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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

lundi 18 août 2008

SAGAN et moi une heure durant …

Ce matin-là son amie Peggy Roche lui avait reproché d’être la seule femme de Paris qui n’aime pas faire les boutiques.
Alors Françoise s’était fait violence pour sortir de chez elle et voilà comment je l’ai rencontrée, l’air égarée, entre les portants du Stock Daniel Hechter de la rue d’Alésia (Paris XIV°). J’étais au moins aussi désemparée qu’elle devant l’ampleur du choix. L’avantage, avec ce type de boutique c’est qu’on ne risque pas d’être en avance sur la mode. Les articles sont de l’avant-dernière saison. On a eu le temps de s’habituer aux nouvelles formes, aux couleurs qu'il est de bon ton de porter. Un lieu idéal pour deux femmes qui n’avaient pas le sens de la mode.

Nous avons sympathisé en sortant d’une cabine d’essayage : l’épreuve était au-dessus de nos forces respectives. Les achats furent expéditifs. Elle estima que la jupe de soie et la veste dorée étaient tout à fait ce qui me convenait pour la cérémonie à laquelle je devais me rendre. Je la rassurai sur l’association entre un pantalon beige et une blouse imprimée léopard, que je lui ai vue porter à de nombreuses reprises pour des interviews télévisées. Cela me faisait sourire.
Un achat stupide en ce qui me concerne : les vêtements ne sont pas ressortis de ma penderie.

Françoise avait acheté ces fringues comme on accomplit un exploit, juste pour prouver qu’on en a l’envergure et en sachant qu’on ne réitérera pas la performance.
Elle habitait à deux pas de la boutique mais l’effort de sortir de chez elle était manifeste. Rentrer aurait atténuer son mérite. Et elle avait la solitude en horreur. C’est souvent au milieu d’une bande d’amis que je me sens vraiment seule.

Je fus la compagne d’une heure. Nous avons parlé de tout et de rien. Les mots se bousculaient déjà entre ses mâchoires comme s’ils arrivaient trop vite du fond de ses pensées.

Je la sentais en manque. Quand elle leva la main pour héler le garçon j’ai cru un instant qu’elle allait lui demande du papier et un stylo mais c’est un Martini avec une olive verte qui fut commandé.
En souvenir de New York, de ses bars, de son agitation incessante. Vous êtes déjà allée à New York ? On y sent la mer et le goudron frais. Elle l'avait dit dans un souffle, sans attendre ma réponse. Fumer ne lui avait pas fait perdre l’odorat

Ses doigts tripotaient nerveusement les perles de son collier quatre rangs, dénonçant ses origines bourgeoises. Une jeune femme est entrée avec un bébé dans les bras, captant les regards. Le café était minuscule et elle a frôlé Françoise en se dirigeant vers le comptoir.

Les souvenirs vous sautent à la gorge. J’étais comme elle à la naissance de mon fils. Je me sentais comme un arbre avec une nouvelle branche.
Et puis ce qu’on redoute le plus finit toujours par arriver. Je vivais pour écrire, maintenant je dois écrire pour vivre.

Comme je m’étonnais de sa tristesse elle me confia ses soucis : je suis criblée de dettes mais je ne veux pas vendre la maison. Vous comprenez ? J’ai besoin de fuir, de m’échapper, de me perdre, mais j’ai autant besoin de revenir dans ce lieu où je me ressource avant de repartir.
Repartir, on ne fait que çà toute sa vie.


Je l'écoutais sans trop réaliser la portée de ses paroles. Je n'avais pas encore vu sa maison, un lieu magique, proche de la mer mais pourtant en pleine campagne. Avec des chambres en pagaille pour accueillir ses familles du hasard comme elle surnommait ses amis. Une maison qui allait devenir l’épicentre d’une sorte de phalanstère. Un manoir en fait, qu'elle avait acheté à Equemauville, un 8 août (1958), à 8 heures du matin, avec les 80 000 francs gagnés la veille au casino d'un pari sur le 8.

Etait-elle d'ascendance chinoise pour avoir comme le peuple du Soleil Levant le 8 comme chiffre fétiche ? Les mariages se sont multipliés en Chine ce 8-08-2008. Les médailles s'accumulent à Pékin pendant les Jeux, dégringolant comme des jetons d'une machine à sous. Cela aurait amusé Françoise !

De son entourage, elle n'avait qu'une exigence : J'attends de mes amis qu'ils soient heureux. Etait-elle apparentée avec Stanislas, le roi de Pologne à qui l'on prête une petite phrase assez semblable : le vrai bonheur consiste à faire des heureux ?

Elle était facétieuse. Ses gaffes étaient légendaires (il fallait l'avoir vue confondre un écrivain avec un portier et lui demander d'aller garer sa voiture parce qu'elle était en retard ou encore s'adresser à tel autre en le croyant maitre d'hôtel ... ) Ses mots d'esprit étaient tout autant célèbres qu'elle. En partant elle demanda au barman des kool molles s'il-vous-plait ... c'était le surnom qu'elle avait trouvé pour ses cigarettes mentholées.

Je ne l'ai pas retenue. Sa timidité était trop palpable pour que je puisse prolonger la conversation au-delà du raisonnable . Comme je regrette évidemment aujourd'hui. Surtout de n'avoir pas songé un instant à l'interroger sur le processus créatif.

Elle disait qu'elle avait toujours aimé écrire, comme tout le monde, ajoutait-elle. Avec elle cela semblait facile. Comme si écrire se résumait à juste trouver un ton différent, inventer ce qu'on sait déjà.

Ecrire c'est comme un rendez-vous d'amour : dangereux. Parfois, on hésite.

Je l'ai entendue dire qu'elle ne savait pas très bien pourquoi elle écrivait. Pour deux ou trois personnes qui vous croient fortes et qui ne savent pas que d'un coup, d'un mot, elles peuvent vous mettre à terre.

Le "charmant petit monstre" était pudique, n'aimant pas se laisser aller à des confidences. Donner la vie à des personnages qu'on ne connait pas c'est beaucoup plus drôle que de parler de soi. C'est aussi une façon intelligente de tromper sa solitude.

Françoise aurait sans doute esquivé mes questions par une pirouette, me confiant ce qu'elle répétait à longueur d'interviews : Ecrire un roman c’est faire un mensonge. J’aime mentir. J’ai toujours menti.
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Si j’ai bel et bien rencontré Françoise Sagan rue d’Alésia dans la boutique de vêtements que je cite dans ce billet par contre l'enchainement des dialogues est le fruit de mon imagination, activée par le film que vient de réaliser Diane Kurys et que j’ai eu la chance de découvrir lors du festival de films Paysages de cinéastes qui a été programmé au Rex de Châtenay-Malabry au mois de juin dernier.

Nous sommes le 18-08-08 . Mais le film Sagan est toujours sur les écrans dans toutes les grandes villes.
Un film clairement biographique, bouleversant et magistralement interprété par Sylvie Testud dans le rôle-titre, une actrice qui était époustouflante aussi dans Stupeur et Tremblements, d'Alain Corneau où elle campait déjà une femme écrivain, cette fois Amélie Nothomb.

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