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mardi 2 juillet 2019

Festival d'Avignon 2019, bilan au soir du premier jour

Les chiffres donnent le tournis : 1592 spectacles recensés, et uniquement dans ce qu’on appelle le festival off (je rappelais les circonstances de sa création ici) dans 139 lieux différents, soit environ 29 000 représentations.

Il y en a 54 que j’ai déjà vus, soit l’année dernière, soit en avant-première juste avant de partir, c’est beaucoup mais c’est mince. Finalement en quatre semaines je ne pourrai voir (et c’était prévisible) "que"  115 représentations : 108 dans le off dans 40 théâtres différents, 5 dans le in dans 5 lieux différents, 2 dans ce qu’on appelle le if dans 2 lieux différents.

115 spectacles sur 47 lieux, soit en moyenne quatre par jour mais il m’est arrivé les lundis de "monter" jusqu’à 7 ... parce que ce jour-là je ne "travaillais pas" car, pour financer le logement,  j'avais trouvé un contrat de quatre heures par jour dans un bar associatif, ce qui me permettait aussi de vivre le festival en immersion et de pouvoir en rendre compte avec davantage d'authenticité dans une des émissions que je produis sur Needradio.

Avignon exacerbe tout, le climat, les emplois du temps, les tempéraments, les comportements. Tout est démesuré et les réactions également. On se rend vite compte que les enjeux sont énormes pour les grosses productions qui ont investi énormément d’argent comme pour les petites compagnies qui auto-subventionnent leur venue et pour qui la visibilité est un critère déterminant, primant sur le talent parce que celui qui n’est pas vu ne sera pas reconnu et risque de disparaître de la scène culturelle dans un proche avenir, alors que l'équipe s'est endettée sur plusieurs années.
Avignon, c’est d’abord la lutte pour la survie. Il faut le savoir.

Une fois ce constat posé, on pourra dire que ce festival, qui est réellement le plus grand du monde, est aussi le le rendez-vous des passionnés de théâtre et que l’entraide règne entre tout le monde, que le théâtre est une famille formidable où tout le monde s’aime et se respecte... Il n’empêche que l’électricité est immédiatement palpable et chacun déploie son énergie et sa propre technique pour lever le rideau sur son activité. Il y a des théâtres qui organisent des conférences de presse. D’autres misent sur les avant-premières donc trois jours avant l’ouverture officielle.

Certains canalisent leur énergie sur l’affichage en respectant plus ou moins les règles qu’ils ont tous signé. On apprendra en cours de festival que de nombreuses troupes recevront des amendes importantes pour avoir accroché leurs affiches par exemple en haut des descentes de gouttière. La police les repère facilement puisque leurs noms figurent en toutes lettres.

Car en Avignon tout est réglementé, les jours de relâche, la période, les conditions et les lieux d’affichage d’affichage, la régularité des rémunérations, et coté estivants le stationnement des véhicules m'a semblé sans pitié. Les policiers se sont investi à cœur joie pour verbaliser.
En ce 2 juillet, "premier" de mon séjour, l'énergie est maximale. Je décide de commencer par des avant-premières, dans un lieu qui n’est pas nouveau mais qui est investi cette année par un théâtre qui fait son premier Avignon, la Croisée des chemins, 25, rue d’Amphoux avec 14 spectacles ou rencontres, répartis dans deux espaces, en intérieur, côté cour dans une salle de 35 places et en extérieur, côté jardin dans un espace en plein air pouvant accueillir jusqu’à 45 personnes, C’est ce qui en a fait un des lieux les plus agréables du festival, même en période de canicule parce que l’espace, abrité de parasols, était arrosé chaque matin avant l'ouverture pour procurer une certaine fraîcheur.

