Une semaine après les Journées Européennes du Patrimoine un nouvel espace culturel dévoile ses coulisses ce samedi 27 septembre à des visiteurs en les guidant le long d'un parcours initiatique, sportif, chorégraphique, musical et théâtral.
Au départ chacun croyait connaitre l'endroit. Celui-ci était venu en voisin, parce qu'il habite le quartier, celui-là en ancien utilisateur parce qu'il y avait appris à nager, celle-ci en spectatrice parce qu'elle y avait assisté à des spectacles, et beaucoup d'autres en simples curieux. Aucun endroit n'est
resté secret. Tout, nous savons tout sur tout. Nous en avons vu de toutes les couleurs, ce qui est plutôt surprenant s'agissant de salles qui vivent d'habitude dans l'obscurité.
Marc (Jeancourt, le directeur) m'avait suggéré d'arriver pour 10 heures 30. Son invitation ne précisait pas "tenue correcte exigée" et malgré la suppression de l'obligation de la contrainte du smoking pour les soirées de gala de la Comédie Française (abolie par Jean-Pierre Vincent à son arrivée dans cette glorieuse maison en 1983) j'avais un tailleur noir à veste longue plutôt élégante.
Avant que la visite-spectacle proprement dite ne commence ma descente des marches vers l'ancienne salle des machines reconvertie en cafeteria a été saluée par la joyeuse musique de Cabaret interprétée par des élèves du Conservatoire. Admirons les cuves monstrueuses et remarquons l'analogie possible entre les carrés de couleur ponctuant les murs et des émaux de Briare géants. Les trompettes d'Aida (merci Verdi) m'ont vite fait remonter à la surface.
Je découvre que la matinée sera "déshabillée". Acteurs et administrateurs sont tous en peignoir. Marc est confronté à un dilemme : rester en tenue de ville ou enfiler la tenue de bains. Il opte pour un peignoir rouge, couleur fétiche de tous les théâtres. Les visiteurs font la queue pour gagner un ticket et accepter de se laisser coller une étiquette-repère sur la poitrine comme les jeunes élèves un jour de rentrée des classes.
Munie de mon ticket (jaune) et d'un auto-collant affichant une serviette (blanche) j'ai donc pris rang au sein du groupe qui m'était assigné. J'aurais tout aussi bien pu échoir dans le groupe bleu ou le groupe rouge. Trois compères agitaient leur serviette comme un drapeau national au-dessus de nos têtes.
A 11 heures pétantes Monsieur Papillon fait son entrée et démarre le programme d'échauffement corporel. Il tient à ce que nous soyons en pleine forme avant de nous jeter à l'eau.Il enchaine les étirements et nous sommes malgré tout dispensés des plus difficiles.
Il est rejoint par Monsieur Loiseau, maitre-chanteur, qui nous mettra au diapason en nous faisant respirer puis chanter une gamme de Pom Pam Pom Pom qu'interromt Monsieur Jourdain, dont le personnage est un compromis entre l'architecte (il connait toute l'histoire des bâtiments et se cramponne à d'immenses plans en guise d'anti-sèches) et le chef de gare (tant il s'inquiète que les trois groupes se retrouvent bien à l'heure dite pour être aiguillés sur de nouvelles destinations).
Il nous brosse un rappel historique sans reprendre son souffle (pour avoir tous les détails je vous renvoie au site du théâtre sur cette page mais je vous donne l'essentiel) depuis la création de la Cité-Jardins de la Butte Rouge, première à bénéficier d'un établissement de bains en banlieue en 1938 grâce aux efforts financiers conjoints des villes de Chatenay-Malabry, Antony, Sceaux et Verrières-le-Buisson et au talent des architectes, MM. Bassompierre, de Rutté et Sirvin.
La Piscine, avec ses mosaïques de dauphins et étoiles de mer, son grand bassin éclairé par la lumière du jour, son solarium, son pédiluve vert, est immédiatement un lieu de joie, de fête, d’apprentissage, de détente. En 1977 l'établissement est condamné par la concurrence d'autres bassins plus modernes. C'est la fermeture, pour connaître l'année suivante une seconde vocation, artistique. On la doit à l'obstination d'un groupe d’enseignants du Lycée Emmanuel Mounier de Châtenay-Malabry, et de Jean-Claude Penchenat, co-fondateur du Théâtre du Soleil (et animateur théâtre du lycée). C'est à la Piscine qu'il installera sa propre compagnie, le Théâtre du Campagnol. Environ 45 spectacles y seront imaginés dans des conditions parfois sommaires sur le plan pratique.
En 1982 le Théâtre du Campagnol devient Centre Dramatique National de la banlieue sud, avec pour partenaires cinq villes : Antony, Bagneux, Châtenay-Malabry, Palaiseau, Verrières-le-Buisson. En octobre 85 la Piscine est réouverte au grand public, après des travaux de transformation en véritable salle de spectacle par les architectes Reichen et Robert et le scénographe Guy-Claude François. La Piscine fonctionnera à plein régime jusqu'en 1992 .
