Cette dernière création du collectif québécois Naceo est d’une grande sobriété à la fois en terme de scénographie et de costumes. Et pourtant, dès l’entrée des spectateurs, les comédiens allument une puissance dramatique qui ira croissante.
Ils ont chacun leur manière de jouer, toujours très forte et la mise en scène d’Olivier Sanquer est très précise.
On se moque bien d’une absence de décor et de l’économie des accessoires qui suggèreront tout ce qu’il est possible d’évoquer avec seulement quatre chaises et une palette. Nous sommes dans un élevage de vaches laitières et si on nous posait la question, on jurerait avoir senti l’odeur du fumier. Nul besoin d’une bande-son particulière pour avoir le sentiment que les coyotes rôdent. Et la musique est parfaitement adaptée à chacune des scènes.
Tom (Elie Boissière) est un jeune publicitaire montréalais qui se rend dans une ferme éloignée et isolée pour assister aux funérailles de son amoureux, tué dans un accident de moto. C’est Agathe (Marie Burkhardt), la mère de son amant, qui l’accueille chaleureusement à la ferme. Francis (Axel Arnaud), le grand frère du défunt est dans l’opposition systématique. Si elle est persuadée que Tom n’est qu’un ami de son fils, le frère est parfaitement au courant de la relation qui unissait Tom à celui dont le prénom ne sera jamais prononcé.
Les intonations québécoises sont discrètes mais présentes. La voiture est un char. On mange du blé d’Inde (le maïs). Tom a été surnommé Monsieur synonyme par ses collègues en meeting de focus-group. Et quand on jure, c’est avec des mots de sacristie.
On est en empathie avec Tom, ne sachant comment s’y prendre pour faire le deuil d’un amour, lui la veuve-garçon. On est aussi du coté de la mère qui, derrière des paroles liturgiques, semble comprendre la situation alors que le frère persiste à pousser le bouchon du mensonge.
Il n’est pas simple de dire sa vérité et de répondre à la question cruciale de la mère interrogeant c’était qui mon fils ? L’angoisse monte, dégoupillée par instants quand surgissent des pointes d’humour (comme souvent dans les enterrements). C’est captivant. Y compris lorsque Sara, censée être l’amie du défunt (alternativement Angélique Kern Ros comme aujourd’hui ou Amandine Favier) s’exprime en anglais.
Créé au Théâtre d’Aujourd’hui à Montréal en 2011, Tom à la ferme fut lauréat cette même année du Prix de la dramaturgie francophone de la SACD de Paris. Il a été primé deux fois au festival international FriScèsnes en 2020. La pièce a fait l’objet en 2013 d’une adaptation au cinéma par Xavier Dolan, coscénarisée par Bouchard, Prix de la critique internationale à la Mostra de Venise. Je l’ignorais et j’ai « bêtement » suggéré aux comédiens de présenter leur travail au cinéaste québécois parce que j’avais pensé, dès les premières minutes, à Juste la fin du monde par triple évidence, en raison du sujet, de la nationalité de l’auteur, canadien comme lui, et surtout de la justesse des dialogues.
J’ai appris aussi que Xavier Dolan avait acquis les droits d’autre pièce de Michel Marc Bouchard qui sera une série de cinq épisodes pour le géant européen Canal+ et Québecor Contenu. Il s’agit d’un thriller psychologique qui affiche une forte parenté avec Tom à la ferme et dont le titre devrait être La nuit ou Laurier Gaudreault s’est réveillé.
On m’a dit que ce Collectif s’attachait à présenter des textes puissants, épiques, rares, car peu joués. Il fédère des comédiens dissidents laissés en marge du système actuel, je me demande bien pourquoi. Retenez leur nom. Assister à un de leurs spectacles est une expérience très forte qui fait vibrer en nous des émotions contradictoires qui sont bouleversantes.
Article extrait d’une publication intitulée « Avignon le 10 juillet à l’Atelier 44, au 11 et à la Conditions des Soies ».
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