J’ai vu ce mardi les générales de Lalla Aïcha, le chant berbère de l’eau, à 10 h 30, où Khadija El Mahdi installe quelque chose de l’ordre du sacré, avec une voix qui étanche la soif des premiers festivaliers. A 17 h 45 Les petites femmes de chambre. Marguerite Chaigne et Louise Corcelette m’ont embarquée dans leur univers surréaliste et poétique à la lisière de la comédie musicale. A 20 h 15 Sylvain Zarli a déployé une large palette d’émotions dans Journal d’un fou. J’ai terminé cette soirée à 21 h 50 avec le concert de Louise O'sman, ... sorte de Brel au féminin, dont les textes questionnent avec mélancolie et tendresse. J'avais déjà vu à Paris Rapport pour une académie (12 h 15) interprété par Mahmoud Ktari et Discours d'investiture de la Présidente des Etats-Unis, par Claudine Guittet, ce qui m'a permis d'aller à deux conférences de presse pendant ce laps de temps.

J'ai ultérieurement pu assister à quelques autres spectacles programmés à la Croisée des chemins et je vais rendre compte de l'ensemble dans ce billet, en commençant par le coté cour.

Lalla Aicha, le chant berbère de l'eau
De, avec et mis en scène par Khadija El Mahdi
Mise en scène : Haïm Isaacs
Interprétation : Khadija El Mahdi et Michel Thouseau
Créateur de masque: Étienne Champion – Scénographie: Joëlle Loucif - Création lumière: Jérôme Bertin
Du 6 au 27 juillet 2019 à 10h30, les mardis, jeudis et samedis

Lalla Aicha, le chant berbère de l'eau est le second opus d'un projet alliant le masque, le conte et les mythes des cultures premières, intitulé "Les 13 chemins de Grand-Mère Terre" qui pour le moment ne comporte que deux volets et qui a raison d'avoir l'ambition de s’adresser à tous les publics.
Khadija El Mahdi s'est donné treize années pour rencontrer treize civilisations et créer treize personnages masqués de grands-mères, toutes porteuses du patrimoine matrilinéaire immatériel d'un peuple premier...

C'est en toute logique celui-ci qu'elle a interprété le jour des générales puisque le précédent avait déjà été joué en Avignon l'an dernier. Elle les joua en alternance pendant tout le festival mais mes horaires de travail ne m'ont jamais permis de pouvoir assister à Mama Khan, le chant de la terre Lakota, que la comédienne a créé après un séjour de plusieurs mois dans la réserve de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud, créé en 2013, et qui fut lauréat P'tit Molière du "Meilleur seul en scène 2017".

Le chant berbère de l'eau est né d'un voyage dans le sud du Maroc, et il est une ode au peuple berbère. A la poésie, l'humour et la force de coeur qui courent dans la vallée des pierres de mémoires. C'est un hommage aux mères et aux grand-mères, qui chantent le pardon et la paix. Un conte initiatique pour petits et grands à partager pour découvrir, se ressouvenir et partager... à travers le personnage haut en couleurs de Lalla Aicha.

Ce premier spectacle que j’ai vu a en quelque sorte imprégné l’état d’esprit dans lequel je me suis trouvée, par cette perception que je pointais plus haut et qui relève du sacré dans un récit qui offre une temporalité universelle. Son personnage de grand-mère met en garde sur la banalité de son histoire en prétendant qu'elle n’a rien à raconter. Nous aurons un tout autre ressenti en quittant la salle. Je n’ai pas l’habitude d’assister à des spectacles de masques (qui est d'ailleurs une des spécificités de la programmation de ce théâtre) mais je remarque que le visage est tout autant expressif, voire même plus, que celui d’un comédien qui ne porterait pas cet objet. Peut-être parce que le corps tout entier véhiculera des émotions que l’on n'aurait sans doute pas remarquées sans le port du masque.

La comédienne se présente au naturel et endosse progressivement les vêtements de Lalla Aicha ... jusqu'au masque, rigide ... qui va lui permettre de libérer la parole de la vieille femme qu'elle a rencontrée pour nous. On est fasciné par ce bout de femme qui campe sur ses positions avec féminité  tout en dénonçant le machisme de son village, prêt à croire au premier ragot.

Elle accepte de nous parler du jeune homme aux yeux d’aigle qui l'a séduite. On la voit quitter sa famille en cahotant sur sa petite mule. Elle ponctue ses confidences d'un petit geste de la main, insignifiant et pourtant porteur de tant d'émotions.

