s’attache à chacune, bien qu’aucune ait des objectifs différents. Plusieurs très jolies scènes mettent en lumière leur complicité. Celle du bain de Kenza, au tout début, la fête d’anniversaire de Naney, mais aussi un match de football où Marie s’avère excellente, accompagnée par une musique très bien choisie. Je signale à cet égard que la bande-son du film est signée par Valentin Hadjadi.

J’ai aussi été sensible à la photo réalisée par Frida Marzouk (qui a travaillé avec Abdellatif Kechiche pour La vie d’Adèle en 2013). La ville de Tunis est souvent floutée, ne prenant jamais le pas sur les actrices, et permettant aussi de conserver un certain mystère sur les lieux qui ont été filmés sans compromettre leur sécurité future.

On comprend mieux la vie de ces communautés subsaharienne vivant dans des mondes parallèles, avec leurs propres bars (qu’ils appellent les maquis comme on l’entend dans le film), leurs discothèques, leurs commerces et leurs églises, installées dans des maisons d’habitation, où les fidèles ne vont pas seulement pour prier mais surtout pour se protéger de la réalité hostile qui les entoure.

Je me suis réjouie d’apprendre que Promis le ciel fut le premier film tunisien à faire l’ouverture d’Un certain regard à Cannes en mai dernier.

Pourtant, même si c’est un hasard du calendrier, il fait hélas écho aux propos du président de la République de Tunisie sur les migrants. Ce pays dont tant d’émigrés vivent à l’étranger est incapable de traiter dignement les migrants qui arrivent sur son territoire. La réalité a rattrapé la fiction après une vague de rafles et d’arrestations et pourtant tout en se rapprochant d’un réalisme documentaire Promis le ciel réussit à demeurer un film de fiction narrative, composé de beaux portraits de femmes dans une mise en scène profondément humaine, et résolument intemporelle.

Au-delà de son travail de cinéaste, Erige Sehiri défend la liberté d’expression et l’éducation aux médias. Elle est cofondatrice du média indépendant Inkyfada et de l’ONG tunisienne Al Khatt. Elle est également membre fondatrice du collectif Rawiyat – Sisters in Film, qui soutient les femmes cinéastes du monde arabe et de sa diaspora.

Promis le ciel, un film de Erige Sehiri
Scénaristes : Erige Sehiri, Anna Ciennik, Malika Cécile Louati
Avec Aïssa Maïga, Laetitia Ky, Debora Lobe, Mohamed Grayaâ, Blamassi Touré, Foued Zaazaa …
Valois de la mise en scène, Festival du Film Francophone d’Angoulême 2025
Valois de la meilleure actrice pour Debora Lobe Naney, Festival du Film Francophone d’Angoulême 2025
Valois du scénario, Festival du Film Francophone d’Angoulême 2025
Prix du Jury de la Jeunesse Du festival Paysages de cinéastes 2025 
Date de sortie : 26 novembre 2025
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Rappel du palmarès du 23ème festival Paysages de cinéastes

Compétition des Longs métrages
Prix du Grand Jury, Prix du Jury des Femmes et Prix du Public: Sorda de Eva Libertad Garcia
Prix du Jury de la Jeunesse : Promis le ciel de Erige Sehiri

Compétition Jeune Public : Olivia de Eva Libertad Garcia

Compétition des Courts métrages
Prix des Scolaires (2 films ex aequo) : Poxo Peanuts de Etienne Grignon et Les Mousses de Guillaume Bailer-Schmitt
Prix du public : Turnaround de Aisling Byrne

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