Ich bin Charlotte, le titre est en allemand, une évidence pour présenter la vie "incroyable" (mais vraie) de Charlotte von Mahlsdorf, (1928-2002), que retrace Doug Wright après une longue et minutieuse enquête.
Thierry Lopez est Charlotte, mais aussi une trentaine de personnages à qui il donne vie sans changer une seule fois de costume, démontrant son immense talent de comédien.
Il était très drôle dans la reprise de Nuit d'ivresse et j'avais hâte de le voir dans un registre qui ne serait pas comique. Il est juste époustouflant et le public parisien est bien chanceux que le spectacle soit déjà annoncé pour la rentrée au Poche Montparnasse.
J'ai placé une petite vidéo à la fin de l'article pour convaincre les sceptiques de ne pas le manquer. Parce que c'est peu descriptible. Décor, costume, musique, tout est pensé intelligemment pour rendre l'atmosphère d'un XX° siècle berlinois marqué par deux régimes très répressifs, les nazis comme les communistes, où néanmoins un personnage hors normes a pu rester soi-même, enfin on veut y croire malgré quelques doutes sur ses relations à la Stasi.
Il/Elle ... on ne sait quel pronom utiliser. Disons Charlotte puisque tel est le prénom qui l'a fait connaitre. Charlotte est, nous dit-on, une femme piégée dans un corps d’homme. Piégée sans doute, mais libre. C'est ce qui fascinait en son temps, et qui encore aujourd'hui demeure extraordinaire.
Ce fut Lothar Berfelde à l'état-civil. Le prénom de Charlotte en est la déclinaison tandis que le patronyme, Mahlsdorf, est celui de son quartier, situé le plus à l'Est de la capitale. C'est une personnalité transgenre toujours emblématique de la communauté LGBT. Son autobiographie, intitulée Ich bin meine eigene Frau (Je suis ma propre femme), a été portée à l'écran par le réalisateur allemand Rosa von Praunheim en 1992. Charlotte von Mahlsdorf y jouait son propre rôle dans une partie du film.
C'est bien plus tard que le dramaturge américain Doug Wright écrivit la pièce I Am My Own Wife d'après ses propres recherches sur la biographie de Charlotte von Mahlsdorf, décédée deux ans plus tôt et qui lui valut le Prix Pulitzer 2004 du texte dramatique. Le comédien Jefferson Mays collectionna les récompenses pour son tour de force d'interpréter seul en scène 35 personnages.
Thierry Lopez relève le défi avec (sans doute ... parce que je n'ai pas vu la création américaine) autant de bio. Il passe de l'un à l'autre d'une inflexion de voix, d'un accent, d'un geste et c'est magique. Le parti-pris est fidèle à l'histoire. Charlotte n'utilisait pas d'artifice, ni maquillage et portait avec élégance jupe, talons et sautoir de perles. Alors Thierry est complètement légitime en longue robe noire.
Charlotte est emblématique pour de multiples raisons. Soutenir tous les réprouvés dans un Berlin-Est où régna ensuite l'oppression communiste aurait suffi à en faire une personnalité. Il faut se souvenir combien la RDA persécutait les travestis et les homosexuels.
Ce qui l'a sauvée c'est peut-être d'abord d'avoir eu un père militant du Parti Nazi (avec l'inconvénient qu'il fut violent et autoritaire), puis d'avoir fondé en 1958 le Gründerzeit Museum, à Berlin-Mahlsdorf, ouvert aux visiteurs, dans un manoir en ruine qu'elle restaura et où elle entreposa ses collections de meubles et d'objets domestiques allemands du XIX°. L'art permet de tenir tête aux oppresseurs.
Là encore le choix du décor est cohérent, même si la scène encombrée de gramophones surprend le spectateur non averti. On comprend vite que Charlotte s'est pris de passion pour les meubles et les objets de la fin du XIX°, qu'elle a préservé des griffes du régime nazi, qui estimait que ces objets appartenaient à un art dégénéré.
Et la dernière phrase : il faut tout sauver, rien oublier, tout montrer peut être comprise aussi au second degré comme sauver les meubles.
Charlotte est fascinante et nous questionne sur l'identité, la vérité et la liberté. Guillaume Py, le directeur de l'officiel Festival d'Avignon avait prévu le genre comme thématique. Le off n'est pas en marge avec cette création, une production de Jean-Marc Dumontet, présentée en primeur aux festivaliers en coréalisation avec le Théâtre du Chêne noir.
La mise en scène est admirable de sobriété et d'efficacité. Tout est joué avec simplicité, y compris les évocations à l'univers du cabaret. On comprend ce que fut la vie de cette figure hors du commun, entre fascination et scandale, toujours subversive et dont le "mystère" fut sans doute d'oser rester complètement libre.
Il y a beaucoup de moments d'émotion. Ich bin Charlotte aurait pu être un spectacle d'une immense gravité. Il est tout à fait respectueux du personnage sans renier un souffle de légèreté (on rit souvent) qui aurait beaucoup plus à Charlotte.
On en ressort captivé avec l'envie d'en savoir un peu plus sur ce personnage qui n'est pas de fiction. Aurait-on été séduit ? On se souviendra quand même que des dossiers de la Stassi découverts quelques années après la chute du mur de Berlin, témoignent d'une autre personnalité. Charlotte aurait-elle joué double jeu ? On voudrait croire que non.
Il faut sans doute voir le spectacle plusieurs fois pour percer son mystère.
Adaptation de Marianne Groves
Mise en scène Steve Suissa
Avec Thierry Lopez
Lumières Jacques Rouveyrollis, assisté de Jessica DuclosDdécor Natacha Markoff
Costume Jean-Daniel Vuillermoz
Chorégraphie Anouk Viale
Du 06 au 29 Juillet à 20h45 – Relâche les lundis 9, 16 et 23 juillet
Au Théâtre du Chêne noir • 8bis, rue Sainte Catherine • 84000 Avignon • Tél : 04 90 86 74 87
Au Poche Montparanasse à partir du 8 septembre 2018 du mardi au samedi à 21 h, le dimanche à 15 h
A partir du 16 Novembre et ce jusqu’au mois de Janvier 2019 avec ces nouveaux horaires :
Le Vendredi et le Samedi à 19h
Le Dimanche à 15h
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