Elle chante, assise sur sa terrasse et converse avec la lune. Elle avait probablement trop de tempérament pour être acceptée dans un microcosme si conformiste : je suis pas une effrontée mais il faut dire, je parle trop, je cause trop de problème. Elle sera répudiée et on la retrouve, préparant le thé à la menthe à l'abri d'une grotte, amère et philosophe : La vie c’est que des problèmes. Faut pas trop réfléchir.

La vieille femme s'énerve, estimant qu'on pose trop de questions. La musique encourage le spectateur à la scruter sans détourner notre regard. C'est qu'elle en impose ... même à un moustique. Et le secret arrive comme un cadeau : écouter l’infini avec quelqu’un ça veut dire trouver le bonheur.
Khadija El Mahdi et le musicien Michel Thouseau instaurent une belle adresse au public qui jurerait avoir séjourné un moment auprès des dieux dans la cour, comme des lézards à sécher, prêt à s'ouvrir à tout ce que la vie (et donc le festival) offre de beau.
Le journal d'un fou
De Nicolas Gogol avec Sylvain Zarli
Mise en scène : Stéphanie Slimani
Musique originale : Pascal Atenza
Du 5 au 28 juillet 2019 à 20h15, relâche les lundis
On comprend que le comédien se soit emparé de cette nouvelle, écrite par l'auteur russe Nicolas Gogol en 1834 sous la forme d'un journal intime d'un citoyen russe de fiction qu'un ami comédien lui a fait découvrir. L'homme est fonctionnaire dans un ministère où il est chargé de tailler les plumes de son patron. Il est au bas de l'échelle sociale, et tombe amoureux de la fille de son directeur qui (au contraire de la reine de Ruy Blas) ne daignera même pas le regarder. Proprichtchine raconte les petites humiliations de son chef, et très vite la passion l'envahit. Il sait que la jeune fille est inaccessible ... sauf s'il se faisait passer pour le roi d'Espagne puisque le trône est vaquant.
Evidemment la ruse ne marchera pas. Entre temps l'homme a entendu Medji qui deviendra sa fidèle amie. Peu importe que Medji soit une petite chienne. Cette relation le protègera un moment, jusqu'à ce que la folie l'emporte.

Sylvain Zarli est Proprichtchine au bord du gouffre, Il entretient l'illusion de sa complicité avec l'animal au moyen astucieux d'une marionnette conçue avec Jean-Louis Heckel et avec et derrière laquelle il joue comme un acteur le ferait d'un masque.
La scène est minuscule et ferait presque office de cage. Le comédien dispose d'une malle, semblable à celles qui, autrefois contenaient la vie toute entière de ceux qui, sans domicile fixe, allait de château en château. Proprichtchine ne va nulle part, sauf peut-être au plus profond de lui-même, à la rencontre courageuse avec ses rêves et ses démons. Sans s'économiser. En faisant exploser une palette d'émotions jusqu'au délire paranoiaque. Jusqu'au bout où il implore d'une voix d'enfant : Est-ce ma maison cette tache bleue dans le lointain ? Maman regarde comme on me tourmente. Je n’ai pas ma place sur cette terre. Laisse couler une larme sur ma tête malade.

C'est troublant. Le pari de faire en quelque sorte l'éloge de la folie est réussi. Il faut sans doute avoir un grand coeur pour parvenir à ce résultat.
Trop tout
De et avec Nadine Charvolin
Mise en scène : Nadine Emin et Thomas Bobichon
Du 5 au 28 juillet 2019 à 18 h 30, relâche les lundis

Changement de registre avec Trop tout, mais avec une semblable intensité de passion pour le théâtre et pour les humains. Je suis admirative de Nadine Charvolin qui chaque matin arpentait les rues d'Avignon pour tracter (ce qui est épuisant mais permet aussi d'aller véritablement à la rencontre du public) et qui en fin de journée communiquait sa joie de vivre teintée de dérision.
Elle convient ne pas être dans la norme, mais dans l'énorme. Si elle déborde du cadre, elle le fait en toute conscience, sur un ton léger, et avec une sincérité qui force le respect. Elle sait faire feu de toutes occasions. Etre une femme noire avec des enfants blancs lui a valu d'être prise pour une nounou ... et à eux d'être considérés comme des enfants adoptés. Il faut une bonne dose d'humour pour triompher de la bêtise humaine ... des remarques de ses très chères amies (très blanches et très jalouses) et accessoirement supporter la crise d'adolescence de sa fille.

