Je ne connais que vaguement le hip-hop et en tout cas je ne savais pas jusqu’à présent faire la distinction entre différents courants comme le flexing, le krump, le popping, le break ou le voguing... J’ai, depuis la projection, visionné des dizaines de vidéo et je comprends tout à fait l’intérêt de Clément Cogitore de créer les Indes Galantes avec de tels danseurs.
La Danse du Calumet de la Paix (qui est un sommet de danse et un fort moment d’émotion- voir bande annonce à la fin) est dansée en krump et c’est une évidence tant cette spécialité travaille sur les équilibres et les intensités des frappés de pied alors que l’usage veut que l’on dote les danseurs de cet opéra d’une canne pour scander les pas.
Comme je regrette de n’avoir pas eu l’occasion d’aller voir une représentation à l’Opéra de Paris. Il faut dire qu‘à ce moment là, du 27 septembre au 15 octobre j’étais en pleine préparation de mon séjour au Mexique.
La Danse du Calumet de la Paix (qui est un sommet de danse et un fort moment d’émotion- voir bande annonce à la fin) est dansée en krump et c’est une évidence tant cette spécialité travaille sur les équilibres et les intensités des frappés de pied alors que l’usage veut que l’on dote les danseurs de cet opéra d’une canne pour scander les pas.
Comme je regrette de n’avoir pas eu l’occasion d’aller voir une représentation à l’Opéra de Paris. Il faut dire qu‘à ce moment là, du 27 septembre au 15 octobre j’étais en pleine préparation de mon séjour au Mexique.
Le film de Philippe Béziat est un documentaire et non une captation, mais il permet de revivre l’essentiel des deux années de préparation (octobre 2017-octobre 2019), sur le plan artistique, sans négliger l’aspect contextuel de cette oeuvre‑phare du siècle des Lumières. Avoir filmé dès les castings et les premières séances de travail nourrit des allers-retours temporels très intéressants. L’inconvénient fut de disposer d’une quantité colossale de rushes, rendant le montage très complexe sur une période de 9 mois pour aboutir à un premier bout à bout de presque 7 heures.
Le premier opéra‑ballet de Jean-Phillippe Rameau a toujours été montré comme un éblouissant divertissement, mais il témoigne également du regard ambigu que l’Européen pose sur l’Autre – Turc, Inca, Persan, Sauvage…Les résonances dans l’actualité sont multiples.
De plus cette programmation était pour l’Opéra de Paris une « première » à bien des égards depuis 350 ans : premier opéra baroque, premier recours au hip-hop, première femme chorégraphe noire. On remarque à la fin les réactions mitigées de la presse qui ose interroger : Pourquoi payer deux cents euros pour voir des danseurs sur scène alors que dans la rue on ne leur donnerait pas un centime ?
Cette remarque est d’autant plus scandaleuse que le public debout, ovationnait chaque soir les artistes plusieurs dizaines de minutes, preuve que l’émotion et le talent ont été perçus. Un seul critique aura le courage de dire qu’il est peut-être passé à côté. Voilà pourquoi le film de Philippe Béziat est une fois de plus essentiel. Par contre la presse étrangère fut excellente, le New York Times plaçant cet opéra dans sa liste des dix meilleurs spectacles de l’année.
Bintou Dembélé (au milieu sur la photo ci-dessous, crédit © Les Films Pelleas) est l’une des artistes majeures issues du mouvement Hip-Hop en France. Elle a développé de nombreuses collaborations avec le monde de la recherche, et à partir de 2020, elle sera artiste associée aux Ateliers Médicis (Clichy-sous-bois / Montfermeil), à la Carnegie-Mellon University (Pittsburgh), au Columbia Global Centers l Paris.
