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lundi 10 septembre 2012

Absolument dé-bor-dée ! ou le paradoxe du fonctionnaire de Zoé Shepard chez Albin Michel


Le responsable des Ressources humaines du Conseil régional d'Aquitaine a du se répéter en boucle si j'aurais su je l'aurais pas engagée cette Aurélie Boullet qui fait tinter des casseroles grosses comme des autocuiseurs aux basques des fonctionnaires territoriaux. Avec un nom pareil (pardon mais le jeu de mots est si tentant ) le jury du Grand Oral aurait du se méfier ... Mais comme, à l'en croire la jeune femme, la fonction publique est le fief des incompétents tout cela obéit à une certaine forme de logique.

Le Grand Oral (page 10) désigne l'entretien de recrutement, coefficient 6, qui ouvre les portes de l'Administration, avec un A majuscule, pourvu qu'on soit capable, non pas de démontrer ses compétences, mais l'emploi de la langue de bois où les termes magiques sont : groupe de travail, comité d'experts, évaluations, grille d'indicateurs objectifs qu'on s'efforcera de monitorer dans la résolution de la problématique sur laquelle on doit disserter pendant 45 minutes de mensonges.

Quand j’étais petite mes parents se moquaient gentiment d’une voisine qui travaillait aux Petits Travaux Tranquilles. C’était ainsi qu’on développait le sigle des PTT qui signifiait Postes, Télégraphe, Téléphone, devenu Banque postale au fil des réformes.

On se souvient tous de Coluche raillant les employés de la Sécurité Sociale quittant leur service en avance, pour avoir l’assurance de ne pas partir en retard. Vous savez ce qu’on ne volera jamais dans leur bureau ? nous demandait l'amuseur public n°1 ... La pendule, aucune chance, ils ont l’œil rivé dessus.

On rit de tout cela. On sait bien que l’administration offre ce qu’on appelle des planques. La description du rituel des arrosages (page 232) offrant un alibi général pour ne rien faire (de productif pour les administrés) et finir la journée à la limite du coma éthylique justifie pleinement que le législateur ait fini par pondre une loi interdisant la consommation d'alcool sur les lieux de travail.

Il y eut avant cette décision des millions de raisons de fêter la moindre arrivée, promotion ou départ avec circulation d'enveloppe, achat de cadeau (un vrai, pas un rogaton extirpé du placard aux horreurs qui honore les visites des délégations officielles), discours ... L'auteur aurait pu consacrer un chapitre au coup de chapeau, astuce consistant à promouvoir le fonctionnaire six mois avant son départ en retraite pour lui assurer une pension du niveau du salaire qu'il avait antérieurement à ladite promotion.

On sourit de cette secrétaire qui va taper à la machine le mot alinéa sans sourciller devant chaque paragraphe ou qui s'interroge sur la manie de sa supérieure de lui rendre ses textes avec des mots soulignés au stylo et qui corrige consciencieusement son travail ... rendant les pages presque entièrement soulignées ... n'imaginant pas une seconde que ces traits désignent des erreurs orthographiques. Si tu codes tes instructions ... se plaindra-t-elle pour justifier sa bêtise.

Memento mori, souviens-toi que tu mourras, rappelait autrefois l'esclave au général romain triomphant pour le mettre en garde contre la vanité. Zoé y pense en boucle pour relativiser les choses (page 285).

Tout cela n'est pas méchant me direz vous, mais quand elle nous déballe les tenants et les aboutissants d'actions quasi mafieuses on finit par trouver cela moins amusant. Parce qu’on a compris que pas une seconde elle n’exagérait, ni même qu’elle avait l’intention de nous amuser. Elle cherche à provoquer un électrochoc et c’est gagné.

Tant d’énergie perdue avec l’argent de nos impôts … il y a de quoi s’énerver.

Absolument dé-bor-dée ! 

Chaque syllabe compte, martelée pour faire entrer dans la tête de son interlocuteur que vraiment non, il ne faut pas compter obtenir ce qui est demandé avant longtemps, et parfois même jamais, sauf à la veille des municipales qui placent l'équipe au bord d'un burn-out collectif quasi réel, parce qu'il faut alors fissa rattraper des années de perdues. Si la mention est au féminin c'est parce que c'est une femme qui l'écrit mais ce n'est franchement pas un travers sexué. Et c'est souvent celui qui le dit pas qui y est. Parce qu'il n'a pas de temps à perdre à se faire plaindre.

Zoé Shepard a étudié la fonction publique territoriale avec une précision d'entomologiste. On dira qu'immergée de l'intérieur, ses confidences sonnent juste, et pour cause. On dira aussi qu'elle en a eu le temps ... quoique à la longue ses compétences ont fini par lui attirer ... du travail. Elle a quand même trouvé le moyen de continuer sa percée, toujours chez le même éditeur, qui publie la suite, en septembre de cette année, sous le titre toujours provocateur de Ta carrière est fi-nie! 

L'auteur n'est pas la première à avoir dénoncé le scandale de la pipeautique, ni de mettre en avant un élu mégalo dépourvu du sens des réalités. Peter avait énoncé une série de théorèmes visant à démontrer que l'on monte dans la hiérarchie jusqu'à ce qu'on y atteigne son niveau d'incompétence. Mais Aurélie va plus loin puisqu'elle annonce que c'est dès l'entrée qu'on peut y être propulsé en mettant en avant le principe de Dilbert : les gens les moins compétents sont systématiquement affectés aux postes où ils risquent de causer le moins de dégâts : l'encadrement.(page 200)

On se demande comment les services peuvent tout de même fonctionner, a minima, mais tout de même. Simplement parce qu'on embauche aux échelons inférieurs des personnes de bonne volonté qui ne ménagent pas leur peine.

Les deux livres d'Aurélie Boullet (Zoé Shepard est son nom de plume) sont à lire en complément d'une autre vision de l'administration, cette fois ministérielle, et non moins accablante à travers l'Exercice de l'Etat, le film de Pierre Schoeller, sorti il y a quelques mois, avec Olivier Gourmet, Michel Blanc et Zabou Breitman et une pléiade d'excellents comédiens. On se dit après cela qu'il y aurait une nouvelle révolution à faire.

Absolument dé-bor-dée ! ou le paradoxe du fonctionnaire de Zoé Shepard chez Albin Michel

A signaler qu'Aurélie Boullet sera présente le week-end prochain au Livre sur la place à Nancyqu'Amélie Nothomb présidera cette année. J'ai déjà annonçé la présence de Frédérique Martin. Y seront aussi une des fidèles de la manifestations, Janine Boissard, dont j'ai fait le portrait en mai dernier, également Nadine Monfils en compagnie de Léon, Gilles Paris, et beaucoup d'autres dont la liste serait trop longue à énumérer ici. Je vous invite à vous reporter sur le site de la manifestation qui vient de faire peau neuve.

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