La comédienne chante aussi deux textes originaux et elle a le potentiel pour faire plus que deux chansons.
Nadine a la générosité de partager sa bonne humeur et d'offrir ses conseils avisés : si tu veux du bon temps, prends le ! La recommandation est à mettre en pratique en allant la voir, et en guettant le dictionnaire des adverbes qu'elle se promet de rédiger.
68 mon amour
De Roger Lombardot avec Ludovic Salvador
Mise en scène : Chantal Périnon
Du 5 au 28 juillet 2019 à 15 h 15, relâche les lundis

Ludovic Salvador s'est pris de passion pour le texte de Roger Lombardot qu'il a demandé à Chantal Périnon de mettre en scène, sans doute parce qu'elle avait déjà travaillé sur Discours d'investiture (voir plus haut) écrit par le même auteur en 2005.

Adepte d'une mise en scène qu'elle présente elle-même comme devant être "invisible" elle a choisi d'opérer de la manière la plus dépouillée possible. Une chaise pliante rouge (couleur de la révolte ?) et un tabouret gris (couleur d'un passé enfoui ?) composent les seuls accessoires à la disposition du comédien ainsi qu'une pile de livres.

Il lit -naturellement- car quoi faire d'autres avec ces objets ? Le récit de l'année révolutionnaire est captivant parce que Roger Lombardot a réussi à le restituer en le croisant avec le séisme qui bouleversa positivement sa vie, à savoir la rencontre avec Cécile qui devint sa femme. 1968 aura les couleurs du paradis bien qu'on y vive comme en enfer. Ce sera pour lui l'année d'une nouvelle naissance. Et on comprend pourquoi à bien des égards puisqu'on apprendra que son père est mort le jour de ses 14 ans.

Il a publié le récit autobiographique de 68 mon amour en 2008 et jusqu'à présent il n'avait jamais accepté qu'il soit interprété par quelqu'un d'autre que lui. S'il l'a écrit cinquante ans après les faits il n'empêche qu'ayant vingt ans à l'époque on peut considérer que le comédien peut être crédible dans l'interprétation.

Je ne suis par contre pas certaine qu'une lecture minimaliste soit la meilleure voie pour rendre compte de la puissance de la réflexion d'un homme qui n'aura eu de cesse de dénoncer les dictatures et les violences de toutes les guerres qui ont traversé les dernières années. Je ne suis pas fan de mapping et autres modes employant la vidéo et les images mais pour une fois elles s'imposent ... ne serait-ce que parce que le public potentiel n'a pas vécu ces années là. C'est quelqu'un de particulièrement engagé qui peut user de mots sévères contre les médias qui exploitent le sensationnel (par exemple en faisant la couverture des magazines avec la photo d'une fillette brulée par le napalm au Vietnam, ce qui me parle à moi, mais à qui d'autres ? ). Mais il peut aussi s'émerveiller du souffle poétique introduit par l'éveil des consciences consécutivement à 68, prêtes pour la tendresse, la beauté et la joie dans un immense espoir.

