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dimanche 14 juillet 2019

Quelques grands seul(e)s en scène avec Eva Rami, Eric Métayer, Raphaëlle Saudinos, Marc Pistolesi...

La performance d'un acteur me touche particulièrement quand il est seul en scène. Dans la forêt des propositions, plusieurs m'ont séduites. Quand je dis ici "seul en scène" je pense à ces spectacles où un comédien endosse successivement plusieurs rôles, donnant au spectateur l'impression de voir double.

J'ajouterai quelques autres où la transformation est peut-être moins soudaine mais si nette que je voulais pointer cette capacité si particulière qu'ont les grands comédiens à pratiquer la rupture de ton.

A ces spectacles en tout cas dont la reprise par un autre comédien serait inenvisageable. Voilà pourquoi je ne parlerai pas dans ce billet du Syndrome du banc de touche ni d'Un coeur simple alors que si je devais leur attribuer une note je mettrai au moins 9 sur 10 à Léa Girardet comme à Isabelle Andréani.

Pareillement pour Esteban Perroy dans Une histoire vraie ou Grégori Baquet dans le K et auxquels j'ai consacré un billet dans cette série sur le festival d'Avignon. Il me semble que leur rôle pourrait être interprété par quelqu'un d'autre. Ce fut d'ailleurs le cas pour un autre excellent spectacle, Venise n'est pas en Italie.

Les performances de Eva Rami, Eric Métayer, Raphaëlle Saudinos, Marc Pistolesi, Elise Noiraud, Omar Porras ou Olivier Denizet appartiennent à une autre catégorie.
J'avais vu Olivier Denizet en avant-première à la Huchette, et je l'ai parfaitement reconnu à La Luna cet été, où il jouait à 19 h 05.
Eva Rami fut un de mes énormes coups de coeur. Je l’avais remarquée dans Et le coeur fume encore au 11 Gilgamesh Belleville (en robe rouge ci-dessus) et j’ai bouleversé mon emploi du temps pour y caser T'es toi ! à la Condition des Soies à 11 h 15. Bien m’en a pris. Cette jeune femme est plus qu’un Stradivarius, c’est un orchestre. Elle passe d’un emploi à l’autre en moins d’une seconde. C’est toujours juste, drôle bien sûr, mais aussi tendre et incisif (oui c’est possible). La vingtaine de personnages offre un panorama truculent, aussi amusant qu'attachant.

Comme personne ne m'en avait parlé j'ai cru assister à une création, alors qu'Eva était déjà à l’affiche l'année dernière en Avignon. Il faut plusieurs mois avant que le bouche à oreille ne produise un grand effet (ce fut un peu pareil pour Elise Noiraud dont Le champ des possibles a affiché complet au bout de quelques jours au Transversal. Il s'agit tout de même du troisième volet de son autofiction.

Bien qu'il soit difficile d'obtenir une place (ou un coussin) pour Tes toi ! j'ai malgré tout recommandé à beaucoup de personnes de tenter le coup. Les parisiens auront la chance, à partir de janvier 2020, de suivre ses péripéties de la petite araignée quand elle sera à l’affiche du Théâtre de la Huchette.

Eva démontre que quand on veut on peut et que quand on peut on doit. Enfant, elle disait qu’elle voulait, une fois grande, faire "Elie Kakou" comme métier. Je dirai qu’elle fait celui là mais aussi "Philippe Caubère" ... Je dis ça ... je dis rien... Et ses parents ont bien raison d'être fiers de la "petite".

Elle avait écrit un premier seul en scène Vole ! qui retraçait le passage difficile de l’adolescence vers l’âge adulte. Comment ai-je pu ignorer ce spectacle ? 

Ce second opus a été également programmé à la Condition des Soies, mais cette fois dans la rotonde, dite salle Molière, devenue emblématique du festival depuis que l’immense Philippe Caubère y avait créé La danse du diable en 1981. La Condition des Soies était alors une salle du festival in.... 
Eva y a rendez-vous avec son avatar, Elsa Ravi, pour aborder cette fois la difficulté de s’imposer dans sa vie d’adulte, tant sur le plan familial que professionnel. Et le contrat est rempli puisque le public a, le jour de ma venue, interrompu plusieurs fois la comédienne pour l’applaudir sans attendre la fin. On m'a dit que c'était comme ça tous les jours et vous remarquerez la puissance (et la fréquence) des rires dans le court extrait de 2 minutes qui donne bien le ton et que je vous invite à ouvrir ...




