
D'abord parce que c'est un film qui ne triche pas. Il commence sur une scène de maquillage des deux acteurs principaux, signifiant par là que s'ils vont endosser un rôle ils ne prétendront jamais être Simone, pour Marina Foïs, pas davantage qu'Yves pour Roschdy Zem.
C'est si bon est la chanson qui accompagne ce moment et Marina, alias Simone, précisera dans l'interview qui suivra qu'elle n'a pas été écrite pour l'acteur comme beaucoup de gens le supposent mais qu'il s'agit d'une vieille chanson française. On devine à travers cette anecdote combien la réalisatrice Diane Kurys a effectué un immense travail de documentation. Et de fait elle a lu et regardé pendant plusieurs années tout ce qu'il était possible de s'approprier afin de maitriser le moindre détail.
Nous comprenons que l'entretien a lieu juste après la cérémonie des Oscars au cours de laquelle Simone reçut la statuette (voir en fin de publication quels sont les français à l’avoir eue) et qu'il se déroule dans la maison de location dédiée au couple à Los Angeles, le fameux bungalow 21 qui a fait l'objet d'une pièce de théâtre dont les éléments sont parfaitement semblables, si bien que les dialogues ne m'ont pas surprise.
Je ne sacrifie rien du tout, prétendra la comédienne qui refusera toujours le rôle de victime, en tout cas pas sa carrière (ce qui n'est pas si certain que ça car elle a compris le risque qu'il y a à s'éloigner de Montand le temps d'un tournage. Son séjour à Rome fut fatal et précipita son aventure avec Marilyn Monroe). On s'aime et on s'aime bien dit-elle pour conclure.
Nous voilà ensuite de retour en France, dans leur appartement surnommé la Roulotte, au 15 de la place Dauphine, une ancienne petite librairie transformée en duplex par le couple en 1951 et qui est restituée plus vraie que nature. Simone détestait cuisiner et ne préparait jamais les repas. Elle était donc idéalement située à côté d'un restaurant qui s’appelle maintenant Le caveau du palais et où plusieurs photos évoquent toujours le duo mythique qui y fut si souvent attablé.
On y voit Simone tricoter en faisant répéter un rôle à Yves. Cette situation ne m'étonne pas car je me souviens d'elle, tricotant à l'écran (je crois qu'il s'agit des Diaboliques, dans une scène se déroulant au bord d’une piscine) pas plus que je ne sois pas surprise que cela agace Montand, à cause du bruit des aiguilles et surtout sans doute de sa capacité à faire deux choses en même temps alors qu'il peine à mémoriser ses dialogues. Alors il raille : Fait du tricot ! Faut faire ce qu'on sait faire !
J'en ai rien à foutre de ma gueule prétendra Simone qui fut tout de même d'une beauté totalement comparable à celle de Marilyn dans Casque d'or (elle était alors aussi blonde que l’actrice américaine) et qui restera longtemps hantée par cette liaison.
Moi qui t’aimais est un biopic s’étendant sur les douze dernières années du célèbre couple : Simone Signoret (1921-1985) et Yves Montand (1921-1991. Il a été présenté dans la section "Cannes Classics" du Festival de Cannes 2025. Diane Kurys a retravaillé avec Martine Moriconi, avec qui elle avait écrit le formidable scénario de Sagan (2008) et il leur fallu cinq années pour celui-ci, en s’inspirant pour les premières années par le livre de Simone Signoret, La nostalgie n’est plus ce qu’elle était (1976). Elle a resollicité Philippe Sarde pour la musique, 35 ans après le film La Baule-les-Pins (1990).
Nous y reverrons aussi, mais leurs noms de famille ne sont pas cités, Claude (Sautet) et le personnage de Paul dans le film Vincent, François, Paul et les autres où Paul et interprété par Serge Reggiani qui restera l'ami fidèle et le confident de la comédienne, et puis François (Périer). Gravitent aussi autour du couple le plus célèbre de l’époque, Nadine (Trintignant), Alain (Corneau, le futur mari de Nadine), Jean-Louis (Trintignant, qui vit alors une histoire d'amour avec Romy Schneider).
Le titre du film est emprunté à la chanson, Les Feuilles mortes écrite par Jacques Prévert. Il comporte une certaine ambiguïté puisque si ce sont des mots que chantait Montand il est vraisemblable que les sentiments de Simone étaient plus forts, en tout cas si on prend en considération la somme des infidélités du mari, et en dépit de cette affirmation : Elle l’aimait plus que tout, il l’aimait plus que toutes les autres.
Qui pourrait juger images et dialogues ? Je veux bien croire que Diane Kurys a effectué un immense travail de documentions et je pense qu’il faut visionner un tel film pour ce qu’il est, une oeuvre comportant une certaine part de fiction et qui est interprétée par des comédiens qui ne cherchent pas à copier leur modèle mais à en restituer le caractère. A commencer par Roschdy Zem et Marina Foïs mais aussi Thierry de Peretti (Serge Reggiani), Vincent Colombe (François), Raphaëlle Rousseau (Catherine Allégret), Sébastien Pouderoux (Alain Corneau), Leonor Oberson (Nadine Trintignant), Timothée de Fombelle (Jean-Louis Trintignant) et Cécile Brune qui est Marcelle, la fidèle employée de maison.