Il s'est installé en 1974 dans un village ardéchois et il est profondément ancré dans la nature où il a réalisé de nombreux spectacles (ayant pour cadre des sentiers, parcs, places, lacs et rivières, vignobles, grottes, forêt, volcan, lagon). Un mémorable concert eut lieu sur le Mont-Blanc en 1993 pour sensibiliser les Européens aux horreurs de la guerre qui ravage alors l'ex-Yougoslavie et venir en aide aux enfants réfugiés. D'autres ont suivi en France et dans le monde, au Canada, dans les Carpates, en Islande, en Polynésie… Il a milité encore récemment contre la crise des migrants en Méditerranée et le viol des femmes comme arme de guerre.
C'est peut-être parce que ce théâtre de la Croisée des chemins était articulé en Avignon autour de deux lieux, une salle fermée et une scène en plein air qu'il m'a semble que -si l'on voulait privilégier une présentation minimaliste- 68 mon amour aurait gagné à être donné en extérieur.
Concert
Compositions, textes, chant et accordéon Louise O'sman
Du 6 au 28 juillet 2019 à 21 h 50, relâche les lundis
J'ai terminé cette première journée par un récital intime avec une chanteuse qui a une très jolie voix et qui présente des textes d’une poésie intense. Je reviendrai l’écouter un autre soir quand elle sera accompagnée par un guitariste. Le concert sera différent, tout autant réussi. Louise O'sman est une des découvertes que l’on peut faire à Avignon (elle n'en est pourtant pas à son premier Avignon) pour peu qu’on ait la chance d’être là au bon endroit à la bonne heure.

J'ai découvert une écriture ferme et poétique, riche de nombreuses références, n'abusant jamais des répétitions. Sa voix est claire, rythmée, osant le swing et la précipitation en harmonie avec les notes du piano à bretelles dont elle s'accompagne.

Ce fut un grand plaisir de découvrir en avant-première les chansons de son premier album produit chez Homerecords. Son récital commença avec Les marais salants qui fait le compte d'amours perdus en mer, enterrés sous les bottes claires de plusieurs printemps. Cette Brel au féminin exigera à la fin de la soirée que le printemps revienne ... et on veut y croire en sa compagnie.

Il lui arrive de chanter des reprises (par exemple Au café du canal de Pierre Perret) mais elle a choisi de présenter cet été uniquement des textes originaux, écrits en français, et arrangés pour accordéon-voix composant un répertoire à la fois doux et intime, incisif et courtois, marqué par sa force, son originalité et sa poésie, en avant-première de son album solo Joyeuse Ville qui sortira le 6 septembre 2019.

Elle chante les bords de mer, les landes amères, les arbres, amandiers ou frênes trop frêles, les cœurs étouffés sous le satin, la violence des miroirs quotidiens, toujours avec tendresse, et nostalgie. L'ambiance marine est une de ses sources d'inspiration mais aussi tout le territoire provençal, la ville de Marseille (et sa rue de Paradis qui n'en a aucun attribut, ni arbre, ni pomme, que des magasins) et ses auteurs fétiches comme Rimbaud, qui est décédé là.

Son projet original a vu le jour il y a cinq ans sous le nom de No Man’s Louise, qui remporta le prix studio du tremplin des Amoureux de la Scène au Théâtre du Chien qui Fume à Avignon en Mai 2016, ce qui permet alors au duo de l'époque de réaliser leur premier EP : "Les enfants de la Plaine" en Avril 2017. Les concerts s'enchainent ensuite à Marseille, en Provence, puis à Paris, à Toulouse et Grenoble…

Caroline Guibeaud poursuit seule, en conservant le prénom de Louise, en hommage à Louise Michel comme à Louise Reisner, première femme concertiste accordéoniste. Elle prend alors le nom de Louise O’sman, qui est presque l'anagramme du précédent nom de scène.

Son univers évoque Anne Sylvestre, Fabienne Thibault, parfois la chanteuse L (Raphaële Lannadère qui elle aussi changea d'intitulé), et bien sûr Brel. En récital elle commence toujours par un texte en voix parlée dont on se sait pas très bien si c'est une explication de ce qui va suivre ou si ce sont les premières phrases de la chanson.

Par exemple elle annonce L'espérance (alors que ce mot ne figure pas dans la chanson) en prévenant : J’ai invité cette petite dame aux mains immenses qu’on appelle l’espérance. Elle nous demande ce qu'on imagine derrière les mots frêne et chêne. Et sera surprise de constater que pour plusieurs spectateurs Fresnes c’est plutôt une prison… D’autres chaînes… en quelque sorte. Arthur est annoncé comme un hommage à l’homme aux semelles de vent ... dont elle parlera des mains, sur une musique qui prend un accent oriental.