Eva Rami est une grande actrice dont on va beaucoup entendre parler, forcément, nécessairement. Je parie ... non je me tais. Le premier honneur c’est ici en Avignon qu’elle le reçoit avec une standing ovation qui ne s’arrête que parce qu’il faut quitter la salle où un autre spectacle piaffe de s’installer.

Quel beau cadeau d’anniversaire Anthea Sogno, directrice de la trentenaire de la Condition des Soies offre cet été au public. Coup de cœur absolu.
Je suis revenue dans la salle ronde pour assister à Un monde fou, mis en scène et interprété par Eric MétayerBecky Mode écrivit la pièce en 1999 sous le titre "Fully Committed" à partir de sa propre expérience de serveuse. Je ne devrais logiquement pas en parler ici puisque cette autofiction ne retrace pas la vie du comédien. Elle est malgré tout enrichie d'ajouts et d'allusions que l'on doit forcément à Eric comme ses interrogations sur la fonction de Marlène Schiappa, Secrétaire d'État chargé(e) de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, dont il se demande si elle est blogueuse ou hardeuse. Je doute aussi que Gilles Pudlowski ait été mentionné dans la version originale.

Ils sont si nombreux à travailler dans la restauration parce qu'ils n'ont pas suffisamment de "cachets" au théâtre ou au cinéma que le thème est très plausible. Et surtout je n'imagine pas un autre comédien pour rendre aussi vivants les 32 personnages (aussi sens large puisqu'il y a des humains, des animaux, des objets) ... Qui d'autre peut aussi bien jouer le chien, une mouette ou une balle de ping pong ? Sa performance lui valut d'ailleurs le Molière du Seul en scène en 2008. Depuis il a revu la mise en scène réalisée initialement par Stephan Meldegg et nous offre 1 h 40 de bonheur.

Il est d'abord Sam, acteur au chômage employé comme standardiste dans un grand restaurant étoilé, répondant au téléphone depuis son bureau situé quelque part, assez loin des cuisines avec pour tout accessoire une table et un tabouret à roulettes. Du matériel d'entretien est stocké là, laissant supposer qu'il pourra être homme à tout faire. Et puis plusieurs piles de carton avec une inscription énigmatique pour le moment.

On entendra sur tous les tons possibles : les réservations, bonjour, ne quittez pas s'il-vous-plait ...

Bien entendu il campe chacun des interlocuteurs qui l'appellent, et chacun de ceux qu'il sollicite pour répondre à la clientèle, Stéphanie la serveuse, Gérard le collègue... Je n'ai pas tout mémorisé. On en a le tournis ... forcément, il y a un monde fou, et peu de personnes ont la tête sur les épaules. Mais rassurez-vous, on pourrait conclure à la fin que tout est bien qui finit bien.

Certains dialogues sont à prendre au troisième degré (le coq figé à l'azote et reconstitué façon puzzle, la découpe du homard vivant). On se sent parfois très concerné, comme par le temps qu'il faut pour ouvrir un dossier Internet. En temps que blogueuse culinaire j'ai beaucoup aimé les critiques sur les nouvelles modes alimentaires. Et en temps que blogueuse de théâtre la prestation d'Eric Métayer m'a coupé le souffle.

Soumis à tous les caprices de son patron comme des VIP, et au mépris d'un soit-disant ami comédien, l'homme reste stoïque malgré le coup de feu permanent, la menace d'un surmenage, le risque d'un oubli et et la promesse d'un burn-out imminent. Il échappe aux tempêtes en sifflotant l'air de Bobby McFerrin Don't worry be happy et passe d'un accent à un autre avec une virtuosité inouïe.

Il est aussi fort en bruitage qu'en gestuelle. Sa prestation relève de la magie.
Salutation au soleil au Théâtre Au bout là-bas est à 14h10 un de ces petits bijoux que j'ai apprécié de savourer tout en regrettant que nous soyons si peut à nous aventurer au fond de cette impasse.
Raphaëlle​ Saudinos démontre que lorsqu’on a du talent on peut concevoir un spectacle sans voir besoin d’un décor ni d’une superproduction (même si cela ne gâcherait rien). Elle interprète trois femmes et deux hommes, avec beaucoup de justesse, qu'il soit en train de se livrer à son entraînement sportif, à équeuter des haricots, à se noyer dans l'alcool ou à envisager un départ.