Si on part du principe qu’il serait inopportun de remettre en cause les dialogues on acceptera de voir en Montand un homme égoïste, souvent de mauvaise foi (ce qui n’a pas manqué de faire régulièrement réagir le public), n’ayant aucun frein à reconnaître "Moi, je mens tout le temps".
S’il est vrai, et ça l’est sans doute car Diane Kurys savait que chaque phrase serait décortiquée, la réflexion d’Yves le soir de la remise des Césars est assez significative de sa jalousie. Apprenant la nouvelle devant la télévision il note On lui a donné le César (pour La vie devant soi en 1978 dont Simone eut le grand courage d’accepter le challenge d’endosser le rôle de madame Rosa), ce qui blesse Catherine, la fille de Simone (qu’Yves avait adoptée) qui, furieuse, interroge : donné ou gagné ?
On comprend qu’on lui reproche de "ne pas savoir partager la lumière". Mais on peut aussi admettre que ni pour elle ni pour lui il n’a été facile de passer de Casque d'Or à La vie devant soi. Etre l'amant de Casque d'Or, c'était facile, mais il a fallu beaucoup d'amour pour aimer Madame Rosa.
L’amour est une donnée relative … entre Simone qui se défend : Ça me plait bien d'avoir un homme qui plait bien … et Yves qui crâne … On se dispute, ça prouve qu'on est vivant. Entre elle qui se plaint : T'as pas arrêté de me quitter, et lui qui répond : Oui mais je suis toujours revenu.
Toujours, certes, mais jamais définitivement. Il épousera Carole Amiel (qui ne fut pas la première, mais sans doute la dernière) deux ans après le décès de Simone mais il la connaissait depuis plus de treize ans même si leur liaison n’avait pas démarré dès la première rencontre … à La Colombe d’or, hotel iconique de Saint-paul-de-Vence où il séjournait souvent avec Simone et dont Diane Kurys nous offre de belles séquences.
Sans doute est-il exact qu’il ne pouvait pas vivre sans elle. Des moments heureux nous sont montrés comme la grandiose fête d'anniversaire de Simone au caviar chez Prunier. Mais il est probablement exact aussi qu’il ait raillé qu’on devrait faire un film sur nos engueulades, ce serait drôle.
La réalisatrice s’y est en quelque sorte employée mais elle ne passe pas sous silence les engagements politiques du couple et leurs déceptions à propos de l’URSS lorsque la tristesse qu’ils perçoivent dans le regard des gens leur démontre qu’ils se sont fourvoyés.
Simone meurt 20 septembre 85 et Yves 6 ans plus tard. Le film s'achève sur la musique de la chanson d'Hélène des Choses de la vie (encore un film de Sautet) dont les paroles sont d’une cruauté acide :
L'histoire n'est plus à suivre et j'ai fermé le livre
Le soleil n'y entrera plus
Tu ne m'aimes plus
Moi qui t'aimais, réalisé par Diane Kurys
Scénario de Diane Kurys et Martine Moriconi
Avec Roschdy Zem, Marina Foïs, Thierry de Peretti, Vincent Colombe, Raphaëlle Rousseau, Cécile Brune, Sébastien Pouderoux, Leonor Oberson, Timothée de Fombelle, Yuval Rozman, Nicolas Grandhomme, Marine Arena …
En salles le 1er octobre 2025
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Parmi les femmes :
- Claudette Colbert en 1935 pour "New York-Miami" (It Happened One Night)
- Simone Signoret en 1960 pour "Les Chemins de la haute ville" (Room at the Top) qui lui avait valu l'année précédente le prix d'interprétation féminine du festival de Cannes.
- Juliette Binoche en 1997 remporte l'Oscar de la Meilleure actrice dans un second rôle pour son interprétation dans "Le Patient anglais", réalisé par Anthony Minghella.
- Marion Cotillard en 2008 remporte l'Oscar de la Meilleure actrice pour son rôle remarquable d'Edith Piaf dans "La Môme" d'Olivier Dahan, ce qui lancera sa carrière internationale.
- Agnès Varda en 2017, en reconnaissance de l'ensemble de sa carrière.
Chez les hommes :
- Jean Dujardin fut, en 2012, le premier comédien français à remporter l’Oscar du Meilleur acteur et il est toujours le seul. "The Artist" compte cinq Oscars, dont celui du Meilleur film, du Meilleur réalisateur, meilleure musique originale et meilleurs costumes.
- D’autres français reçurent des oscars d’honneur : Charles Boyer en 1943, Maurice Chevalier en 1959, Henri Langlois en 1974, Jean Renoir en 1975, Jean-Luc Godard en 2010 et Jean-Claude Carrière en 2014 …avait déjà a déjà reçu un Oscar, partagé avec le réalisateur Pierre Etaix, pour leur court-métrage Heureux Anniversaire, en 1962.
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