Elle ose les changements de registre, avec Ma soeur pour laquelle elle s'accompagne au tambourin.
Louise chante l'attente, le manque et l'absence, à travers des textes qui toujours questionnent et restent longtemps dans notre mémoire.
Le petit cabaret des masques
De et avec Joëlle Richetta
Du 5 au 27 juillet 2019 à 10 h 45, relâche les lundis

Joëlle Richetta connait parfaitement l'univers du masque à travers le monde entier. Son expérience est immense et reconnue. Elle a fondé avec Guy Simon le Théâtre du Kronope, en 1983 en Avignon, lequel demeure une référence dans le domaine, mais c'est de manière indépendante qu'elle poursuit maintenant son chemin.
Le petit cabaret qu'elle a présenté cette saison n'a cessé d'évoluer au fil du mois, motivant de nombreux spectateurs à venir plusieurs fois. Quelle que soit la représentation elle interprétait une kyrielle de personnages en proposant une lecture humaniste de l'histoire du masque, qui toujours se prolongeait à travers des échanges avec le public, rendus possibles parce que le spectacle suivant n'avait lieu que quelques heures plus tard (ce qui est rarissime en Avignon).
Les petites femmes de chambre
De et avec Marguerite Chaigne et Louise Corcelette
Collaborateur artistique : Guillaume De Moura
Du 5 au 28 juillet 2019 à 17 h 45, relâche les lundis

Les Petites Femmes de Chambre avaient été présentées dans la salle parisienne de la Croisée des chemins au début de l'année et les deux comédiennes ont intelligemment travaillé leur scénographie pour installer en plein air leurs tribulations loufoques (il faut l'admettre) mais poétiques (on le découvre avec un plaisir croissant tout au long de la représentation).
On admettra finalement que leur nouvelle chambre de fonction, la 74ème de la série, puisse être un jardin dont l'espace est assez vaste pour accueillir leur dizaine de valises. Les deux comédiennes sont jeunes mais cela ne les empêche pas d'être fan des années 70, en particulier de Jacques Dutronc auquel on pourrait croire que le spectacle est dédié. Sa chanson j'aime les filles (1992) ouvre la représentation et Fais pas ci, fais pas çà (1967) la clôture tandis que son portrait trône au milieu du décor.
Ce spectacle est assez inclassable, entre comédie musicale, danse, théâtre, mime et poésie dont il emprunte alternativement les codes et parfois les textes, il est proche du cabaret. On entendra le si joli Pour faire le portrait d'un oiseau de Jacques Prévert, ponctué par de délicats origamis et aussi la tirade de Don Rodrigue à Don Fernand, dans le Cid de Corneille (Acte IV, scène 3) : 
Nous partîmes cinq cents ; mais par un prompt renfort
Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port,

On appréciera aussi quelques extrait du Boléro de Ravel, d'une Gymnopédie d'Erik Satie (la numéro 1 ?) ... et le splendide Duo des chats de Rossini, interprété a capella, sans parler des Trois petites notes de musique (paroles d'Henri Colpi sur une musique de Georges Delerue pour le film Une aussi longue absence, où elle est interprétée par Cora Vaucaire en 1961 avant de ponctuer -cette fois avec la voix d'Yves Montand- le mariage de Pinpon (alias Alain Souchon) avec Elle (Isabelle Adjani) dans L'été meurtrier de Jean Becker en 1983.
Elles sont un peu givrées mais intelligemment pétillantes, extrêmement vitalisantes. Leur spectacle a la même fonction que l'aération 'une chambre : c'est une source de régéneressence oxygénique. Dans l'attente d'une récompense plus prestigieuse (elles sont éligibles aux P'tits Molières, comme 3 autres spectacles de La croisée des chemins, Faire semblant d'être normaux, Je viens d'un pays de neige et Trop tout) on leur concédera le premier prix du meilleur lustrage par brosse à dents en poils naturels.
Il est probable que chaque spectateur n'aura pas reconnu la source de toutes les inspirations des comédiennes (j'en ai sans doute manqué aussi) et il serait appréciable qu'on nous les communique. Et on approuve leur philosophie : un sourire offert est un service rendu.