Elle chante aussi merveilleusement des textes qu’elle a écrits pour la circonstance ou empruntés à Benjamin Biolay, Bernard Joyet et Serge Reggiani. Chaque chanson ponctue une scène en renforçant le propos ou en apportant un complément de réflexion sur le personnage qui s'interroge sur sa vie. L’ensemble s’articule autour de thèmes dramatiquement de plus en plus actuels et inquiétants : la précarité croissante des seniors, la difficulté à organiser ce que Claude Lelouch appelle la troisième mi-temps de la vie. Même si on a la santé, la vie devient âpre et pour certains la solution passera par la sous location transgénérationnelle en vertu du principe voulant que l’intelligence est la capacité de s’adapter au changement.
Le sourire éclatant de la comédienne, la pureté de sa voix, l’intelligence de son écriture, et sans doute un bouquet de valeurs humaines font de ce spectacle un moment de grâce sur un sujet qui aurait pu effrayer, si bien que la comédienne a raison de dire que son spectacle est sur la joie. À ne pas manquer, que l’on soit déjà senior ou qu’on le devienne un jour.
J’espère que les programmateurs qui circulaient en Avignon sont allés dans ce petit théâtre un peu isolé et pourtant central, au 23 rue Noël Biret. Je serais directrice, j’offrirais sans hésitation cette salutation aux abonnés de ma structure.
Monsieur Ducci est un spectacle de et avec le génial Marc Pistolesi à 17h20 au Théâtre du Coin de la Lune. Là encore il ne s'agit pas d'une création. La pièce a obtenu le Devos d’Or en 2014. Elle était l'an dernier à l'affiche du théâtre Arto mais c'est dans Est-ce que j'ai une gueule d'Arletty ? que j'avais apprécié le comédien. Je connaissais la mise en scène qu'il a faite de Cabaret Louise et je savais qu'il avait reçu le Molière du meilleur spectacle musical pour sa mise en scène d'Ivo Livi ou le destin d'Yves Montand. Mais je ne l'avais pas encore vu seul sur scène.

Seul ... mais avec un balai, ou une corde pour se pendre, ou encore une sonnette qui pourrait bien avoir la fonction de la lampe d'Aladin. L'histoire est complexe. Trois complices ont aimé Marc Pistolesi à écrire le texte. Son interprétation est extrêmement physique. On croirait son corps en caoutchouc. Il est constamment en action, tel un suricate en alerte. Le comédien campe à la perfection le mec à qui la chance n'aura jamais souri et qui a l'obsession de la pendaison. N'allez pas croire qu'il va se suicider. Il est prêt à endosser n'importe quel costume de personnage créé par son imagination pour se maintenir en vie : christ, athlète, ou DJ, cet homme peut tout faire, y compris le papillon ou le foetus dans son liquide amniotique.
Il effectue ces transformations à un rythme effréné pour finalement démontrer qu'il n'y a aucune honte à rester balayeur. C'est drôle, absurde et surréaliste mais chacun en tirera une leçon de philosophie.
Je voulais terminer avec un spectacle qui m'a enchantée, Ma Colombine (au 11 Gilgamesh Belleville à 11h40), si brillamment interprété par Omar Porras mais l'article va être trop long et ce moment mérite un billet spécifique parce qu'on est dans une forme théâtrale qui me semble appartenir à une autre catégorie que les spectacles dont je viens de parler même s'il a en commun avec eux d'être une autofiction, un seul en scène et ... de l'humour aussi.
Ce sera Eh bien dansez maintenant ! au Théâtre du Train Bleu à 22h30 qui clôturera cette page. Alexandra Cismondi a choisi de monter un seule en scène alliant le théâtre, la performance et la danse. Elle revit et fait partager son enfance dans une autofiction où elle joue plusieurs personnages dont l’un porte son propre nom.

Elle témoigne qu’en prétendant ne pas pouvoir dire toute la vérité aux enfants, les adultes provoquent des ravages, par exemple l’anorexie. Sommes-nous tous obligés de grandir au milieu des mensonges qu’on nous raconte ? La comédienne transcende les secrets de famille et les exorcise par la danse. Un spectacle touchant pour un public néanmoins averti.

 La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est d'Arianne Catton Balabeau

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