Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

vendredi 14 février 2020

Le Québecium

Vous y viendrez pour le cadre, pour la cuisine, et pour la bonne humeur du patron et de son équipe. Son nom, Québecium, peut se prononcer "qué-bé-siome" ou "qué-bé-kiomme" sans choquer le fondateur du lieu, Benjamin Berthiaume.

J'y ai mangé les meilleurs poireaux-vinaigrette de toute ma vie, à ceci près que ce sont des poireaux mimosa servis à peine tièdes et que la sauce n'est pas vraiment une vinaigrette même si elle contient du vinaigre et de l'huile. On a l'habitude au Québec, m'expliqua le patron, de cuisiner des recettes européennes en les twistant avec une petite touche d'épices. Il ajoute du comté 18 mois et des brisures de bacon à l'érable. Le résultat est bondieusement goûteux et je regrette que ma photo ne soit pas à la hauteur de la saveur ni de la présentation raffinée.

J'étais libre du choix du plat mais aurais-je pu commander autre chose qu'une poutine, mais il faut peut-être vous expliquer ce qui compose ce plat, apparu dans les années 50. avec juste trois éléments : des frites, de la sauce brune et du fromage en grains. La poutine est vite devenue populaire outre-atlantiqu. des concours de recettes sont régulièrement organisés. Nous autres, maudits français, nous sommes moqué longtemps de cette association, peut-être parce que nous avons un énorme choix de fromages alors qu'outre-atlantique il y a surtout du cheddar, en particulier celui de la fromagerie Saint-Guillaume et jusqu'à preuve du contraire le Québecium est le seul restaurant de tout Paris à importer ce fromage (et donc à préparer une authentique poutine).

Au fil du temps des québécois célèbres nous ont convaincu d'apprécier ce plat. Je me souviens de Linda Lemay en parler dans une de ses chansons avec beaucoup d'humour mais je n'avais jamais eu l'occasion d'en goûter.

Plusieurs explications circulent quant à l'origine du nom. J'aime bien celle de Benjamin qui m'a expliqué que ne sachant que faire des raclures de cheddar quelqu'un aurait dit en désignant un bol de frites : ben put it in (mets les dedans !). Il n'y avait plus qu'à arroser de sauce et servir.
Benjamin Berthiaume tenait absolument à l'inscrire à la carte aussi bien en version classique (et en portion simple ou double selon votre appétit) que revisitée. Il m'a proposé la variante Surf N' Turf. Très surprenante puisque les trois ingrédients de base, sont surmontés d'un émincé de calamars associé à des morceaux de poitrine de porc braisée. L'ensemble est relevé d'un kimchi de chou et saupoudré de coriandre haché. L'association terre-mer, plutôt commune à Montréal, fonctionne et je me suis régalée en allant chercher les frites au fond du récipient. A noter que comme il est de tradition au Québec, les pommes de terre ne sont pas épluchées. Les vitamines sont dans la peau et comme le légume est bio il n'y a rien à craindre.

Si le fromage vient du Québec la majorité des ingrédients est de provenance la plus régionale possible, voire même locale, comme certaines bières d'ailleurs.

Tout est servi dans une vaisselle de métal galvanisé, simple et jolie, qui apporte une note joyeuse et décontractée. Les verres sont eux aussi d'une grande sobriété, bien alignés pour une dégustation qui s'est poursuivie le temps du repas, en progressant de gauche à droite de la plus légère à la plus capiteuse (en toute modération) et qui existent toutes à la pression.
J'ai commencé par la bière De Champlain (du nom du fondateur de la ville de Québec), une Lager au blé d'Inde et au malt bio, brassée par Benjamin lui-même dans le Val d'Oise, titrant 5,3°, très blonde, désaltérante, avec une pointe de sucrosité.

Ensuite la Batignolles, une Pale Ale légèrement houblonnée. C'est la bière réalisée par le brasseur local et partenaire Hespebay qui a voulu lui donner le nom du quartier où est née sa passion pour l'art de la brasserie. Vient alors la Rosée Hibiscus, brassée, elle, au Québec par Des du Ciel. C'est une blanche, rosée par la fleur, qui remporte un vif succès, tout à fait justifié.

On peut aborder avec la poutine la René Lévesque, le fondateur du parti québécois, une IPA nordique "maison" dont Benjamin a raison d'être fier, titrant 5,9°, bien houblonnée mais dont l'amertume s'estompe en fin de bouche. Belle réussite.

