
Autre premier film particulièrement bien construit, avec un subtile dosage des émotions, Des preuves d’amour a été découvert à Cannes en mai dernier au cours de la Semaine de la critique. Il aurait pu remporter les suffrages des jurés et du public du 23 ème festival Paysages de cinéastes si la compétition n’avait pas été aussi intense.
Céline attend l'arrivée de son premier enfant. Mais elle n'est pas enceinte. Dans trois mois, c'est Nadia, sa femme (Monia Chokri), qui donnera naissance à leur fille. Sous le regard de ses amis, de sa mère, et aux yeux de la loi, elle cherche sa place et sa légitimité.
Alice Douard filme avec tendresse une maternité hors normes. Elle a raison de nous rappeler, douze ans après l’adoption de la loi autorisant le mariage de personnes de même sexe (avec un scrutin s’établissant à 331 pour et 225 contre), que la vie n’a pas été immédiatement rose pour ces couples, dont le nombre de célébrations officielles dépasse aujourd’hui largement le nombre de 70 000. Néanmoins, et même si ce n’est pas clairement souligné, l’action se passe en 2014.
Voilà pourquoi la réalisatrice donne parfois dans le documentaire, ou du moins dans le film historique, nous rappelant que la PMA n’était alors pas autorisée en France même si cela semblait « aller de soi » pour beaucoup de monde dans l’entourage des deux jeunes femmes. Il fallait donc disposer également d’un budget pour le faire à l’étranger.
La PMA n’est autorisée pour les couples homosexuels de femmes que suite à la loi de bioéthique de 2021, qui a ouvert l'accès à toutes les femmes, célibataires ou en couple, qu'elles soient hétérosexuelles ou homosexuelles. Elle a aussi prévu que la partenaire qui n’a pas accouché puisse être reconnue légalement comme mère, à condition de réaliser une reconnaissance conjointe anticipée, c'est-à-dire faite avant ou après la conception de l'enfant, mais avant la naissance, auprès des autorités compétentes.
Revenons en 2014 il fallait alors procéder à une procédure d’adoption avec tiers déclarant pour que l’épouse qui n’en était pas la conceptrice soit reconnue comme étant aussi parent de l’enfant, ce qui est une formalité plutôt complexe et qui va coûter tout de même quelque 2500 euros d’honoraires d’avocate pour augmenter les chances. Je me permets de signaler que dans l’hypothèse d’une naissance au sein d’un couple homme-femme la paternité du mari ne fait aucun doute a priori aux yeux de la loi et que si ce n’est pas le cas, l’enfant ne pourra ultérieurement porter le nom de son père véritable qu’après un déni de paternité (encore faut-il que le mari, supposé être le père légal, accepte de faire cette démarche).
Des preuves d’amour est un titre qui fait références à ces témoignages que la loi exige avant d’accorder l’adoption et on verra combien sera décisif celui de la mère (biologique) de Céline, avec qui elle entretient des relations compliquées, magnifiquement interprétée par Noémie Lvovsky (qui mérite largement un César pour sa performance de mauvaise mère malgré tout sincère et aimante). Monia est dentiste, mais évidemment, le métier de DJ qu’exerce Céline n’est pas très conformiste. Inversement, être la fille d’une très célèbre pianiste pourrait faciliter les choses. Ces situations donneront l’occasion d’entendre toutes sortes de musiques, celles électroniques de la DJ, et les morceaux classiques de la pianiste alors que les deux femmes sont attentives aux accords et aux dissonances.
A noter que le titre international est Love Letters, qui est un peu plus précis sur ce dont il s’agit que l’intitulé français, à propos des quinze lettres attestant de son lien à sa fille que Céline doit réunir au cours de démarches admistratives, qui dureront un an, presque la durée d’une gestation.
Si on apprend ou révise nos connaissances juridiques (par exemple à propos du nom marital qui n’est qu’un droit d’usage, ce qui signifie qu’on ne change absolument pas de patronyme en se mariant), on suit avant tout une très belle histoire d’amour qui d’emblée s’inscrit dans la joie et un certain humour car le couple n’est pas exempt des affres de la maternité. Ni des commentaires souvent maladroit de leur entourage, surtout de la part de ceux qui ont des difficultés à enfanter.
Des preuves d’amour est indéniablement un film politique mais qui devient un hymne tragi-comique à de multiples formes de sentiments et où certaines répliques jaillissent comme des perles : Il faut porter en soi un chaos pour mettre au monde une étoile dansante.
Quelle bonne idée de nous dispenser de la scène d’accouchement qui, certes n’aurait rien apporté de plus et qui a été évitée au profit d’une superbe moment de peau à peau entre Céline et le bébé.
Des preuves d’amour, un film d'Alice Douard
Scénaristes Julie Debiton, Alice Douard et Laurette Polmanss
Avec Ella Rumpf (Céline Steiner), Monia Chokri (Nadia Hamdi), Noémie Lvovsky (Marguerite Orgen), Jeanne Herry l’avocate) …
Mention Spéciale au Festival de Zurich en 2025 et une nomination pour la Golden Camera et la Queer Palm au Festival de Cannes en 2025. Il a également été présenté à la Semaine de la Critique à Cannes, et le scénario a reçu le Prix du public au Festival CinePride en 2024
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Rappel du palmarès du 23ème festival Paysage de cinéastes
Compétition des Longs métrages
Prix du Grand Jury, Prix du Jury des Femmes et Prix du Public: Sorda de Eva Libertad Garcia
Prix du Jury de la Jeunesse: Promis le ciel de Erige Sehiri
Compétition Jeune Public : Olivia de Eva Libertad Garcia
Compétition des Courts métrages
Prix des Scolaires (2 films ex aequo) : Poxo Peanuts de Etienne Grignon et Les Mousses de Guillaume Bailer-Schmitt
Prix du public: Turnaround de Aisling Byrne
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