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lundi 30 juillet 2018

La Magie lente

La Magie lente commence comme une conférence. On va nous raconter la petite histoire de Monsieur Louvier qui, après avoir été diagnostiqué schizophrène par un psychiatre, découvrira une toute autre vérité à la faveur d'un changement de praticien.

Benoît Giros est bouleversant. Il incarne tous les personnages (sans utiliser le moindre accessoire) avec autant de naturel.

On ne perd pas une bribe des conversations. On le croit parce que le texte de Denis Lachaud est implacable mais on se demande pour quelle raison  une telle aberration est possible.

Certaines répliques tracent leur chemin longtemps dans notre esprit : nous ne sommes pas ce que nous semblons être. Personne.

Le dernier mot, merci, fait multiple sens. C'est celui du patient qui gratifie le thérapeute, celui du conférencier qui salue son auditoire mais aussi celui du comédien qui salue le public.

Comment on peut rester dix ans à ne pas dire ce qu'il faudrait entendre...

Le spectacle donne une ébauche de réponse et met d'abord en cause le premier psy (ce qui fait que je comprends qu'un homme du "métier" ait détesté cette histoire qu'il a qualifiée de pot aux roses, totalement inconcevable à ses oreilles).

Et quoiqu'en pensent les professionnels il est (aussi) très intéressant de savoir que le "scénario" a été inspiré à l'auteur par un chef de service hospitalier, passionné par le théâtre, acteur lui-même, qui avait accepté de superviser l'écriture de la pièce, afin que les psychiatres soient vraiment des psychiatres, et les patients d'authentiques malades. Il a un jour suggéré d'aborder l'erreur de diagnostic, très courante en matière de psychose.

Denis Lachaud avait donc écrit une première scène en s'inspirant du cas d'un homme, diagnostiqué schizophrène puis, quinze ans plus tard, re-diagnostiqué bi-polaire, dont ce chef de service lui avait exposé quelques aspects. Il a ensuite inventé les éléments biographiques du patient concerné, l'a nommé M. Louvier, lui a composé un passé, avec des viols dans son enfance, et a imaginé le déroulement de sa cure psychanalytique.

Bien qu'il y ait plusieurs personnages – le psychiatre, qui fait une communication sur le cas, le patient, son nouveau et son ancien psychiatres, son oncle, les voix qu'il entend – l'auteur a tenu à ce que le texte soit pris en charge par un seul comédien  Pour résonner avec les pathologies psychiatriques évoquées, à savoir la schizophrénie et la bi-polarité. Le metteur en scène va encore plus loin, puisque c’est l’acteur qui assure la régie, se chargeant des lumières et de la bande son, à l'instar d'un conférencier devant son auditoire.

Initialement intitulé Mon mal en patience Denis Lachaud a opté pour un autre titre parce que Sigmund Freud comparait la psychanalyse à une magie lente.

Il y a donc bien une question de temps dans le processus (même lorsqu'il n'est pas dévoyé par un praticien aveugle). C'est pourquoi Pierre Notte a voulu rendre la quête d’un homme cassé appelé à se reconstruire, par la voix de l'acteur, dans un écrin d’une simplicité extrême. Rigueur radicale, rythme tenu, tension préservée, musique théâtrale d’un mystère qui avance, d’un temps qui va de l’obscurité vers la lumière, de l’enfermement vers la liberté.
La parole, et uniquement elle, va progressivement faire son chemin pour permettre à cet homme de faire confiance en ses réminiscences, découvrir qui il est et pouvoir se réconcilier avec lui-même. Sa libération se dessine au fur et à mesure du récit de la tragédie simple, mais atroce, d'une enfance massacrée. 
Vous êtes courageux dira le psychiatre pour l'aider à ouvrir les bons verrous. Le spectateur assiste à la découverte douloureuse de la vérité en ressentant de multiples émotions, jusqu'aux rires aussi, plutôt fréquents parce que le spectacle n'est pas du tout triste ni plombant. On le recommande à partir de 15 ans, ... J'ajouterais qu'il a néanmoins besoin d'un accompagnement. parce qu'on le sait : Les enfants épargnent les parents. Ils taisent leur honte. Ce qui n'est pas dit pourrit dans le noir.
J'ai consulté le dossier de presse et j'y ai découvert des chiffres alarmants. Pour résumer, 1 homme sur 10 a été violenté dans son enfance (sachant que dans la salle il y a  ... spectateurs, le calcul est troublant) et la statistique est double parmi les femmes.

Les agresseurs ne sont pas des inconnus, et c'est sans doute le plus terrible car le loup est un familier, un membre de la famille dans plus de la moitié des cas. Il est donc presque impossible de se dégager de son emprise d'autant que 70% des parents préfèrent attendre d'avoir des preuves avant d'agir.

4 victimes sur 10 font des tentatives de suicide. Ne rien faire c'est aggraver la spirale des violences qui se reproduisent de proche en proche et de génération en génération, ce que dénonçait déjà un film comme Polisse.

Denis Lachaud est écrivain associé au CDN d’Orléans depuis 2007. Il est l'auteur de plusieurs romans et de neuf pièces de théâtre. Hetero, a été mis en scène par Thomas Condemine au Théâtre du Rond-Point puis en France en 2014.

Pierre Notte a mis en scène ses propres textes, notamment C’est Noël tant pis, la formidable Histoire d’une femme (programmée aussi cet été au festival), Sur les cendres en avant, Les Couteaux dans le dos, Pour l’amour de Gérard Philipe, Ma folle otarie, ou la version japonaise à Tokyo de Moi aussi je suis Catherine Deneuve. Il a également mis en scène Night in white Satie et Noce de Jean-Luc Lagarce, également visible en Avignon.

La Magie lente de Denis Lachaud
Mise en scène de Pierre Notte
Avec Benoit Girod
Du 4 au 15 avril 2018 au Théâtre de Belleville à Paris
Du 6 au 27 juillet 2018 à 19 h 40
Relâches les dimanches 8, 15 et 22
Au Théâtre Artéphile • 7 rue du Bourg Neuf • 84000 Avignon • Tél : 04 90 03 01 90
Texte publié en 2018 chez Actes Sud-Papiers

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