On poursuit avec la Brume Singe, une ambrée qui se situe entre les brunes et les rousses, encore une création de Fabien Nahum brassée chez Hespebay, et qui libère de belles notes de caramel procurées par la fermentation de levures belges.

Et pour finir, une autre bière de chez Dieu du Ciel, une noire mais moins lourde qu'une Guiness, une Stout au café titrant à 9,5% qui pourrait remplacer une tasse café chaud pour terminer le repas.
Benjamin Berthiaume est chaleureux et d'une sincérité sans faille, sans chercher à embellir l'histoire. Il est tout simplement tombé en amour pour Paris et ce quartier en particulier. Il raconte volontiers comment il est arrivé aux Batignolles en 2013 et pourquoi ce fut si naturel d'avoir envie d'installer son restaurant en septembre 2018 aux Epinettes. On peut le trouver courageux même s'il y a effectivement un énorme potentiel tant en clientèle locale que touristique avec l'implantation du nouveau Palais de Justice de Paris tout près de là, la présence du plus grand hôtel Ibis de la capitale et le prolongement du métro jusqu’à Mairie de Saint-Ouen en traversant le 17e arrondissement en septembre 2020.
Pour le moment l'endroit est encore un peu hésitant entre modernité et typicité des rues voisines. Mais l'immeuble est vaste et offre de multiples possibilités. Avec une grande salle très lumineuse au rez-de-chaussée, meublée classiquement de tables carrés et de longs mange-debout aux plateaux de bois sans nappes à petit carreaux blancs et rouges qui auraient fait cliché. La grande hauteur sous plafond rappelle les bâtiments industriels du Québec. Le bar est éclairé par une rangée d'abats-jour en forme de pomme de pin mais on peut y voir des graines de houblon. Le comptoir est sans doute unique, avec ses inclusions de "caribous", en l'occurence des pièces de monnaie de vingt-cinq cents valant un quart de dollar et qui est la pièce la plus utilisée en fonction de la rareté de celle de cinquante cents. On l'appelle un vingt-cinq cennes (par anglicisme phonétique)mais aussi un caribou puisque l'animal  est frappé sur une face.
A l'étage, un mobilier chiné et disparate fait la transition avec la reconstitution d'une cabane à sucre bordée de bouleaux, intime et confortable pour se sentir chez soi comme à la maison.
La décoration est très personnelle. C'est ce mélange d'objets, dont beaucoup ont été récupérés, qui garantit l'authenticité d'un lieu qui est vivant, comme en témoigne des cuves de 300 litres que 'son aperçoit sur la mezzanine pour contenir la bière.
Les livres de recettes, les pochettes de disque, les affiches vintage cohabitent avec des oeuvres plus récentes comme un aigle sculpté et peint dans un bois de caribou, cadeau du frère de Benjamin. Cette sculpture témoigne de l'intérêt de Benjamin pour la culture amérindienne qui pourrait marquer davantage son second restaurant .... s'il lui prenait l'envie de le créer un jour.

Il était tentant de donner à celui-ci ce nom de "caribou" mais il a opté pour celui de Québecium qui sonne un peu comme l'intitulé d'un laboratoire de recherche et que Benjamin Berthiaume a choisi en hommage à Pierre Demers, illustre physicien montréalais et grand patriote québécois, est décédé le 29 janvier 2017, après avoir recueilli l'accord de son fils. Et que la prononciation de ce nom soit spéculative n'est pas pour déplaire au patron.
Pour terminer, j'ai choisi un dessert lui aussi tout à fait québécois, le Pain doré, compote de pommes, Chantilly à l'érable, comme le préparait la grand-mère du patron, avec des pommes qui, elles aussi, ne sont pas épluchées.

Je suis partie en me promettant de revenir, un midi pour découvrir d'autres spécialités, un soir pour profiter de l'intimité de la cabane à sucre, un samedi pour le brunch ou au printemps prochain un dimanche pour vivre la nouvelle formule du brunch que Benjamin promet "comme là-bas" en formule buffet et sans doute avec de la musique. Voilà une adresse fort sympathique à retenir où, vous l'aurez compris, tout est fait maison.
Québecium
4 rue Bernard Buffet, 75017 Paris - 01 88 46 88 60
Restaurant et épicerie.
Ouvert du mardi au samedi, de 12 h à minuit (2 h le vendredi et le samedi). Happy hour de 19h à 21h.

Aucun commentaire:

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)