Je confesse avoir parfois des rêves de grandeur. J'adorerais aller au Festival de Cannes une fois (au moins) dans ma vie. Il me faudrait pour cela attendre l'âge de la retraite -laquelle s'éloigne comme un mirage au Sahara- pour espérer être libre un mois de mai.
Et puis, surtout, il me faudrait batailler pour avoir une place dans les salles, subir cohues et embouteillages ... Tout cela pour finir noyée dans une foule qui ne me reconnaitrait pas.
Si on vit en région parisienne, qu'on aime le cinéma et qu'on souhaite être bousculé uniquement par une programmation audacieuse et intelligente ... il suffit d'aller à Châtenay-Malabry (92) du 13 au 22 juin dans le quartier de la Butte Rouge. Un quartier qui a bien changé depuis 1983 (message personnel à Vincent Delerm dont les paroles des chansons nous font bien voyager, la preuve en images ici).
J'ai déjà évoqué le bas de la Butte où j'ai rencontré Michel Fugain. Cette fois c'est en haut que je vous entraîne, au cinéma Rex où s'orchestre le 7ème festival du film "Paysages de cinéastes".
Le cinéma a fait salles neuves (trois ans avant le théâtre La Piscine-Firmin Gémier). C'est donc dans des fauteuils hyper-confortables que les spectateurs peuvent apprécier les projections.
La journaliste Catherine Ruelle (tous les dimanches de 11 heures à midi sur les ondes de RFI en France métropolitaine) était accompagnée de Cheikh A. N'Diaye, le réalisateur de l'Appel des arènes, pour présenter puis animer un débat autour du film, aux côtés de Marianne Piquet, directrice du cinéma et créatrice du Festival en 2001.
Pour son premier long métrage, le cinéaste (que tout le monde appelait hier soir par son prénom) a choisi d'adapter un roman dont le thème est la lutte, véritable sport national de toute l'Afrique de l'Ouest.
A l'heure où la France se désespérait de voir perdre son équipe de footballeurs surmédiatisés devant la télévision nous étions une belle compagnie d'amateurs devant une toile d'une autre dimension.
Etant plutôt allergique aux sports (mais pas à l'activité physique) et à ses débordements hystériques je n'aurais pas juré que j'allais rester dans la salle jusqu'au bout du film craignant de ne pas supporter longtemps les plans serrés sur des bagarres.
Sauf que la lutte, filmée par Cheikh, tient de la danse, de la musique, de la comédie policière, du témoignage et de la spiritualité.
Rien à voir avec l'univers de la boxe filmé par Claude Lelouch en 1983 dans Edith et Marcel ou par Ron Howard en 2005 avec de l'Ombre à la lumière. Cette fois il est question de lutte. Avec un traitement qui a les caractéristiques du documentaire (c'est authentique, narratif, démonstratif ). On voit de vrais lutteurs. On entend de vrais chanteurs. Il n'y a pas d'effets spéciaux ni de doublages : quand le challenger se luxe une épaule c'est pas du cinéma et on sent bien que le dernier combat a été tourné dans un unique plan séquence.
Mais le film a aussi les caractéristiques de la fiction avec des comédiens confirmés, avec un scénario de destins entrecroisés qui s'ils ne sont pas vrais sont du moins vraisemblables, avec des dialogues dynamiques où les répliques fusent en wolof ou en français, comme on les parle dans les grandes villes du Sénégal.
Cheikh avait insisté sur la triple dimension de la lutte : sportive, artistique et mystique, en expliquant aux enfants que "mystique" signifiait "se sentir bien dans son corps et dans sa tête".
Le film est totalement imprégné de cette philosophie. Un de ses mérites est de ne prendre le parti d'aucun personnage. Chacun est attachant à sa manière, y compris Sory, joueur invétéré et épileptique qui imagine s'en sortir en multipliant les petits contrats, sauf que ce sont de sombres trafics. Sans nous faire de leçon de morale, le personnage de la mère de Nalla affirme ses convictions avec force. Son fils ne la décevra pas : il deviendra finalement guide spirituel. Sans sensiblerie, la caméra témoigne de la mort d'André, alors qu'il ramenait la récolte dans l'île où habitent ses parents. Et si le dernier chant n'est pas sous-titré (trop difficile d'en restituer la dimension poétique en français nous dit Cheikh) on comprend que c'est un hommage que lui rend sa compagne.
