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jeudi 27 septembre 2012

Le monde à l'endroit de Ron Rash au Seuil

J'avais beaucoup aimé Un pied au paradis, du même auteur, découvert l'année où je fus juré du Grand Prix des lectrices de ELLE. Ce premier roman avait été publié aux éditions du Masque. Il y eut ensuite Serena, puis maintenant le Monde à l'endroit, toujours traduit par Isabelle Reinharez dont je louais la justesse de ton en 2009.

Par contre l'éditeur a changé. Si les deux premiers ont été catégorisés romans policiers voilà ce troisième roman publié en français au Seuil, mais il demeure un roman noir, voire même très noir. Et pourtant ce n'est pas la lumière qui manque dans les descriptions des paysages. La nature est omniprésente, tant végétale qu'animale, justifiant que le paysage marque le destin. La couverture choisie par l'éditeur français est nettement plus représentative de l'univers de l'auteur que celle qui est employée aux Etats-Unis.

Ron Rash situe encore ce roman dans les Appalaches, que l'on dit peut-être plus anciennes que les Alpes, les Andes ou l'Himalaya. Ses personnages sont toujours marqués par une guerre. Cette fois ce n'est pas la Corée mais un conflit plus lointain qui s'est déroulé dans ces montagnes, et entre frères, puisqu'il s'agit de la Guerre de Sécession que l'on s'aperçoit connaitre très mal et que l'on associe de façon restrictive à la Caroline, mais du Sud d'Autant en emporte le vent.

Dans les Appalaches du Sud, et beaucoup de gens l'ignorent, un grand nombre de personnes se sont battues pour les armées de l'Union et non pour les confédérés (majoritaires en Caroline du Nord), d'abord parce qu'il y avait peu d'esclaves dans ces montagnes. Ce conflit dont on voit encore les traces dans le paysage marque toujours les esprits un siècle plus tard. Un régiment de confédérés arriva un jour de 1863, à Shelton Laurel, entoura 13 hommes et les tua un par un, avant de les enterrer dans une tombe unique. Ce massacre qui a eu lieu en 1863 a inspiré Ron Rash qui y a vu la source d'un drame familial.

Le poids du passé imprègne toujours les romans de cet auteur qui faisaient peser d'anciennes superstitions indiennes sur la destinée des personnages de Un pied au paradis.  Les corps sont une nouvelle fois meurtris (on a décidément la jambe fragile quand on traverse un roman de Ron Rash) comme si c'était le prix à payer avant d'atteindre l'équilibre à condition de témoigner une force de caractère hors du commun.

On pense aux monts Ozark de Winter's bone, ou Un hiver de glace qui est un autre récit d'initiation, et qui se déroule lui aussi dans un huis clos où les gens vivent en autarcie comme dans un piège. Au sens propre comme au sens figuré.

Travis Shelton a 17 ans, et c'est un mordu de pêche à la truite. Il découvre un jour des plants de cannabis au-dessus de la rivière et décide, ni vu ni connu, de prélever quelques pieds pour les revendre à Leonard, devenu dealer après la perte de son emploi d'enseignant. Pas vu, pas pris ... mais il ne faut pas rêver : le manège est découvert par de cruels trafiquants et lourdement sanctionné. Le jeune homme est quasiment contraint de rompre avec sa famille et ne trouve d'autre solution que de s'installer ... chez Leonard.

Tu t'imagines qu'il y a des trucs gratuits. Mais y'a rien de gratuit en ce bas monde. Rien. (page 257). Tout se paie, parfois la note est présentée sans délai, d'autres fois elle se règle avec un siècle de décalage.

Le titre anglais, The World made Straight, (le monde à remettre d'aplomb) est plus parlant que sa traduction. Nous sommes dans les années 70. Les emplois deviennent rares dans l'industrie et il n'y a plus de travail dans les petites exploitations. Les jeunes ne pourront pas rester paysans. Ils partiront faire la guerre en Irak, seront déstructurés, se mettront dans le trafic. Il faudrait fuir pour ne pas être coincé dans un monde obsolète en terme de possibilités, dans des communautés totalement repliées sur elles-mêmes, surtout quand le poids de l'histoire continue de s'exercer sur vous, comme une plante vivace. Leonard a réussi s'élever socialement parce qu'il a réussi à aller à l'université mais sa vie a basculé avec le départ de sa femme. Au début du roman tout va de travers et petit à petit les choses vont reprendre un autre cours, avec peut-être au bout, une rédemption si, entre autres, Travis réussit à passer l'équivalent du baccalauréat et si Leonard parvient à payer la dette de ses ancêtres, en particulier celles d'un médecin fantomatique parcourant le pays et notant sur six volumes de registre, les actes médicaux, l'évolution de la santé de ses patients et les honoraires perçus, ou non, plus souvent en nature qu'en monnaie.

Faulkner disait le passé n'est pas mort, il n'est même pas passé d'ailleurs. Les personnages de Ron Rash étaient dans des camps ennemis au moment du massacre. Ils sont aujourd'hui au centre d'être d'une toile d'araignée tissée par leur passé ... comme ce qu'on pourrait constater en Bosnie, en Somalie, au Rwanda ...

Ron Rash enseigne l'art de la nouvelle. Selon lui le plus grand défi d'écriture est d'arriver à la concision proche du poème (il a commencé par écrire de la poésie) en donnant l'illusion d'une histoire complète. Rien d'étonnant à ce que la langue soit pour lui essentielle, bien davantage que l'intrigue.

Le monde à l'endroit de Ron Rash au Seuil

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