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mardi 23 septembre 2008

Une journée européenne du patrimoine dans une ancienne manufacture royale de cires

N’allez pas croire que je campe à Antony (92) mais cette commune est suffisamment attractive pour que j’y vienne souvent butiner. Les religieuses de Saint-Joseph-de-Cluny ouvraient avant-hier exceptionnellement les portes de leur Communauté du 14 avenue du Bois de Verrières.
Un public attentif était convié à intervalles réguliers à emboîter le pas d’une sœur ainée. Nous étions ainsi près de 300 personnes à la dernière séance de l’après-midi à battre le pavé d’un domaine qui s’étendait il n’y a pas si longtemps encore jusqu’au bout de l’angle de la rue et remontait jusqu’au cimetière. Selon les endroits il nous fallut plus ou moins d’imagination pour faire parler les vieilles pierres.

Voici ce qui fut successivement une chapelle, une grange puis un dépôt. Ce bâtiment n’est sauvé de la désaffection que parce que le chef de chœur de la maîtrise Notre-Dame a besoin d’y entreposer des archives. Pourtant sa charpente, en châtaignier selon toute vraisemblance, est parfaitement intacte et ressemble à une barque à l’envers, ce qui n'est constatable, je vous l'accorde qu'à condition de pénétrer à l'intérieur et de lever lesyeux sur les poutres.
Les deux fenêtres extérieures, maintenant murées, devaient être éclairées de vitraux, preuve supplémentaire qu’il s’est bien agi d’une chapelle. On dit que la charpente à volige, intacte depuis la construction, est plutôt remarquable et comparable à celle du palais du Tau, où résidaient les rois avant leur couronnement en la cathédrale de Reims à laquelle il est accolé.

La promenade avait finalement à voir avec une forme d’archéologie urbaine. Il reste si peu de la maison de maîtres qui occupait majestueusement les lieux qu’on ne saurait deviner qu’il y a à peine cinquante ans ses escaliers croulaient sous une abondante floraison. Les rosiers ont été arrachés. Les façades ont été démolies. La pièce d’eau s’est évaporée. De longues et hautes barres d’immeubles d’habitat collectif ont surgi à sa place dans les années 60, sacrifiant, comme dans beaucoup d’autres endroits, le passé à ce qu’on croyait alors être le progrès. Ne subsistent aujourd’hui qu’une aquarelle, un couple de platanes et, aussi, -épargné comme par inadvertance par les pelleteuses meurtrières et l’urbanisation galopante- ce « banc-couvert » où les novices s’abritaient des intempéries pour peler les carottes et les pommes de terre.
Qui vient désormais s’y recueillir ou échanger des confidences le cœur léger ? Une solide muraille d’enceinte a été élevée pour protéger les actuels propriétaires de toute intrusion malvenue. Ironie du sort : ce sont les sœurs qui sont les plus à plaindre car autant elles sont privées de leur ancien patrimoine, autant les nouveaux venus ont une vue plongeante sur ce qui reste aux anciens, les privant ainsi de toute intimité.

Elles réalisent néanmoins toujours avec cœur les travaux de jardinage et d’entretien du domaine malgré la vétusté du cadre comme en témoignent ces photos.
Le charme qui émane du verger est bien réel. Les arbres fruitiers continuent de produire de précieux desserts.
Les ronces offrent de lourdes et appétissantes baies noires.

L’ensemble demeure bucolique et l’ancienne cour des communs semble hors du temps. Mais aucun cheval ne hennit plus dans les écuries devenues des dépotoirs,
aucune plante exotique ne s’épanouit plus dans les serres transformées en réceptacle à fumier,
aucun bricolage ne s’effectue plus dans la remise … Ne restent que des vestiges qui sollicitent notre sensibilité pour nous raconter ce qu’étaient ces endroits autrefois. Encore faut-il que nos propres souvenirs nous aident à reconstituer le passé.

Difficile en effet d’imaginer les sœurs allant livrer le lait en carriole à Paris. Difficile d'oublier que nous sommes en pleine ville. Difficile également de voir autre chose ici qu’une vaste pelouse.
C’était l’Herberie où après avoir travaillé la cire on la répandait sur des draps blancs pour que le soleil l’éclaircisse. Car la fabrication des bougies destinées à l'éclairage de la Cour se faisait en quatre étapes : récolte de la cire dans les ruches, fusion dans les bâtiments de la fonderie, blanchiment sur le pré à l'herberie, et enfin coulage à la fabrique. L'exclusivité de la production relevait de la conjonction entre la présence d'abeilles à Antony et la qualité des eaux de la Bièvre, filtrée par le gypse. La blancheur obtenue conférait à la production une valeur haut de gamme.
Comment croire que des tonnes de cire ont été brassées ici même dans les bacs dont la forme se devine sous la verdure ? Le précieux produit provenait certes des ruchers voisins mais il pouvait aussi être importée d’Inde ou des Cotes Barbaresques, comme on appelait autrefois les pays du Maghreb.