C'est une superbe leçon d'humanité qui nous entraine dans une spirale ascendante de spiritualité. Avec des petites touches ( par exemple quand Nala partage son sandwich avec un inconnu d'un geste d'un naturel insensé), avec des chansons, des regards ... Chacun tient son rôle avec justesse. A commencer par les lutteurs, interprétés par de vrais athlètes. Malaw est joué par Mohamed Ndao, célèbre sous le pseudonyme de Tyson, véritable star emblématique de la lutte qui a régné sans partage de 1995 à 2002 avant de revenir en haut de l'affiche en 2004. C'est un autre champion, Tapha Guéye, le tigre de Fass, qui endosse le rôle d'André.
Si les muscles des sportifs sont mis en valeur ce n'est pas au détriment des corps féminins. Il n'y a pas non plus l'ombre d'un machisme. au contraire : dans les arènes, les femmes préviennent les hommes qu'elles pourraient bien prendre leur place.
Pas la moindre dimension anecdotique aux traditions. On les observe avec respect. Enfin le film restaure la place des ancêtres sans la force desquels on ne saurait gagner. Le griot est là pour nous le rappeler comme dans le recueil de poèmes des Chants d'ombre Léopold Sédar Senghor se souvient des choeurs de lutte.
Le public dakarois verra sa capitale avec nostalgie, les plages qui s'étendent au nord, les falaises de basalte du Cap Vert et reconnaitra sans doute les sculptures de lutteurs en équilibre sur la corniche et réalisées par un artiste qui joue son propre rôle. Le public parisien, quant à lui, songera à Ousmane Sow, dont les œuvres ont été installées sur le Pont des Arts en 1999.
Vous l'aurez compris : l'appel des arènes est un film puissant, qui nous touche à bien des égards. Je ferai une dernière analogie avec l'interprète de Nalla, Aziz Ndiaye, dont le visage, les expressions et la silhouette m'ont font penser à Farid Chopel, qui nous a quitté trop vite en avril dernier.
Et je n'ai pas fini de m'interroger depuis hier soir sur la nature de mon double totémique ...
Pour visionner la bande-annonce.
Pour lire la fiche technique complète du film (particulièrement difficile à trouver) c'est là.
Et pour connaître tout le programme du festival : voici le site du Rex.
Cinéma Le Rex 364, avenue de la Division-Leclerc
92290 Châtenay-Malabry 01 40 83 19 81
Si on vit en région parisienne, qu'on aime le cinéma et qu'on souhaite être bousculé uniquement par une programmation audacieuse et intelligente ... il suffit d'aller à Châtenay-Malabry (92) du 13 au 22 juin dans le quartier de la Butte Rouge. Un quartier qui a bien changé depuis 1983 (message personnel à Vincent Delerm dont les paroles des chansons nous font bien voyager, la preuve en images ici).
J'ai déjà évoqué le bas de la Butte où j'ai rencontré Michel Fugain. Cette fois c'est en haut que je vous entraîne, au cinéma Rex où s'orchestre le 7ème festival du film "Paysages de cinéastes".
Le cinéma a fait salles neuves (trois ans avant le théâtre La Piscine-Firmin Gémier). C'est donc dans des fauteuils hyper-confortables que les spectateurs peuvent apprécier les projections.
La journaliste Catherine Ruelle (tous les dimanches de 11 heures à midi sur les ondes de RFI en France métropolitaine) était accompagnée de Cheikh A. N'Diaye, le réalisateur de l'Appel des arènes, pour présenter puis animer un débat autour du film, aux côtés de Marianne Piquet, directrice du cinéma et créatrice du Festival en 2001.
Pour son premier long métrage, le cinéaste (que tout le monde appelait hier soir par son prénom) a choisi d'adapter un roman dont le thème est la lutte, véritable sport national de toute l'Afrique de l'Ouest.
A l'heure où la France se désespérait de voir perdre son équipe de footballeurs surmédiatisés devant la télévision nous étions une belle compagnie d'amateurs devant une toile d'une autre dimension.
Etant plutôt allergique aux sports (mais pas à l'activité physique) et à ses débordements hystériques je n'aurais pas juré que j'allais rester dans la salle jusqu'au bout du film craignant de ne pas supporter longtemps les plans serrés sur des bagarres.
