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vendredi 29 mai 2020

Un loup quelque part d'Amélie Cordonnier

Ce ne sera pas un coup de cœur alors que j’avais, il y a deux ans, plébiscité Trancher.

Pourtant la langue est belle. Le sujet passionnant. Le développement intéressant. Aucun reproche à faire mais ... je n’ai pas éprouvé ce "petit" plus qui fait qu’on a envie de partager un roman avec le maximum de lecteurs. Dommage.

Il démarrait bien, avec en exergue, quelques mots d'Albin de la Simone dont j'aime tant la chanson ... Dans la tête. Avec plus loin l'allusion au film Loving qui m'avait bouleversée (p. 96).

Entre temps était apparu sèchement (p. 36) le nom de Gregor Samsa, sans explication. Comme si le lecteur était censé savoir qu'il s'agit du personnage principal de La métamorphose de Kafka. C'était une référence très implicite, trop ... et je m'étais dit que j'avais dû en louper d'autres.
Une femme accouche d'un second enfant, magnifique de prime abord. Au début, elle a cru qu’il lui plaisait, ce petit. Seulement voilà, cinq mois plus tard, elle a changé d’avis. Ça arrive à tout le monde, non ? Elle voudrait le rapporter à la maternité. Qui n’a pas un jour rendu ou renvoyé la chemise, le pantalon, le pull, la ceinture ou les chaussures qu’il venait d’acheter ?
Que fait cette tache, noire, dans le cou de son bébé ? On dirait qu’elle s’étend, pieds, mains, bras, visage. Mais pourquoi sa peau se met-elle à foncer ? Ce deuxième enfant ne ressemble pas du tout à celui qu’elle attendait. Aucun doute, il y a un loup quelque part.
Pauvre animal qui est invoqué à toutes les sauces, trop souvent synonyme du mal alors que, dans la plupart des contes, c'est lui le dindon de la farce. Vous me direz que Pierre Perret lui a consacré une  chanson très tendre, sauf que son p'tit loup n'oubliera sans doute rien de ce qui l'aura fait pleurer.

J'étais intéressée par les interrogations de la narratrice sur l'amour maternel, la différence ... les secrets de famille mais aussi sur le devoir conjugal. Mais, sans qu'elle ne me mâche le travail, je ne voulais pas non plus devoir faire un effort de compréhension sur des sous-entendus qui, si je ne les comprenais pas, me privait de l'accès au sous-texte.

J'ai fait l'effort d'entrer dans son cerveau, cherchant un message dans le choix des prénoms de ses enfants. Peut-être n'y avait-il aucune idée préconçue avec Esther, mais celui d'Alban ne pouvait pas être neutre. Le pauvre garçon devient, de jour en jour le scrupule qui la blesse, à l'instar d'un caillou,   de cette petite pierre pointue qui, lorsqu'elle s'interpose entre le pied et la semelle de la sandale, ralentit la progression du légionnaire romain.

La mère doit chaque jour recommencer à masquer la vérité, en supportant ce qui devient un martyre, dont elle ne voit pas davantage la fin que Sisyphe remontant son rocher (p.51).

Pour que je la soutienne et que je partage sa réflexion il me fallait la comprendre. L'auteure semblait elle-même la lâcher : Faut qu'elle arrête, il n'y a que des conneries dans sa tête. Elle se fait pitié. N'arrive plus à réfléchir. comme si elle avait buggé (p. 58).

La question centrale de ce roman mérite cependant d'être posée : qu'est-ce que ça aurait changé dans ses choix de vie si cette femme avait eu la peau noire et que son bébé conserve la sienne dans une carnation claire ? A quoi tient l'identité ? A ce qui se voit ou à ce que l'on sait que l'on est ?

L'interrogation est existentielle. Peut-on aimer pareillement chacun de ses enfants ? Peut-on reconnaitre comme sien un enfant qui ne nous ressemble pas. C'est un sujet qui m'est proche puisque lorsque j'avais entamé une démarche d'adoption j'avais précisé que je souhaitais accueillir un bébé dont on ne se rendrait pas compte, au premier coup d'oeil, qu'il puisse ne pas être biologiquement le mien.

C'était il y a très longtemps, mais mes craintes n'avaient pas semblé légitimes. J'avais tenté d'argumenter en évacuant la question de la couleur de la peau, en disant que j'aurais l'air stupide avec un enfant blond aux yeux bleus, moi qui suis brune aux yeux marrons.

Et puis j'ai été enceinte. A la maternité, la sage femme m’a félicitée de la naissance d’un beau bébé blond aux yeux bleus (ma fille avait pourtant les cheveux noirs à la naissance). J’ai répondu en riant que les bébés naissent toujours avec les yeux bleus. Elle a insisté que oui mais moi je sais que le vôtre gardera ses yeux bleus et que ses cheveux repousseront blonds.

Effectivement, et rebelote pour mon fils un an plus tard, ce qui n'a pas manqué de me troubler puisque même si leur père avait ces deux caractéristiques je savais bien qu'elles étaient récessives. Je ressemblais trait pour trait à mes parents, tous deux bruns aux yeux noirs. Je n'avais aucun doute sur le fait que j'étais bien la mère de mes enfants mais tout de même, cette filiation était illogique.

J’ai fait une enquête et ai découvert que la moitié des frères et soeurs de mon père (qui en avait tout de même 10) étaient roux avant d’avoir les cheveux blancs. Et que mes grands-parents maternels (décédés depuis longtemps) avaient les yeux bleus, ce dont je n’avais pas le souvenir, car rien ne se remarquait sur les photos en noir et blanc. Je n’aurais jamais imaginer être porteuse de ces gênes là, ni de mettre au monde des enfants qui à ce point ne me ressembleraient pas.

A l'inverse du personnage du roman, je n'ai pas éprouvé de problème d'attachement. Mais partout où je vais en leur compagnie je lis bien dans le regard des gens cette question muette, qui parfois n'est pas censurée : c'est ta fille, là sur la photo ?

Si bien que, même si je n'ai pas a-do-ré ce livre, je le trouve tout à fait essentiel.

Un loup quelque part d'Amélie Cordonnier chez Flammarion, en librairie depuis le 11 mars 2020
Livre lu dans le cadre de la Sélection "anniversaire" 2020 : 14 romans (premiers ou deuxième textes, anciens ou récents, français ou traduits) choisis par un panel d’auteurs et 5 seconds romans français.

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