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mardi 20 juillet 2021

Avignon le 20 juillet au Lycée Mistral, à la Manufacture et à l’Espace Alya

 La journée sera marquée par des problématiques liées à la santé, mais je ne le réaliserai qu’à la toute fin. Question de hasard dans ma programmation, mais qui reflète l’ampleur des préoccupations de notre société.

On commence avec Une bête ordinaire de Stéphanie Marchais, mise en scène par Véronique Bellegarde et présentée par le 11 « Hors les murs » dans la salle du cinéclub du Lycée Mistral à 11 h 30.

L’univers du lycée est assez insolite, et pourtant cet établissement est un des plus sollicités à la fois dans le in et dans le off. On y croise des groupes de spectateurs conduits vers l’une ou l’autre salle et il prend des airs d’université d’été.

La metteuse en scène est fidèle à ses préférences qui la portent à monter des textes contemporains et elle a beaucoup travaillé la version scénique en amont avec l’autrice.

Avant de vous parler de ce spectacle (qui est aussi magnifique que troublant et nécessaire, magistralement interprété par Jade Fortineau) il n’est pas inutile de savoir que l'âge de la puberté féminine a beaucoup évolué. Commençant à 16 ans au Moyen-Age, 12-13 ans dans les années 50-70, 11 dans les années 90, on remarque maintenant l’apparition des seins à 10 et parfois 8 ans.

On attribue le phénomène à des causes indirectes comme la monoparentalité, le stress et les contextes de violences familiales, et à des causes directes comme le surpoids car la graisse produit des hormones, et surtout la pollution et l'eau chargée en résidus de pilules contraceptives, et le contact avec les perturbateurs endocriniens présents dans les pesticides, herbicides, fongicides, cosmétiques et emballages alimentaires, qui interagissent avec le système hormonal.

L’enfant qui entre en scène est joué par une adulte, ce qui instaure tout de suite un problème de taille, lequel est accru par l’étroitesse du décor où tout est miniature. On perçoit immédiatement le malaise à vivre dans un corps immense alors qu’on est encore une enfant.

La mère ne semble pas s’inquiéter. Elle a fait le minimum. Elle a consulté un médecin qui a prescrit un médicament pour retarder la croissance. Tout ce qu’elle attend de sa fille c’est un comportement adéquat à son âge civil, 7 ans. Elle lui donne des ordres en conséquence, plutôt froidement, sans réaliser son désarroi psychique. Quand la gamine demande quelque chose pour lui démonter la tête elle conseille Aspro et dodo. Face à l’incompréhension et à l’absence d’aide elle se repliera : on est une jolie petite fille qui se la ferme.

La môme est désarçonnée par les transformations de son corps qui pourrait bien être habité par un animal monstrueux. Puisque tout est « anormal » elle s’invente une réalité, s’attribuant comme père une sorte de héros atypique, Jacques Mesrine, un as du travestissement, dont les aventures sont racontées au journal télévisé et qui se serait évadé pour venir la chercher. Elle fugue la nuit et chevauche une bête ordinaire sur un manège de chevaux de bois.

Mais rien ne dompte les pulsions qui accompagnent sa transformation. Le cheval n’a rien de Pégase et la gamine reste sur terre. Alors l’école obligatoire sera le terrain de l’expérimentation de son corps d’adulte, qu’elle vendra aux « grands » de CE2 contre une poignée de bonbons en renversant son angoisse sur eux et se faisant menaçante : tu racontes rien à personne !

La petite fille affronte les soucis en gardant la tête haute. Elle répond avec insolence à sa mère. Elle invective le public : ça vous dit quelque chose ? Une petite fille aux seins venus trop vite ? Elle semble habitée, sa voix passant en une fraction de seconde de la mère à la fille-enfant puis à la fille-adulte qui gratte à la porte comme le loup chez les chevreaux.

Mais rien n’y fera. La vie n’est pas un conte de fées qui pourrait bien finir. S’il suffisait de renoncer à son vieux pull (qui est une peau protectrice) et d’enfiler une robe de princesse cela se saurait. Mesrine sera quasiment exécuté et la puberté n’aura pas été différée. Les dommages sont énormes. La môme s’étouffe dans les bras de la pieuvre.