C'est en effet dans ce domaine que se trouvait l'ancienne manufacture royale (
L'appellation royale ne signifie pas qu'elle appartenait au roi, mais qu'elle avait été autorisée par le roi, par lettres patentes) des cires dont le nom exact était « Manufacture d'Antony pour le blanchissage des cires et la fabrique des bougies ». Fondée en 1702 par Brice Péan-de-Saint-Gilles, elle devient manufacture royale en 1719 et très rapidement l'une des plus importantes de France.

Le bâtiment d'origine a été construit en 1714. On y produisait donc les bougies et les chandelles pour la cour de Versailles et les autres châteaux de la région. En 1737, les Trudon rachètent la manufacture.
Sa devise, lisible sur la plaque qui orne toujours le bâtiment, était Deo, regique laborant, c'est-à-dire Elles (les abeilles) travaillent pour Dieu et pour le Roi.

L'inventaire de 1756 précise que 100 000 cierges et bougies sont disponibles pour la vente, ainsi que 20 000 flambeaux. Les flambeaux sont des cadeaux très appréciés. Les nobles et les bourgeois de Paris sont des clients assidus des boutiques Trudon, à Paris et à Versailles. On reçoit des personnalités à dîner ici-même à Antony. On raconte qu'un soir Louis XIV y fut convié avec d'autres invités. L'un d'entre eux, célèbre fabuliste n'arriva jamais. Il s'était attardé dans les bois environnants passionné par les déambulations de ... fourmis. C'était Jean de la Fontaine.

Entrée en décadence, la manufacture disparaît vers 1884 et les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny s'y sont installées en 1890.

Le domaine actuel est paisible et convient bien à un lieu de repos. Un solarium a été conçu dans l’extension du bâtiment principal pour permettre aux sœurs qui revenaient des colonies de se « refaire une santé ».
Quelques statues sont érigées dans les jardins : la Vierge Marie bien sur ... mais aussi Anne-Marie Javouhey, la fondatrice bourguignonne de la congrégation (1779-1851), la première à partir en mission, en 1817 pour l'île Bourbon (La Réunion) puis au Sénégal en 1822. On rapporte qu'elle avait fait un songe. Sainte Thérèse d'Avila lui était apparue entourée d'enfants de couleur en lui prédisant : "voici les enfants que Dieu te donne". Quand Anne-Marie arriva en Afrique elle s'étonna de la couleur de la peau des enfants (jusque là elle n'avait jamais vu de semblables), et repensa à son rêve. C'est elle qui, la première aussi eut le courage de libérer les esclaves, bien avant Schoelcher.

Une horloge avec timbre à marteau surmonte alors le toit de l'ancienne manufacture. On la surnomme « la Trudonne » en souvenir de Madame Trudon qui a offert cette horloge à la centaine d'employés y travaillaient. Le mécanisme d'origine (qui constitue l'un des premiers mécanismes d'horlogeries d'édifices publiques recensés en France) nécessitait une intervention journalière pour le remontage des poids et de la sonnerie. Son électrification, dans les années 70, a simplifié le quotidien et permis au carillon cristallin d'égrener sans effort les heures de la journée. Elle conserve, sur le cadran de la cour intérieure, les chiffres d'origine posés en 1789.

Nous terminons le périple par la visite de la nouvelle Chapelle, construite en 1929, dotée d’une excellente acoustique, de vitraux sobres mais lumineux. L’autel d’origine a été simplement retourné depuis qu’un Concile décida que les prêtres ne célèbreraient plus la messe en tournant le dos aux fidèles. Nous avons l’explication de l’inscription JHS qui y figure : Jesus Homo Salvator, Jésus Homme Sauveur.

Une des particularités de l’édifice est d’être relié au corps de la maison de retraite par deux coursives. La première communique avec le rez-de-chaussée et dispense de quelques marches les sœurs souffrant de rhumatismes. La seconde, à l’étage, autorise d’assister aux offices sans quitter son fauteuil roulant. C’est alors le prêtre qui monte pour donner la communion. Comme quoi lorsqu’on veut adapter un bâtiment aux personnes porteuses de handicap il existe des solutions …

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