Vous verrez Rachida en robe de soirée largement fendue. Mais avant cela c'est dans la tenue devenue '"traditionnelle" de son personnage Fatna, et qui a fait son succès il y a quelques années, que la comédienne surgit sur la scène. Un foulard blanc cachant ses cheveux et noué autour du cou, une longue robe à fleurs qui dissimule à peine une paire de rangers monstrueuses, Rachida Khalil déboule sur scène en défilant au pas de l’oie… aussitôt rejointe par quatre danseuses en bikini à imprimé camouflage chaussées comme elle de lourdes et grosses godasses prêtes à écraser le monde.
Le ton est donné ou plutôt martelé : il sera plus militant que militaire. Dans son nouveau spectacle, Rachida Khalil n'y va pas par quatre chemins pour dénoncer la pseudo démocratie installée par le printemps de la révolution arabe, le racisme primaire et les idées reçues.
On est soufflé par sa liberté de ton. Ses formules sont très drôles. Ben Ali, Ben Laden et Nen ...et nuts valent chacun leur pesant de ... cacahuètes. Et il est facile d'en rire.
Quand elle évoque le Café des délices chanté par Patrick Bruel, devenu la cave des sévices dans une société qui met la charia avant les boeufs on est soufflé par sa liberté d'expression, et une forme de courage car on sait, nous aussi, que la vie ne tient qu'à un fil ... à retordre.
Elle se glisse avec autant de verve dans la robe d'une maman tunisienne en "caulaire" que dans le fourreau d'une Karima de la Jaretière qui a trouvé du pétrole en France en épousant un homme vieux et riche d'origine. Elle dénigre les pauvres, ces riches qui n'ont pas réussi, dont le mode de vie s'avère ultra écolo puisqu'ils ne polluent pas avec une voiture.
Elle devient un travesti à la voix grave plus vrai que nature. Et puis, et c'est le personnage que j'ai préféré, une caillera de banlieue qui adolescente, peignait les dents de son copain au Typex, et qui aujourd'hui élève "ses allocations familiales". Le copain, très justement interprété par son frère, Abderahim Khalil, a du mal à se souvenir mais la verve de Karima va raviver sa mémoire qui aura tôt fait de "faire sa mise à jour".
Elle est aussi une alcoolique mondaine et philosophe : ce n'est pas l'amour qui rend aveugle mais notre aveuglement qui rend l'amour possible... Elle incarne aussi une mégère auvergnate qui se défend de verser dans le racisme ordinaire tout en s'y vautrant et maugréant contre les gens qui affichent une indécente joie de vivre en temps de crise.
Elle est enfin une Karima Hilton 100% halal pour touristes 100% gros porc avant de revenir dans sa tenue de Fatna, animée d'une légèreté de vivre qui permet l'improbable. Nous démontrant que tout dépend du regard qu'on a sur les évènements elle refait l'histoire à l'envers, promettant de donner bientôt l'indépendance aux occidentaux.
Entre les 6 tableaux un intermède dansé fait très élégamment la rupture entre les scènes.
C'est drôle, c'est libre, c'est intelligent et osé dans tous les sens du terme.
La Croisade s’amuse de Rachida Khalil, mise en scène de Emmanuelle Michelet, chorégraphies de Djanis Bouzyani. Costumes de Jurgen Doering. Avec en alternance les comédiens Raphaël Pottier, Djanis Bouzyani, Abderahim Khalil, et Otman Salil et les danseuses : Shirley Henault, Chloé Aboulakoul, Coline Omasson, Ambre Capifali, Wendy Devaux.
Du mardi au samedi à 19h au Théatre du Petit Montparnasse : 31, rue de la Gaîté, 75014 Paris (Métros Gaîté et Edgar Quinet). Tél: 01 43 22 77 74.
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