La comédienne est époustouflante, soutenu par la musique interprétée en direct par Philippe Thibault (ou Vassia Zagar) dont elle se sent en pleine connivence. La mise en scène est précise. Le spectacle est parfaitement abouti. Il pourrait être joué aussi bien sur une scène de théâtre que dans un établissement scolaire et être suivi d’une discussion. Véronique Bellegarde les a beaucoup arpentés pendant la crise sanitaire et a rencontré un grand nombre d’élèves dont le corps est étonnement très grand ou très petit pour leur âge. Le phénomène est beaucoup plus fréquent qu’on ne le croit.

L’après-midi, un autre « Hors-les-murs » est programmé à 16 heures par la Manufacture (jusqu’au 25 juillet). Une navette nous emmène jusqu’à la médiathèque de Saint-Chamand pour découvrir Vu d’ici, la dernière création de la compagnie Théâtre à Cru dirigée par Alexis Armengol dont j’avais tant apprécié le travail au dernier festival.

On retrouve quelques personnes de l’équipe de Vilain ! et la signature Armengol est visible avec en toute légitimité un énorme travail sur le son. Mais le spectacle est très différent et au final assez déroutant.

Certes il est malin de nous proposer d’entrer dans la tête de ces deux frères et de nous permettre de le faire à l’envi, en utilisant ou pas le casque que l’on teste en début de représentation. Le spectateur qui porte des lunettes et bien entendu le masque anti-Covid est tout de même très contraint avec cet équipement supplémentaire, même s’il apprécie le théâtre immersif. 

Vingt ans plus tôt, Frédérick (Laurent Seron-Keller), l’aîné, a été hospitalisé à l’initiative de Stéphane (Alexandre Le Nours), son cadet, et diagnostiqué « schizophrène ».

Ils se retrouvent aujourd’hui dans un but précis : créer quelque chose ensemble - un podcast - qui doit leur permettre de dénouer les maux par les mots et ouvrir le champ des possibles. Alexis Armengol pose la question de l’altérité et de la dualité. L’écoute est centrale. On se retient parfois de fermer les yeux pour mieux se concentrer sur les sons, mais la vue est tout autant troublante, comme le laisse « entendre » le titre de ce voyage sensoriel, Vu d’ici.

La soirée se poursuit avec Climax (prononcer Claïmax) à l’Espace Alya à 21h 10. Le spectacle marque le retour de la Cie Zygomatic après le succès de son dernier spectacle "Manger" avec plus de 400 représentations en France et à l'étranger.

Sans les connaître, il suffit de s’attarder sur leur nom pour deviner leur credo. En effet leur nom est celui du muscle de la pommette de la joue, qui se contracte lorsqu’on rit ou sourit. Présenté sur quelques dates au La Bruyère dans le cadre du Phénix Festival en juin dernier, ce spectacle s’attaque cette fois à la question de l’urgence climatique. Le quatuor a, comme à son habitude, travaillé en s’appuyant sur les compétences de chacun. Ludovic Pitorin assure l’écriture et la mise en scène. Benjamin Scampini la musique. Aline Barré la chorégraphie et Xavier Pierre les lumières. Chacun fait ce qu’il doit faire pour ce qui est de la régie qui elle aussi est assumée en interne.

Bien entendu ils sont tous les quatre sur scène, pleinement comédiens. Leur rigueur artistique est à saluer. Ils nous ont offert de très beaux moments de théâtre en réconciliant l’humour et le tragique. Les sujets traités sont graves puisqu’ils démontrent combien l’homme saccage la planète. Mais ils le font avec une dérision qui souvent confine au sublime, n’hésitant pas par exemple à se lancer dans un numéro de patinage artistique (en chaussettes) sur une banquise imaginaire, réquisitionnée pour les futurs (et derniers) Jeux Olympiques. Quel monde laissera-t-on à nos enfants ?
La Cie Zygomatic revendique au rire le pouvoir d’être une arme de réflexion massive. En 20 ans, ils ont donné plus de 1300 représentations en France et à l'étranger, participé à 6 festivals d’Avignon et reçu de nombreux prix (Coup de Cœur Avignon OFF 2014, Prix Tournesol, Prix de la meilleure mise en scène...). 

Leurs clowneries nous font effectivement rire autant que réfléchir. Ils assument pleinement d’être ceux qui se pendent à la sonnette d’alarme et répondent favorablement aux propositions des scientifiques et des enseignants d’organiser des bords de scène pour prolonger avec les spectateurs ce qui était naturel au siècle dernier pour tous eux qui étaient dévoués à ce qu’on appelait « éducation populaire ».

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