Et pour finir, car il le faut bien, j’ai choisi le spectacle de Tigran Mekhitarian qui, après Les Fourberies de Scapin, poursuit dans le registre de Molière en toute légitimité puisqu’il a intentionnellement donné le nom de de l’Illustre théâtre à sa compagnie. Et sans doute doit-on s’attendre à une troisième création ultérieurement.
Pour le moment il s’agit de Dom Juan, avec une distribution plus resserrée, composée de seulement quatre comédiens, et une mise en scène disons plus intime, cohérente avec la taille du plateau du Théâtre des Brunes, qui a été créé en mai/juin 2020 et joué quelques dates à Un festival à Villerville en août 2020.
Les costumes sont contemporains. Le décor est réduit au strict essentiel (selon l’habitude du metteur en scène) avec une toile de fond, peinte par l'artiste Nush. La pièce commence par une très jolie scène d’épousailles enveloppée par la puissante voix de Zara chantant D’le Yaman qui est un air traditionnel arménien.
Le texte de Molière est respecté mais il est enrichi de tournures modernes, d’allusions et de menaces, comme celle de faire appel aux gitans de Montreuil … mais rien n’y fera, le séducteur d’aujourd’hui est aussi impénitent que celui du XVII°siècle.
Cette liberté pourrait choquer mais le talent est là. Donc ça marche. Disons même que ça court, face à un public qui en aurait bien redemandé. L’intrigue reste tout à fait actuelle et la question de l’absence de culpabilité demeure intéressante. Peut-on impunément faire ce que bon nous semble ? J’ignore si les artistes y ont songé mais certains pourraient penser que la pandémie est une sorte de justice divine aux agissements inconsidérés de l’homme en matière d’alimentation. Sans parler des dérèglements climatiques suite à la sur-exploitation de notre planète.
Dom Juan (Tigran Mekhitarian) ne croit que ce qu’il voit. C’est un pragmatique refusant de se plier aux règles sociales et morales universelles. Il est infidèle à sa jeune épouse dès le lendemain de ses noces. Il ment et trompe son monde comme il respire. Sganarelle (Théo Askolovitch), son valet, tente sans succès de mobiliser sa conscience. Mais l’homme n’entend aucun argument. Il clame haut et fort que la constance n’est bonne que pour les ridicules. Tout le plaisir de l’amour est dans le changement.
Tigran et Théo seront Dom Juan et Sganarelle jusqu’à la fin et n’interprétèrent pas d’autres personnages contrairement à Éric Nantchouang qui en endosse un grand nombre. C’est la même femme (Marie Mahé) qui sera toutes les femmes, ce qui est astucieux pour démontrer que Dom Juan se fourvoie et s’illusionne. Il croit multiplier les conquêtes mais c’est toujours la même qu’il tient entre ses bras.
On ne sait, à la réflexion, quel crime est le plus répréhensible, est-ce son libertinage ou son refus de croire ? L’homme se moque en effet autant de Dieu, du diable ou des loup-garous. Il lui sera proposé à au moins trois reprises de se repentir mais il campera sur ses positions. Pire encore, il usera de stratagèmes en se livrant à un échange de vêtement avec un spectateur qui n’abusera pas grand monde.
Dom Juan est un beau parleur. Il peut bien railler : C’est quoi le plan ? C’est quoi le concept ? Il débite son texte à toute vitesse mais ne trompe pas le spectateur qui sait qu’à la fin il subira la justice, divine ou diabolique, selon que nous croyons à l’une ou à l’autre.
On ignore si c’est le personnage ou l’homme qui parle lorsqu’il souligne au cours de la soirée qu’il connait son Dom Juan par coeur, comme s’il s’agissait d’un langage. Il est vrai que le comédien avait joué Sganarelle en 2016 sous la direction d’Anne Coutureau à la Tempête où je l’avais remarqué pour la première fois.
Mon regret est de n’avoir pas remarqué que Tigran (et Marie Mahé) interprétaient trois rôles différents dans une même journée. J’aurais été curieuse de les voir car c’est aussi cela Avignon, célébrer des performances lorsqu’elle révèle des talents.
Ainsi donc sachez que Théo Askolovitch, Marie Mahé et Tigran Mekhitarian interprètent Deux Frères à 13 heures aux Brunes. Que vous pouvez les retrouver dans ce même théâtre à 18 h 50 (avec Eric Nantchouang) pour le Dom Juan. Et que Tigran Mekhitarian et Marie Mahé partent ensuite pour la Factory où ils jouent dans ADN à 21 h 45, dans une mise en scène de la jeune femme.
Article extrait d’une publication intitulée "Avignon le 21 juillet au Transversal, au Théâtre de l’Adresse, au Girasole et aux Brunes".
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