En faisant dialoguer danse urbaine et chant lyrique, la chorégraphe et le metteur en scène réinventent ensemble ce chef-d’œuvre baroque. Des répétitions aux représentations publiques, le film retrace une aventure humaine qui revêt des enjeux politiques : une nouvelle génération d’artistes peut-elle aujourd’hui prendre la Bastille ?
Le grand geste de Clément Cogitore c’est d'interroge les rapports de domination et d’amener sur le plateau des gens qui n’y ont jamais été invités, et de leur faire jouer quelque chose qui se rapproche de leur propre rôle, en mettant en situation une authenticité qui rend visible leur énergie, leur identité, leur personne, leur éventuelle résistance à l’institution. Ces Indes galantes effraient un monde plutôt conservateur, et cette création est en même temps extraordinairement attendue. Presque inespérée. Pouvant paraître un peu gadget ou cliché. L’avenir apportera la réponse en disant quelle suite de cette trace les danseurs auront laissée à Bastille.
Philippe Béziat a l'habitude d'adapter des œuvres musicales. Il s'est enthousiasmé à l’idée de faire un film musical qui ne parle pas que de musique. Il montrera des artistes au travail et fera des liens entre les œuvres et la vie. La matière du film documentaire se trouve aussi dans le regard que les danseurs portent sur l’institution et dans leur façon de l’aborder, la vivre, la traverser. Voilà pourquoi leur regard est le fil directeur et aussi pourquoi le montage du documentaire intègre des vidéos filmées par les danseurs eux-mêmes, à destination d’amis ou de réseaux sociaux. Placer ces ‘‘stories’’ en ouverture annonce une écriture cinématographique peu classique. Les réseaux font partie de la vie et il y a une grande habitude de la mise en scène de soi. Mais le « vrai » cinéaste reste (théoriquement) le professionnel.
Le film fait réfléchir sur tous les a priori, y compris ceux des danseurs urbains à propos de l’univers de l’Opéra et de son public. On a fait bouger les choses. On ne devrait pas se dire que c’est incroyable d’être à l’opéra, lieu de pouvoir et de résistance, dit l’un d’entre eux. Et un autre ajoute au sujet des spectateurs : Ce n’est pas eux qui sont venus nous voir, c’est nous qui sommes venus les voir. On entend leur remise en question à propos d’un public que les danseurs n’imaginaient pas si bien réagir. Par contre on regrettera que la mixité culturelle ne soit pas aussi présente dans la salle que sur le plateau.
Les Indes galantes, Opéra Bastille, 2019 © Little Shao / OnP
Les grandes œuvres d’art peuvent faire écho à notre vie aujourd’hui, individuellement. Parfois ce sont des échos narratifs, psychologiques, biographiques, parce qu’on s’identifie à un personnage. Mais c’est souvent beaucoup plus abstrait. Pourquoi une musique composée en 1735 continu-t-elle à nous bouleverser ? Pourquoi, même avec un livret assez bancal comme celui des Indes Galantes, l’association des mots « Tendre amour » et de quatre notes sur une portée musicale peut encore nous faire pleurer trois siècles plus tard ? Le documentaire témoigne de la résonance entre une œuvre d’art et la réalité de la vie des danseurs. Et combien le public y sera ensuite sensible.
On entend un extrait du Mercure de France de 1725, qui décrit la fameuse représentation donnée par deux Indiens de Louisiane, qui chez Rameau va déclencher l’écriture de la pièce. Ensuite Leonardo García Alarcón, le chef d’orchestre, a le génie de nous faire imaginer la façon dont ça s’est passé pour Rameau. Il nous projette dans ses pensées et son chemin créateur, des battements de tambour à l’air développé au clavecin.Et il ajoute : Quand on joue Rameau il est là.
Avec Rousseau, l’homme occidental regardait l’homme sauvage avec condescendance. L’opéra de Rameau raconte des tensions entre les corps et les groupes jusqu’à l’explosion. On peut résumer les Indes Galantes à l’histoire de jeunes gens dansant au-dessus d’un volcan bien plus explosif 300 ans plus tard, faisant dire au metteur au scène que la jeunesse de Paris a pris la Bastille.