Après le départ du Campagnol La Piscine devient Théâtre municipal. Le Théâtre du Chapeau Rouge, dirigé par Pierre Pradinas s'y implantera trois ans. Ce sera la seconde salle des Gémeaux, Scène Nationale de Sceaux, dirigée par Françoise Letellier à partir de 2001.
Et puis en 2003, se décide la transformation en un pôle culturel accueillant également un Conservatoire de musique et de danse par l’agence Nicolas Michelin et associés et le scénographe Gérard Fleury. L'agglomération toute entière des Hauts-de-Bièvre s'unit pour financer les travaux. La gestion du théâtre, après sa reconstruction, est confiée à l’équipe du Théâtre Firmin Gémier dirigée par Marc Jeancourt et le Conservatoire municipal agréé de musique et de danse à Rut Schereiner.
Monsieur Jourdain nous impressionne en alignant les chiffres : 3 ans d'études, 3000 mètres carrés d'emprise au sol, 8000 de surface utile, 7 mètres de haut, 27 cameras de surveillance ... Il nous promet 1 heure et demi de marche, des escaliers à tourner la tête. Il nous intime l'ordre de ne pas nous éloigner du groupe et met en garde les craintifs sujets à la claustrophobie.
Il distribue à ses acolytes des piles électriques, des clés, une boussole et un chronomètre. Nous sommes hilares, croyant à une bonne blague, sans nous douter qu'il a dit vrai et que deux heures plus tard nous quitterions l'établissement aussi fourbus qu'après un 2000 mètres dos crawlé.
Mais pour l'instant c'est dans l'enthousiasme que nous nous prenons la main pour ne pas nous perdre et que nous suivons Monsieur Loiseau dans les dédales du Conservatoire : 800 élèves, 50 professeurs, 20 classes d'instruments, et même des studios d'enregistrement !
Le grand bassin est méconnaissable et le temps de scander un hommage à Archimède on se dirigera en file indienne vers l'auditorium pour écouter l'ode à Ruth après avoir bourdonné de concert. Le texte, enroulé comme un ancien parchemin, nous est offert. Nous descendons les marches avant de monter la gamme. La directrice du conservatoire accompagne au piano un Lied de Schubert qui met en résonance l'acoustique de la salle.
Ce doit être la mélancolie de ce morceau qui m'incite à comparer la gamme chromatique froide de l'espace musique en contrepoint à la gamme chaude de l'espace théâtre. A l'étage, la circulation est silencieuse pour ne pas troubler le travail des danseurs.
Et nous voici tous réunis au Foyer le temps d'une petite pause boissons. Monsieur Papillon se saisit de la serviette blanche et mon groupe lui emboite le pas dans un joyeux brouhaha.
Nous surplombons les machines en empruntant la passerelle qui relie le foyer à une salle de réunion, laquelle débouche sur l'escalier Est qui est resté pratiquement tel qu'à l'origine. La mosaïque 1930 est intacte. Plus émouvantes sont les inscriptions tracées à la peinture bleue "toilettes" flèche vers le haut, "administration" flèche vers le bas, qui ne riment plus à rien depuis le départ du Campagnol.
Nous sommes maintenant dans l'entrée principale, aujourd'hui hall d'accueil. Elle a perdu ses dauphins et ses étoiles mais elle a gardé les futs cannelés de ses colonnes.
Reprenons quelques exercices avant de sortir à l'extérieur pour rejoindre la petite salle du pédiluve par l'entrée des Artistes. Avec une jauge de 80 places elle accueillera les jeudis soirs une programmation musicale allant de la chanson française au jazz en passant par des expressions nouvelles.
L'endroit est stupéfiant pour qui n'a pas connu les bains chatenaisiens. L'éclairage renforce l'originalité de la scénographie. Il s'en dégage une atmosphère est très spéciale. Cela tient de la boite de nuit, du club de jazz et du site archéologique.
Un poisson rouge, baptisé Jean-Claude (hommage évident au fondateur du Campagnol) bulle avec insouciance au centre de la mosaïque céladon.
Le professeur de harpe du Conservatoire nous offre quelques accords.
Quelle envie aurions-nous de rester mais la visite reprend. La sortie résurge sur la grande salle des machines qui va nous livrer ses secrets.
La cité-jardin était un modèle de modernisme avant-guerre. Un exemple parmi d’autres : le fameux évier-vidoir Garchey qui aspirait tous les détritus ménagers directement dans l’évier et les expédiait vers l’usine de retraitement pour chauffer l’eau de la piscine. Les ordures voyageaient par simple gravité. C'était ultra-écologique. Sauf que voilà, à cette époque, les foyers consommaient encore peu. Il y avait relativement peu de détritus. En tout état de cause insuffisamment pour amener toute l'eau du grand bain à une température acceptable. Il ne suffit pas d'être précurseur, il faut être efficace. On a donc équipé le bâtiment de classiques chaudières à charbon. Quand le fuel a été plus compétitif ce furent dans ces deux énormes cuves de 10 000 litres qu'on stocka les réserves.
