
Il commence sur une scène de baignade qui manifestement agace Mouna (Rim Monfort), pressée de renter à la maison avec sa mère (Camélia Jordana) tandis que résonnent les paroles de Minouche, la si jolie chanson de Rachid Taha en 2019 :
Minouche, ma minouche
Pourquoi tu te fâches?
Ne prends pas la mouche
Ma jolie peau de vache.
Pour son second long-métrage, après le très remarqué Divan à Tunis, avec la même actrice principale, et abordant déjà le thème de la psychanalyse Manele Labidi installe ses personnages Porte de Vincennes. Bien que très attachés à leurs origines ils se sont parfaitement intégré dans un quartier qu'ils adorent et où ils ont fait une demande de logement social depuis déjà 7 ans. Car ils savent que leur appartement n'est qu'une solution provisoire.
Amel est un personnage haut en couleur. Elle a du tempérament, de l’ambition pour ses deux filles, une haute estime d’elle-même et forme avec Amor (Sofiane Zermani) un couple passionné et explosif. Malgré les difficultés financières elle compte bien ne pas quitter les beaux quartiers.Mais la famille est bientôt menacée de perdre son appartement tandis que Mouna, l’aînée des deux filles, se met à avoir d’étranges visions de Charles Martel (Damien Bonnard) après avoir appris qu’il avait arrêté les Arabes à Poitiers en 732… Amel n’a plus le choix : elle va devoir se réinventer !
Le film traite plusieurs thèmes en parallèle. La mère a une volonté farouche de faire grimper toute la famille dans l'échelle sociale. D'abord ses filles, et ce n'est pas un hasard si elle les a scolarisées à la Providence puisqu’elle n’est pas catholique mais elle en a saisi ce qu'elle pense être une opportunité, ce qui ne l'empêchera pas de faire l'erreur d'appliquer du henné sur les mains de Mouna. On l'entend régulièrement répéter à Mouna avant de la lâcher devant la porte de l'école : Je suis drôle, intelligente, belle (sous-entendu parce que je suis ta fille), équivalent à l’incantation de la mère (juive) de Roland dans le film Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan.
Elle se refuse longtemps à travailler à l'extérieur du foyer et ne s'y résoudra que pour des raisons financières graves. Mais elle n'accepte pas d'occuper une position qu'elle estime humiliante (tout en faisant très bien le travail demandé). Son refus de se plier au code est mal jugé par sa supérieure hiérarchique (Marie Rivière, très fine dans ce rôle) : T’es la fille d’un fermier qui se prend pour la reine d’Angleterre, lui reproche-t-elle parce qu'elle ne porte jamais sa blouse de service. La jalousie de cette femme est manifeste : Tu te la pètes quoi ? Ce qui est très réussi dans la direction d'acteurs c'est que Camélia Jordana est d'une dignité absolue en femme de ménage
Elle a beau dire Ni je juge, ni je parle, le spectateur ressent la moindre de ses critiques. Et son franc-parler lui vaut bien des déboires, lourds de conséquences.
Les injonctions de la chef sont préoccupantes car Amel risque de perdre son travail. Et pour commencer elle est privée d'assister aux cours qu'elle suivait à l'université (sur son temps de repos). S'ajoutent à ces brimades le harcèlement dont sa fille Mouna est victime de la part de ses camarades malgré la sollicitude de son institutrice de CM2 (Clémentine Poidatz) qui peine à prononcer le mot "arabe" et qui a bien conscience de la responsabilité de l'institution scolaire puisque c'est suite à un cours d'histoire annonçant la victoire de Charles Martel contre les arabes à Poitiers que les ennuis ont commencé.
La pression scolaire combinée à la crainte de perdre "leur maison" va provoquer chez la jeune fille des symptômes psychiatriques se manifestant par des hallucinations. Charles Martel (Damien Bonnard) va lui apparaitre, d'abord comme personnage maléfique, puis très vite comme allié.
Le film peine un peu à trouver une justesse de ton qui le rende crédible. Il me semble qu'une bascule positive s'opère avec la scène d'analyse du tableau Bataille de Poitiers, de Charles de Steuben (1837) qui figure dans tous les manuels et que la classe va admirer au musée. Le ridicule de la composition est décortiqué. Il est manifeste que cette "reconstitution", mille plus tard, est mensongère et excessive. Et que finalement les visions de l'enfant ne sont pas plus irréalistes que cette oeuvre.
Le roi va devenir cet ami imaginaire si essentiel pour protéger l'enfant dont l'enseignante fait un éloge émouvant aux parents : Laissez-lui son imaginaire signe de grande intelligence.
Le père (Sofiane Zermani) fait ce qu'il peut pour tenir le navire en se tuant à la tâche et en prenant grand soin de sa clientèle. Il y a de très jolis moments de partage familiaux comme le pique-nique sur les chantiers du père qui se répètent comme un rite. Mais, comme beaucoup d'hommes à cette époque (nous sommes en 1984) cet homme reste loin des contingences matérielles, incapable de donner le prix de 6 œufs.
La scène de maraboutage était inévitable. C'est un grand moment. La réalisatrice a fait la part belle à l'humour. Les moments passés entre copines sont très savoureux. L'apprentissage de la conduite automobile nous vaut des scènes d'anthologie. T’es loin d’être prête la prévient la directrice de l'auto-école (formidable Saadia Bentaïeb, qui cofonda dans les années 1990 la compagnie Louis Brouillard avec Joël Pommerat, et que nous avons beaucoup vue au théâtre). Amel l’a déjà loupé 4 fois de suite, et ce n'est peut-être pas la dernière fois.
Il y a aussi beaucoup d'amour entre tous. Vous êtes mes p’tites sardines jure cette Maman au grand coeur. Kenza, la petite soeur, est attendrissante. Manele Labidi a utilisé des artifices astucieux pour construire une ambiance propice au rêve, filmant les acteurs à travers une brume, ou derrière la buée d'une vitre de salle de bains.
Il faut, certes, adhérer au concept d'ami imaginaire, mais tout se tient. Y compris la jolie scène de danse en noir et blanc entre la mère et Martel (illustrant peut-être l'expression se mettre martel en tête). On comprend qu'Amel a pris le parti de sa fille, ce qui se concrétise dans la scène finale … que je vous laisse découvrir mais dont l'affiche donne un indice.
Voilà un second film qui confirme le talent de Manele Labidi dont on attend déjà le troisième film.
Reine mère, un film de Manele Labidi
Avec Camélia Jordana, Sofiane Zermani, Damien Bonnard, Rim Monfort, Marie Rivière,
Clémentine Poidatz, Farida Rahouadj, Saadia Bentaïeb …
En salles depuis le 12 mars 2025
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