Clément Cogitore a une autre belle formule dans le film : Un stétérotype, c’est un personnage avec lequel on n’a pas passé assez de temps, dont on ne nous a pas assez raconté l’histoire. Le film de Philippe Béziat fait tomber par petites touches, les stéréotypes de part et d’autre. N’importe qui peut apprécier Rameau. N’importe qui peut apprécier le krump. Pourvu qu’on vienne voir les krumpers.
Cette musique possède une pulsation, un fouetté, et dégage une sorte d’injonction qui ne laisse pas le choix. Il faut danser. Dans le baroque, et en particulier chez Rameau, les danses sont incroyablement fragmentées et s’accordent avec les danses urbaines.
Ce qui est fascinant avec elles, c’est le rapport à l’improvisation, à l’inverse de l’opéra. Bintou Dembélé explique qu’en hip-hop il n'est habituellement pas acceptable de faire deux fois la même chose. On ne peut être que dans l’invention, l’inspiration, le renouvellement.
Le krump est perçu comme agressif alors qu’il symbolise l’intensité d’une prière. Créée au départ par les femmes trans afro latino, la Vogue ou plus souvent le néologisme Voguing est un style de danse urbaine consistant à faire, en marchant, des mouvements avec les bras et les mains, inspirés des poses lascives de mannequins lors des défilés de mode et le metteur en scène se saisira de cette idée dans un tableau. Bien entendu le documentaire montre aussi les réactions des danseurs à la découverte de leur costume et ensuite les séances-photos pour chaque tenue, face, dos et profil pour conserver en archive.
Le Flexing, aussi appelé à juste titre le Bone Breaking, est une danse extrême et très spectaculaire, intégrant la contorsion, et les déboîtements d’articulation, qui est née dans les rues de New York, dans le quartier de Brooklyn, dans les années 90. Il demande un entraînement quotidien. Certains l’ont parfois commencé très jeunes, à peine adolescents. Toutes ces techniques sont à l’œuvre dans la bande-annonce :
Indes Galantes, un film de Philippe Béziat
Les Indes galantes, Opéra-ballet en quatre entrées et un prologue (1735)
Production donnée à l’Opéra national de Paris du 27 septembre au 15 octobre 2019
Musique de Jean-Philippe Rameau, livret Louis Fuzelier
Direction musicale Leonardo Garcia Alarçon
Mise en scène Clément Cogitore
Chorégraphie Bintou Dembélé
Décors Alban Ho Van, Ariane Bromberger
Costumes Wojciech Dziedzic
Lumières Sylvain Verdet
Dramaturgie musicale Katherina Lindekens
Dramaurgie Simon Hatab
Chef des chœurs Thibault Lenaerts
Avec Sabine Devieilhe, Jodie Devos, Julie Fuchs, Alexandre Duhamel, Florian Sempey Edwin Crossley-Mercer, Mathias Vidal, Stanislas de Barbeyrac
Les danseurs et danseuses de la Compagnie Rualité : Thimothé Andriamantena, Marianna Benenge Lourenco Cardoso, Wilfried Ble Aston Bonaparte, Guillaume Chan Ton, Isabelle Clarençon, Lorenzo Dasse, Ablaye Diop, Magali Duclos, Ingrid Estarque, Nadia Gabrieli Kalati, Yanis Khelifa, Moïse Kitoko, Marion Gallet, Cintia Golitin, Adrien Goulinet, Cal Hunt, Guillaume Legras, Vincent Loboko, Léo Lorenzo, Martine Mbock, Alexandre Moreau,Salomon Mpondo-Dicka, Sacha Negrevergne, Michel Onomo, Giselle Palmer, Juliana Roumbedakis, Edwin Saco, Feroz Sahoulamide, Jihéne Slimani.
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