Après avoir été trop en avance, l'établissement écopa de plein fouet la crise pétrolière. La piscine revenait trop cher et elle fut désaffectée. Les machines se turent. Elles ne sont plus aujourd'hui que des éléments décoratifs qui témoignent d'un passé, pas très ancien, du temps où les enfants des écoles venaient apprendre à nager dans une eau transparente, en suivant les dauphins sous un puits de lumière.
L'assistante de Monsieur Papillon brasse des petites fioles dans un panier avec un bruit de galets. Chacun conservera un peu d'eau en souvenir.
Nouvelle halte pour un dernier échange de serviette. Nous partons à l'assaut du théâtre derrière Monsieur Jourdain. D'abord les loges, très lumineuses, équipées de douche. On nous distribue un plan de coupe pour preuve de la complexité architecturale.
La passerelle du premier Service est déjà impressionnante : nous marchons à 9 mètres au-dessus du plateau (la scène). Les rideaux et les décors sont manœuvrés par un système de perches actionnées par des paniers lestés de contrepoids coulissant dans une cheminée. Jusqu'à 500 kilos qui doivent être équilibrés au Jardin.
(Quand on regarde la scène depuis la salle le Jardin désigne le coté gauche, la Cour le coté droit, parce qu'à Versailles il y avait un jardin d'un coté et une cour de l'autre. c'est Molière qui eut l'idée d'employer ces termes pour diriger les déplacements de ses acteurs. Sur scène la droite et la gauche n'ont plus de sens dès qu'on s'y déplace)Tout cela tient par des cordes. Mais pas question de prononcer ce mot là. On avait trop peur d'attirer le malheur sous la forme d'un incendie. Il faut se souvenir qu'il y a quelques siècles les lumières étaient des torches et des bougies (les fameux "feux" de la rampe) et que le rideau pouvait s'enflammer en moins de temps qu'il n'en fallait pour évacuer la salle.
Alors on dit ce qu'on veut : cintres, soie, ficelle, mais surtout pas c...
Les expressions techniques sont jolies mais hermétiques, jugez plutôt : il est question de 40 américaines de la face au lointain et 2 à l'allemande avec une ouverture à la grecque. Et Monsieur Jourdain nous entraine encore plus haut, sur le grill. Enfin ceux qui n'ont pas le vertige parce que la sensation est forte.
Cà n'a pas l'air impressionnant pour vous qui regardez l'écran de votre fauteuil ? Mais imaginez que sous nos pieds, tout en dessous, il y a la scène ...
... 18 mètres plus bas. Décidément on aura tout vu. Le parcours aura été sportif comme on nous l'avait promis. Nous redescendons sur l'arrière scène et la salle de répétition. On nous regroupe derrière le rideau qui se relève pour qu'une fois dans notre vie (de spectateur) nous puissions ressentir l'émotion de l'acteur face au public.
Sauf que pour cette fois la salle est vide. C'est sûrement nettement moins impressionnant.
La salle a les mêmes normes que la Scala de Milan. Vue d'ici on dirait une ruche, ou encore l'intérieur d'une de ces installations imaginées par
Louise Bourgeois et dont le Centre Pompidou a exposé quelques spécimens au printemps dernier. On se croirait entre les pattes d'une araignée géante.
Nous quittons le proscenium
pour prendre place dans les gradins.
Nos guides endossent pleinement leur rôle d'acteurs pour jouer les deux premières scènes du Bourgeois gentilhomme.
L'illustration parfaite de l'accord entre Musique, Danse et Théâtre.
Tous trois aussi essentiels.
Après le classique salut final le directeur du Théâtre distribuera deux abonnements de 3 spectacles à celui qui, par hasard, avait un tampon au dos du poème distribué dans l'auditorium, et à qui avait reçu le plan du re-de-chaussée au lieu du théâtre en coupe. Ceux qui purent montrer des grains de couleur dans leur flacon d'eau bénéficièrent d'une place pour un concert au pédiluve.
Puis nous nous quittâmes dans la joie et la bonne humeur en promettant de revenir bientôt dans cette maison qui est désormais la nôtre.
Contacts :
THÉÂTRE LA PISCINE - 254 AVENUE DE LA DIVISION LECLERC - 92290 CHATENAY-MALABRY
THÉÂTRE FIRMIN GÉMIER -PLACE FIRMIN GÉMIER - 92160 ANTONY
ESPACE CIRQUE D’ANTONY - RUE GEORGES SUANT - 92160 ANTONY
(QUARTIER PAJEAUD - SUD D’ANTONY)
renseignements, un seul TÉLÉPHONE : 01 46 66 02 74
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