Faire semblant d'être normaux
De Giorgio Gaber et Sandro Luporini avec Benoît Valliccioni et Mattia Pastore
Mise en scène : Stéphane Miglierina
Du 5 au 28 juillet 2019 à 19 h 35, relâche les lundis

La Compagnie les vitriers lunatiques a du faire elle aussi un travail d'aménagement de sa proposition artistique pour une scène de plein air. C'est un défi de jouer en lumière naturelle et devant un mur végétal un spectacle qui tient plus du cabaret que de la rue. Quoiqu'il en soit le comédien et le pianiste sont si prodigieux que les spectateurs sont tenus en haleine.

D'autant que, et c'est astucieux, Benoît Valliccioni et Mattia Pastore fonctionnent en duo et en miroir. Le comédien chante (aussi) et le musicien joue (également), ce qui permet de dérouter celui qui s'attendrait à de "purs" monologues.

Giorgio Gaber et Sandro Luporini sont peu connus, réputés pour avoir initié le teatro canzone dont le principe est d'osciller entre vérité et parodie, pour dire un monde qui ne se dit pas ailleurs, un monde à part,  forgé de mystères. Sur ce plan il faudrait néanmoins -me semble-t-il- songer à informer le public qui, surtout en période de festival, peut avoir choisi un spectacle pour d'autres raisons que le sujet, le talent des interprètes, ou le nom des auteurs et qui donc n'est pas réellement préparé à ce qu'il va voir. Surtout s'agissant de textes qui sont pour la première fois traduits en français (quand bien même le spectacle a été créé il y a quelques années par cette compagnie).

Un moment avec eux invite réellement à aller voir au-delà des apparences, entre naïveté et cynisme, mépris et engagement, toujours avec humour. Ils ont l'art de nous enseigner à faire coïncider notre égoïsme avec le bonheur des autres. Tout peut se comprendre au second, voire au troisième degré, mais tout s'entend merveilleusement. Les compositions musicales de Mattia Pastore sont inventives et justes. Il les joue sur un instrument étonnant, quasi unique, un piano dépliable qui convient parfaitement au cadre et qui fournit une interrogation supplémentaire sur la normalité.

Quant à Benoît Valliccioni c'est un comédien prodigieux comme le révèle ce montage :

J’aurai parcouru au moins 750 km dans le mois pour aller d’un théâtre à un autre et rejoindre ma chambre extra-muros en pleine nuit. J’ai été invitée dans des soirées plus ou moins privées. J’ai rencontré beaucoup d’auteurs, comédiens, metteurs en scène, directeurs de théâtre, ... des festivaliers et des commerçants, des attachés de presse et des chargés de diffusion, également des programmateurs.

J’ai été sollicitée pour donner mes coups de cœur au cours de trois émissions animées par Yann Benoit de radio sur Raje, 90.3 dont voici un podcast au cours duquel je focalise sur les spectacles jeune public du off et sur le festival in également.
J’ai écrit de nombreux posts sur la page Facebook A bride abattue ... souvent plusieurs dans une même journée mais je n’ai pas pu parler de tous les spectacles que j’ai vus, suscitant parfois des remarques agressives auxquelles j'aurais volontiers répondu par cette affiche (d'un spectacle que je n'ai pas vu, n'en ayant eu connaissance que très tardivement).

Certains spectacles vont être plus ou moins longuement analysés sur le blog que j'alimente depuis mon retour au cours de l'été, ou plus tard en saison au moment de leur reprise en région parisienne. Je ne donnerai ici aucun nom parce que je ne voudrais pas en oublier un seul. Que tous ceux qui ont été en contact avec moi sachent combien je les remercie pour les échanges que nous avons eus, parfois longs, souvent brefs, parce que sur Avignon le temps est compté. Ces instants furent parfois prévus, mais le plus souvent inopinés au détour d’une rue. Je ne suis pas prête d’oublier ces quatre semaines, le bon comme l'exaspérant.

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