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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

vendredi 5 juillet 2019

Marie des Poules, Gouvernante chez George Sand de Gérard Savoisien, avec Béatrice Agenin et Arnaud Denis, et quelques autres pièces au Théâtre Buffon

Je suis allée voir Marie des poules au tout début du festival d'Avignon. Personne n'en avait encore parlé (en tout cas je n'avais rien lu, rien entendu). La pièce était notée dans mon agenda depuis plusieurs semaines. Il est dans mon tempérament de ne pas trop réfléchir en amont de manière à conserver un regard neuf.

J'ai été cueillie par la performance de Béatrice Agenin qui, tout en étant une immense comédienne, nominée il y a quelques années pour un Molière, m'a semblé avoir "le" rôle de sa vie (il faudrait en fait l'écrire au pluriel puisqu'elle se démultiplie).

Rien d'étonnant à cette perception : Gérard Savoisien a écrit le texte pour elle et elle y déploie de multiples facettes. Il a ciselé des dialogues comme tout comédien peut en rêver. La statuette de Molière se profile derrière les ombres de Marie et de George.

Au début, on voit Marie âgée, accoudée à une table de bistrot parisien, refusant un verre d'absinthe, souffrant manifestement de la solitude, nous disant apprécier la terrasse du café parce qu'elle y contemple le théâtre de la rue. Elle s'adresse au spectateur comme à un confident et ne tardera pas à lui dire ce qu'elle a sur le coeur.

Elle n'a pas toujours été cette femme, financièrement à l'aise, et pourtant si malheureuse. Ses yeux s'évadent et elle redevient la gamine inculte qui quémande une place de bonne à tout faire. Nous voilà en une fraction de seconde devant une môme de onze ans qui doit faire face aux aléas et qui récite un CV déjà bien garni en terme de compétences. L'école de la vie lui a appris beaucoup de choses utiles et George Sand l'engagera sur le champ pour ramasser les œufs pour la cuisinière et s'occuper des poules.

Il se trouve que je connais le Berry, et la Maison de George Sand, qui est en fait un château du XVIIIᵉ siècle, situé dans l'Indre, à Nohant-Vic, et qui lui valut le surnom de "bonne dame de Nohant". On constatera effectivement son enthousiasme à l'égard d'une servante qui pense mais qui pour le moment s'exprime dans un patois rocailleux. Cependant on aurait envie de réfuter le qualificatif de "bonne" en découvrant combien elle était soumise aux conventions sociales.

Béatrice Agenin est bluffante dans l'alternance des rôles, des âges et des accents. Au contraste qui se révèle entre les deux femmes, s'ajoute le décalage entre l'image féministe que l'on a de George Sand et sa détermination à ce que son fils fasse un mariage de raison. Que ce soit la même comédienne qui interprète et défende les différents points de vue est totalement bluffant.

Son partenaire, Arnaud Denis, qui est aussi le metteur en scène, est fort astucieusement en retrait dans la première partie. Son personnage est médiocre, détestable, avant de se révéler ensuite, offrant au public un retournement de situation dont le comédien tire le meilleur profit. 

La mise en scène n'a pas besoin d'effets. Elle est discrète et efficace. Comme le sont les éléments de décor et les accessoires. La reproduction du château est une maison de poupée qui évoque l'amour de George Sand pour les enfants et son inclinaison pour écrire (aussi) de la littérature jeunesse.

On sait qu'elle avait créé un théâtre de marionnettes et c'est en toute légitimité que celles-ci apparaissent entre les mains de son fils Maurice.

Gérard Savoisien n'a rien occulté du contexte sociopolitique de l'époque, que ce soient les idées révolutionnaires de 1848 ou la noirceur de la guerre de 1870, ni du caractère de George Sand, tiraillée entre sa condition de femme et son ambition. Il a écrit une leçon de lecture qui est un petit bijou. On apprend combien George avait le goût du jardinage. C'est aussi une ode au théâtre puisque la servante s'exercera à la comédie (elle interprètera 35 pièces écrites par George Sand). C'est enfin un manifeste sur la condition de la femme, si souvent soumise au droit de cuissage, et sur la banalité avec laquelle les hommes séduisaient le personnel sans se soucier des conséquences ... même si parfois apparaissaient des sentiments.
Ce personnage de Marie est magnifique dans son évolution, sa rébellion, son courage aussi car elle refuse d'accepter qu'il soit commode de s'accommoder. Elle est autant bouleversante dans sa quête de l'amour que dans son évolution sociale. Elle apprendra à lire et à écrire. Marie des Poules est désormais pleinement Marie Caillaux. De soubrette elle est devenue comédienne et sera gouvernante mais le rôle de mère lui restera refusé.