Sauf que la lutte, filmée par Cheikh, tient de la danse, de la musique, de la comédie policière, du témoignage et de la spiritualité.
Rien à voir avec l'univers de la boxe filmé par Claude Lelouch en 1983 dans Edith et Marcel ou par Ron Howard en 2005 avec de l'Ombre à la lumière. Cette fois il est question de lutte. Avec un traitement qui a les caractéristiques du documentaire (c'est authentique, narratif, démonstratif ). On voit de vrais lutteurs. On entend de vrais chanteurs. Il n'y a pas d'effets spéciaux ni de doublages : quand le challenger se luxe une épaule c'est pas du cinéma et on sent bien que le dernier combat a été tourné dans un unique plan séquence.
Mais le film a aussi les caractéristiques de la fiction avec des comédiens confirmés, avec un scénario de destins entrecroisés qui s'ils ne sont pas vrais sont du moins vraisemblables, avec des dialogues dynamiques où les répliques fusent en wolof ou en français, comme on les parle dans les grandes villes du Sénégal.
Cheikh avait insisté sur la triple dimension de la lutte : sportive, artistique et mystique, en expliquant aux enfants que "mystique" signifiait "se sentir bien dans son corps et dans sa tête".
Le film est totalement imprégné de cette philosophie. Un de ses mérites est de ne prendre le parti d'aucun personnage. Chacun est attachant à sa manière, y compris Sory, joueur invétéré et épileptique qui imagine s'en sortir en multipliant les petits contrats, sauf que ce sont de sombres trafics. Sans nous faire de leçon de morale, le personnage de la mère de Nalla affirme ses convictions avec force. Son fils ne la décevra pas : il deviendra finalement guide spirituel. Sans sensiblerie, la caméra témoigne de la mort d'André, alors qu'il ramenait la récolte dans l'île où habitent ses parents. Et si le dernier chant n'est pas sous-titré (trop difficile d'en restituer la dimension poétique en français nous dit Cheikh) on comprend que c'est un hommage que lui rend sa compagne.
C'est une superbe leçon d'humanité qui nous entraine dans une spirale ascendante de spiritualité. Avec des petites touches ( par exemple quand Nala partage son sandwich avec un inconnu d'un geste d'un naturel insensé), avec des chansons, des regards ... Chacun tient son rôle avec justesse. A commencer par les lutteurs, interprétés par de vrais athlètes. Malaw est joué par Mohamed Ndao, célèbre sous le pseudonyme de Tyson, véritable star emblématique de la lutte qui a régné sans partage de 1995 à 2002 avant de revenir en haut de l'affiche en 2004. C'est un autre champion, Tapha Guéye, le tigre de Fass, qui endosse le rôle d'André.
Si les muscles des sportifs sont mis en valeur ce n'est pas au détriment des corps féminins. Il n'y a pas non plus l'ombre d'un machisme. au contraire : dans les arènes, les femmes préviennent les hommes qu'elles pourraient bien prendre leur place.
Pas la moindre dimension anecdotique aux traditions. On les observe avec respect. Enfin le film restaure la place des ancêtres sans la force desquels on ne saurait gagner. Le griot est là pour nous le rappeler comme dans le recueil de poèmes des Chants d'ombre Léopold Sédar Senghor se souvient des choeurs de lutte.
Le public dakarois verra sa capitale avec nostalgie, les plages qui s'étendent au nord, les falaises de basalte du Cap Vert et reconnaitra sans doute les sculptures de lutteurs en équilibre sur la corniche et réalisées par un artiste qui joue son propre rôle. Le public parisien, quant à lui, songera à Ousmane Sow, dont les œuvres ont été installées sur le Pont des Arts en 1999.
Vous l'aurez compris : l'appel des arènes est un film puissant, qui nous touche à bien des égards. Je ferai une dernière analogie avec l'interprète de Nalla, Aziz Ndiaye, dont le visage, les expressions et la silhouette m'ont font penser à Farid Chopel, qui nous a quitté trop vite en avril dernier.
Et je n'ai pas fini de m'interroger depuis hier soir sur la nature de mon double totémique ...
Pour visionner la bande-annonce.
Pour lire la fiche technique complète du film (particulièrement difficile à trouver) c'est là.
Et pour connaître tout le programme du festival : voici le site du Rex.
Cinéma Le Rex 364, avenue de la Division-Leclerc
92290 Châtenay-Malabry 01 40 83 19 81
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