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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

vendredi 26 septembre 2008

ENTRE LES MURS


La sortie nationale du film a eu lieu avant-hier. J'avais eu l'extrême chance de le voir il y a trois mois dans le cadre du festival de film de Châtenay-Malabry. Je n'en avais pas parlé parce qu'il était trop tôt. Et puis la fin de l'année scolaire s'annonçait. Vous aviez déjà tous le nez dans vos valises.

L'enthousiasme des membres du jury du festival de Cannes qui lui a attribué la Palme d'or provient (pour partie) du fait qu'ils ont cru que ce qui était montré était véritablement extra-ordinaire. Les murs en question sont ceux d'un collège d'un quartier dit "sensible". Mais çà pourrait être celui qui est en bas de chez vous. Tous les profs qui sont allés le voir trouvent les élèves criant de vérité et tous les élèves -pardon, les ado- estiment que les enseignants sont bien comme cela dans la vraie vie. C'est toujours plus facile de reconnaitre l'autre que de se voir dans le miroir.

Peu importe donc la localisation, qui demeure floue de toutes façons puisque les journalistes relatent un tournage dans un collège Françoise Dolto du 18, 19 ou 20° arrondissement selon les articles. Le décor est à peine suggéré. Ce n'est pas un huis-clos véritable. On comprend que les personnages ont une autre vie en dehors de l'enceinte de l'établissement même si celle-ci est occultée. Aussi bien pour ce qui est des maîtres que des élèves et de leurs familles respectives. Le collège n'est pas une prison, ou un lieu d'enfermement, mais un espace régi par des codes, tiraillé par des jeux de pouvoir où l'on sait d'emblée qui sortira vainqueur, quoiqu'il advienne.

On voudrait mettre le spectateur en garde. Attention : ce n'est pas du cinéma ! Beaucoup d'enseignants ayant assisté à la projection avec moi ont été surpris par la justesse des dialogues. J'en ai entendu un s'étonner : on dirait qu'on a installé une caméra cachée pendant un an dans ma classe et dans la salle des profs. Ces répliques on les a entendues des dizaines de fois. Tout est si vrai ! La caméra suit la nuque du professeur. Le plan est maladroit comme s'il s'agissait d'un reportage sur le vif. Pourtant le film n'est pas un documentaire ni une reconstitution.

Directement adapté du roman éponyme (cela veut dire "du même titre") de François Bégaudeau, publié chez Gallimard en 2006, le scénario est écrit au plus près du réel. C'est ce qu'on appellerait maintenant une autofiction.

Le film est formidable et je l'ai apprécié sans réserves. Pourtant la lecture du livre avait été besogneuse. Le style haché de l'auteur m'avait agacée. J'avais peu d'empathie pour ce prof qui accordait plus d'importance aux tenues vestimentaires de ses élèves qu'à leurs capacités d'apprentissage. Je m'interrogeais sur ses motivations : était-ce de l'exigence ou de l'acharnement pédagogique ? Les conversations en salle des profs se résumaient à de longues litanies en boucle, comme en témoigne cet extrait (p.70) :
- c'est pas dix jours de vacances qui les calment !
- plutôt dix conseils de discipline !

- avec le ramadan c'est le bouquet.

Les plaintes des collègues étaient accablantes (à trois reprises, page 64) : çà m'emmerde carrément de revenir là (sic) ce qui dans le film est traduit par : quatre ans, quel courage (déjà ta quatrième rentrée ici, chapeau!)

La liste des élèves est passée en revue. Le prof de l'année précédente les catalogue avec peu d'hésitation : gentil / pas gentil. C'est vite tranché. Mais il faut reconnaitre aussi que du coté des élèves, la pression ne se relâchait pas beaucoup. Quand ce n'était pas l'un c'était l'autre. A croire qu'ils s'étaient donné le mot pour provoquer leur prof et le faire sortir de ses gonds, en l'attaquant aussi sur sa vie privée.

Les spectateurs des anciennes générations comprendront le risque à juger une adolescente capricieuse de "pétasse", mot qui, en langage banlieue est une insulte majeure car il signifie "prostituée". Ce qui donne un dialogue savoureux dans le livre, repris dans le film :

le prof : on dit pas traiter, on dit insulter.
l'élève : pas la peine de nous insulter de pétasses
le prof : on dit insulter tout court ou traiter de.
l'élève : çà s'fait pas m'sieur !
autre élève : c'est vrai qu'il charrie.

On a envie de dire "un point partout, la balle au centre". Ce serait oublier que justement ce n'est pas tout à fait du cinéma et qu'il y a beaucoup de souffrance derrière tout cela. La souffrance de ne pas comprendre, de sentir qu'on perd son temps, son énergie, que les dés sont pipés d'avance et qu'au bout il n'y a pas de futur. Alors comment voulez-vous que les élèves se passionnent pour la conjugaison ?

Au moins ils s'intéressent à la philosophie. Qui est l'analyse de la pensée. Les échanges sont difficiles et délicats parce que leur vocabulaire est réduit. Le risque d'erreur d'interprétation les guette à chaque détour de phrase. C'est qu'ils se vexent facilement en plus. Quand le prof leur explique un mot qu'ils connaissent ils s'énervent : m'sieur, tout le monde sait çà veut dire quoi !
Et lui s'excuse : on est toujours l'imbécile de quelqu'un.

Le combat entre profs et élèves ou entre groupe d'élèves n'est pas nouveau. Ce qui l'est c'est le contexte économique qui a tué l'espoir. L'école n'est plus l'ascenseur social qu'elle a été un temps. Et cela change tout. On voulait bien faire des efforts parce qu'on pensait qu'avec les diplômes on aurait une bonne situation. Il n'y a plus que les enseignants (et les parents) qui y croient encore, "mollement" comme le dirait Daniel Pennac. En se débattant entre la loi et l'esprit de la loi. Autrement dit en essayant de se faire respecter sans provoquer. En se raccrochant à de belles idées comme celle du permis à points. Quand un élève se conduit mal il perd un ou plusieurs points. Évidemment il aura à cœur de conserver son capital ... sauf s'il n'en a rien à ... parce qu'il sait qu'il ne se passera rien du tout s'il n'a plus de points, surtout si son rêve est d'être exclu de l'établissement.

Et que penser de ce monde où les adultes trichent aussi ? Comme en témoignent les basses manœuvres du principal du collège pour améliorer les notes de l'examen du Brevet, scène qui n'est pas reprise dans le film. Tant mieux, il aurait loupé la première place : parce que c'est bien connu, on ne récompense pas les tricheurs ! Non ?

1 commentaire:

Marie-Claire Poirier a dit…

Ce billet m'a valu des messages d'enseignants. Je n'ai pas voulu juger le film d'un point de vue pédagogique, j'en serais bien incapable mais avec mon simple regard de spectatrice.
On me donne la référence d'un article plus fouillé et ô combien excellemment écrit par un chercheur renommé, Philippe Meirieu.C'est bien volontiers que je vous oriente vers sa lecture : http://www.meirieu.com/ACTUALITE/entrelesmurs.htm

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