L'enthousiasme du public fut total, sans bémol, et chacun de nous recommanda sans nul doute le spectacle autour de lui comme faisant partie de ceux qu'il ne fallait pas manquer, et qu'il était astucieux d'aller voir sans délai parce que, on en était certain, il afficherait très vite complet. Ce fut pure vérité. A l'instar d'Une Vie, au Chien qui fume, avec Clémentine Célarié qui interprète un autre portrait de femme comparable en terme d'intensité ... elle aussi mise en scène par ... Arnaud Denis (voir en fin de cet article).
Je n'ai pas d'information sur une reprise parisienne mais précipitez-vous dès qu'elle sera annoncée. Vous ne pourrez qu'être touché par cette effrontée qui fait front et qui devra plier à l’intransigeance de sa patronne alors que son amoureux luttera contre sa mélancolie en collectionnant les papillons.
Marie des Poules, Gouvernante chez George Sand, écrit par Gérard Savoisien
Avec Béatrice Agenin et Arnaud Denis
Mise en scène d'Arnaud Denis
Décor de Catherine Bluwal et lumières de Laurent Béal
Au Théâtre Buffon à 18h - 18 rue Buffon - 84000 Avignon - 04 90 27 36 89
Le spectacle est repris toute la saison 2019-2020 (puis 2020-2021) à Paris, au Théâtre du Petit Montparnasse.
On pourra aussi l'applaudir dans le cadre du Festival NAVA, qui aura lieu du 23 juillet au 1er août 2020 le Samedi 1er août à Limoux, au Château de Flandry à 21h30

Ayant un certain nombre de lecteurs en banlieue sud, je voudrais rappeler qu'après le Théâtre Firmin Gémier, à Antony (92) de 1984 à 1991, Gérard Savoisien a dirigé le Théâtre du Coteau, au Plessis-Robinson de 2008 à 2016. En juillet 2018, sa pièce Mademoiselle Molière, mise en scène d'Arnaud Denis avec Anne Bouvier et Christophe de Mareuil a été créée au théâtre Buffon. Reprise en septembre au Théâtre Le Lucernaire puis de fin janvier à fin mai 2019 au Théâtre Rive Gauche. Elle a été nommée aux Molières 2019 comme Meilleur spectacle de Théâtre Privé et son interprète féminine, Anne Bouvier, a reçu le Molière 2019 de la Meilleure comédienne dans un spectacle de Théâtre Privé.

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Je suis revenue au Buffon pour voir Nos années parallèles, qui  un autre spectacle très touchant, et pour Le K, où Grégory Baquet est fabuleux. Je connaissais déjà Trahisons, (toujours au Théâtre Buffon mais à 19 h 40) vu au Lucernaire (et qui était déjà programmé en Avignon l'an dernier), avec Gäelle Billaut-Danno (dont je parlerai bientôt car elle joue aussi La journée de la jupe au théâtre du Balcon où elle est -elle aussi- extraordinaire).
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Nos années parallèles, texte et musique de Stéphane Corbin
Mise en scène de Virginie Lemoine
Avec Valérie Zaccomer et Alexandre Faitrouni
Lumières de Denis Koransky
Costumes de Julia Allegre
Chorégraphies de Wilfried Bernard
Décor de Grégoire Lemoine
Au Théâtre Buffon à 16 h 20
Nos années parallèles est un duo entre un homme et une femme qui l'interprètent comme une valse prise dans un swing.

On m'avait prédit que je serais émue et j'avais vu sortir plusieurs spectateurs en larmes (juste avant d'entrer dans cette même salle pour voir Marie des Poules). J'étais donc prévenue, ce qui m'a sans doute permis de ne pas me laisser chavirer mais je reconnais qu'il y a de quoi ... même si au final il y a tant d'amour qui circule que l'on ressort avec une sorte d'apaisement.

C'est Stéphane Corbin qui a écrit le texte (lequel a fait l'objet d'abord d'un livre paru chez Lamao Editions en novembre 2017). Personne d'autre que lui n'aurait pu en composer les chansons (tout en ayant l'intelligence de reprendre des titres qui sonnent juste comme Amoureuse de Véronique Sanson, parce que les chansons c'est comme des photos qui parlent) et de plus il interprète la musique en direct sur le plateau ce qui participe à l'émotion dès que l'on devine qu'il assiste au déroulement de sa propre histoire ... même si ce sont les photos de Valérie Zaccomer et Alexandre Faitrouni enfants qui figurent sur l'affiche.

