Dernier jour de festival en ce qui me concerne mais il se poursuit jusqu’au 31 juillet.
Quel dommage ç’aurait été que je ne trouve pas de créneau pour le spectacle que L'autre Compagnie présente au Théâtre Transversal à 10 h 45.
Noir et humide est un bijou.
Et surtout n’allez pas vous imaginer que, parce que c’est un conte, il est pour les enfants. J’ai dégusté cette heure comme un moment de grâce.
Ça commence dans un noir absolu, les oreilles en étau dans des sons étranges qui ne sont pas familiers, sans être pour autant désagréables. On devine la comédienne avant de la découvrir, sobrement vêtue d’une robe noire, le visage éclairé, comme serti dans une chevelure qui compose une couronne.
Elle est assise face à un micro, lequel soutient sa voix car elle est en immersion constante dans un univers sonore composé de nappes de synthétiseurs et de rythmes électroniques traversés parfois de ces notes échappées de ces petits moulins que les enfants tournent à la manivelle. C’est le musicien Vincent Hours, installé à cour avec ses appareils qui joue en direct, ce qui instaure une épaisseur au récit.
Camille Carraz raconte, avec des mots et avec des gestes de main très précis, sorte de langue des signes des émotions qui suivent une chorégraphie captivante. Sa voix est posée, encourageante, sans l’ombre d’une angoisse. Sa prononciation est parfaite et elle dit les didascalies, au rythme des mouvements de ses mains. Le texte se répète par bribes, comme dans un conte de randonnée typique de la littérature jeunesse où le récit avance à la manière d’un crabe, en reculant avant de progresser.
Derrière elle, le décor est un tableau noir et blanc, aux allures de vitrail, qui évolue à l’instar des images de ces albums où l’on perçoit des formes en 3D grâce aux autostéréogrammes qu’on appelle aussi des anaglyphes. Chaque page présente deux images en 2D d'un même objet prises sous un angle légèrement différent, afin que le cerveau puisse reconstituer une vue 3D de cet objet. Il suffit pour cela que le cerveau fasse un effort oculaire de convergence et de mise au point dissociée de l'accommodation. Le cerveau analyse les deux images pour n’en faire qu’une. On appelle ça la vision stéréoscopique.
A ceci près qu’ici c’est la vidéaste-plasticienne, Pauline Léonet, dont la régie est à vue, à jardin, qui opère et qui fait apparaître les objets cités. Le spectateur est ainsi dans un espace qui tient du studio de création et dont il s’évaderait sans y prendre garde, comme pris par la main et conduit par la conteuse dans la maison de la petite fille.
On suit Lene, une petite fille qui profite de l'absence de sa mère pour faire ce qui lui est interdit : descendre à la cave, là où il fait noir et humide et où il y a des choses noires et humides qu'elle ne connait pas. Elle devra surmonter sa peur, dérober la lampe torche de son frère Asle et surtout trouver la force de désobéir ...
Tout est si juste que la mise en scène pourtant très précise de Frédéric Garbe se fait oublier. On est embarqué, par la voix, les gestes, la musique et les images qui, ensemble, exerce un attrait hypnotique qui nous autorise à entrer dans la tête de l’enfant.
Des pauses offrent des moments de respiration pour la comédienne. C’est l’occasion de plonger le regard dans ce que j’ai pris pour des sculptures dans des blocs de glace mais qui sont de superbes œuvres de papier réalisées par la plasticienne. Leur mise en lumière est une ponctuation qui recentre le récit.
Aïe aïe aïe dit Lene a chacune des péripéties retardant sa progression. On la suit pas à pas, tantôt Alice, tantôt Petit Chaperon que la mère n’a pas mise en garde d’un danger qui ne vient peut-être pas de cette cave où tout est noir et humide.
Si ce conte n’est pas mis en scène pour un public d’enfants (tout en leur étant bien entendu accessible) il n’empêche que Jon Fosse l’a écrit en tant que tel en 1994. Il a publié aussi de la poésie, des romans et des pièces de théâtre qui ont été montées entre autres par Claude Rémy, Patrice Chéreau, ou Jacques Lassalle.
Noir et humide est une plongée immersive et sensorielle dans le monde de l'enfance que nous avons peut-être fini par oublier. Il donne envie de re-feuilleter les grands classiques de la littérature jeunesse, notamment les œuvres conceptuelles (sans texte) en noir et blanc de Rascal. Je signale à cet égard que la ville d’Avignon possède depuis plus de quarante ans une librairie spécialisée, riche de plus de 30 000 références, qui s’appelle l’Eau Vive, au 15 rue du Vieux Sextier.
Article extrait d’une publication intitulée "Avignon le 21 juillet au Transversal, au Théâtre de l’Adresse, au Girasole et aux Brunes".
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