Valérie Zaccomer et Alexandre Faitrouni interprètent donc respectivement la mère et le fils. Ils racontent tour à tour ce que furent leurs dernières années communes, intenses et chaotiques puisque le destin les séparent, physiquement et de manière radicale, mais on s'apercevra que les souvenirs les rapprochent sans cesse. Ils communiquent sans se parler, font parfois les mêmes actions en miroir, et occupent de temps en temps le territoire de l'autre.

Tous les deux chantent aussi, ce qui apporte une dimension de légèreté. Quant aux confidences les plus fortes, elles sont murmurées en chuchotant, ce qui amplifie la charge émotive.

Virginie Lemoine a conçu une mise en scène juxtaposant leurs deux espaces, essentiellement un grand fauteuil club pour elle, un escabeau pour lui ... alors que l'auteur-compositeur est discret derrière son piano, à cour ... mais très présent, et son visage est souvent très expressif. Quel sourire quand le comédien évoque le gamin de la campagne rêvant de la grande ville, porté sur une seule chose, la musique.

La mère a vécu un deuil et mesure ce que son propre départ provoquera bientôt. Chacun peut se projeter dans les personnages et le spectacle est conçu de manière à ce que le spectateur ait le temps de laisser affleurer ses propres souvenirs qui, parfois, peuvent se juxtaposer à ceux des personnages, comme pour moi celui de la tarte au citron du Loir dans la théière et sa meringue insensée.

Tout fait écho en nous. Il est vrai que plein de gens aujourd'hui se sortent des pires cancers. Mais il est vrai aussi que cette maladie fait des ravages. Les paroles sont d'une tendresse absolue. On se refuse tous à croire que le temps auprès de ceux qu'on aime nous soit compté. Quel que soit le nombre des années ce n'est jamais trop. Ici c'est court. Stéphane a perdu sa maman alors qu'il n'avait que 23 ans.

La fin, sans chercher à la spolier, est magnifique. Il faut parler aux êtres chers de nos rêves et ne jamais douter qu'ils sont heureux pour nous, ce qui autorise à devenir fort, et nous permet de continuer à vivre en leur compagnie une vie qui devient ... parallèle. Comme Stéphane Corbin que l'on salue autant que les comédiens.
Auteur-compositeur-interprète, Stéphane Corbin compose pour le cinéma, la télévision, la comédie musicale et le théâtre. On peut aussi l'applaudir pendant le festival dans le spectacle Bye, bye Tristesse avec Caroline Loeb (à La Luna, et qui fera l'objet d'un article spécifique). il a aussi composé la musique de Suite française, où joue Béatrice Agenin (au Théâtre du Balcon).

Il a sorti sous son nom deux albums écrits avec son père et son frère. Il a donné plus de 700 concerts dans toute la France, et fait les premières parties de Juliette et de Thomas Fersen. Enfin il est aussi l'initiateur du collectif musical Les Funambules, qui rassemble plus de 400 artistes luttant contre l'homophobie.

Nos années parallèles, de Dino Buzzati, adapté par Xavier Jaillard
Mise en scène de Xavier Jaillard & Grégori Baquet
Avec Grégori Baquet
Lumières de Stéphane Baquet
Création musicale de Frédéric Jaillard
Au Théâtre Buffon à 14 h 45
Le K n'est pas une création récente. Il a été joué il ya dix ans au Petit Hébertot quand Xavier Jaillard en était alors le directeur. Mais je ne l'avais pas vu. C'est cet été que je l'ai découvert et ce spectacle m’a enchantée. Le comédien manipule un élément de décor très original, en bois, en forme de K majuscule, qui sera bureau, tableau (avec paper-board) ou bateau avant de représenter à la fin de la représentation l’animal mythologique qui pourrait le dévorer ... à moins qu’il n’ait toute sa vie mal interprété les paroles de son père.
C’est fantasque et humoristique. Chaque démonstration est brillante. Le jeu de Grégori Baquet est fascinant, s'accordant parfaitement à l'univers surréaliste de Dino Buzzati que, comme lui, j'avais étudié au lycée et qui m'avait secouée.
C'est une très bonne idée de l'avoir repris, particulièrement avec le copain de classe avec lequel il l'avait tant apprécié et qui signe la musique. Je n'ai qu'un regret, avoir été contrainte de partir avant l'ultime séquence, jouée après les saluts devant un public se retenant de crier "encore!" (on n'imagine pas qu'au théâtre il puisse y avait un morceau supplémentaire après les rappels). Grégori Baquet l'avait annoncée mais la dure loi des horaires est intransigeante pendant le festival. J'étais attendue à quelques mètres à un autre spectacle où je savais que je ne pourrais pas arriver en retard de plus de deux minutes.

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