Le chien de Schrödinger est dans la Sélection anniversaire des 68 premières fois par la volonté de Gabrielle Tuloup, dont j'ai énormément aimé le second roman, Sauf que c'étaient des enfants, récemment chroniqué.
J'avais lu le titre un peu trop fugitivement, et j'avais fait un lien avec le spectacle musical de Samuel Sené, qui a reçu 7 nominations et 4 statuettes aux Trophées de la comédie musicale 2019 : Meilleur livret, Meilleure musique, Meilleure mise en scène, Révélation féminine (Juliette Behar).
Intitulé L'homme de Schrödinger je l'avais vu au Festival d'Avignon l'été dernier. Je revoyais les scènes de cette incroyable histoire d’amour entre un indécis chronique et une femme qui joue sa vie à pile ou face. Bien entendu l'intitulé du livre de Martin Dumont ne pouvait qu'être une référence directe à la physique quantique et aux probabilités étudiées par le théoricien Erwin Schrödinger.
Je peux dire que la couverture ne me tentait pas, et que je craignais un roman très complexe, difficile à comprendre. Autant le dire sans plus tarder, j'ai énormément aimé ce livre pour sa sensibilité, sa justesse de ton. Les phrases sont concises, mais pesant leur poids de sens. Martin Dumont les ordonne avec une maitrise stupéfiante, ou pas si on considère que son métier d'architecte naval l'entraine à s'y connaitre en équilibre. Un premier roman remarquable qui laisse espérer un excellent second, dont on sait dont la sortie est maintenant imminente, toujours chez Delcourt, sous le titre Les Avrils.
Je peux dire que la couverture ne me tentait pas, et que je craignais un roman très complexe, difficile à comprendre. Autant le dire sans plus tarder, j'ai énormément aimé ce livre pour sa sensibilité, sa justesse de ton. Les phrases sont concises, mais pesant leur poids de sens. Martin Dumont les ordonne avec une maitrise stupéfiante, ou pas si on considère que son métier d'architecte naval l'entraine à s'y connaitre en équilibre. Un premier roman remarquable qui laisse espérer un excellent second, dont on sait dont la sortie est maintenant imminente, toujours chez Delcourt, sous le titre Les Avrils.
Schrödinger est cité en exergue en comparaison entre le défaitisme de Shöpenhauer et l'optimisme de Leibniz. Et s'il n'y avait pas de juste milieu ? Ou plutôt si on pouvait être à la fois l'un et l'autre comme Françoise Giroud l'a souvent exprimé pour définir son tempérament.
Ayant lu le titre un peu trop vite, je m'attendais à trouver un chat, ... ou un chien à la rigueur. Surtout que Le chat de Schrödinger a déjà été écrit (par Philippe Forest, collection Blanche chez Gallimard, en 2013). Et que personne n'a jamais su pourquoi le Prix Nobel n'a pas mis dans sa boite un rat ou un autre animal, ni si c'était son propre chat qui lui avait inspiré sa théorie.
Le début de l'histoire m'a totalement déstabilisée. Plutôt agréablement malgré le contexte assez sombre. On ne contrôle pas tout prévient Jean dans les premières pages (p. 19). Le narrateur est chauffeur de taxi (comme un des personnages de Grand frère, un autre livre de la Sélection). Dieu qu'il aimerait, du moins comprendre ce qui est arrivé, ne pas naviguer sa vie à vue.
Depuis presque vingt ans, il maraude chaque nuit à bord de son taxi, pour ne pas perdre une miette de son fils, Pierre, qu’il a élevé seul depuis la mort brutale de sa femme Lucille, au cours d'un accident de voiture. Il lui a transmis son goût pour la plongée, ces moments magiques où ensemble ils descendent se fondre dans les nuances du monde, où la pression disparaît et le cœur s’efface. Mais depuis quelque temps, Pierre est fatigué. Trop fatigué. Il a beau passer son temps à le regarder, Jean n’a pas vu les signes avant-coureurs de la maladie. Alors de l’imagination, il va lui en falloir pour être à la hauteur, et inventer la vie que son fils n’aura pas le temps de vivre. Quand la vérité s’embrouille, il faut parfois choisir sa réalité.
Existe-t-il de beaux mensonges ? Sont-ce ceux qu'on fait aux autres, pour leur bien, ou ceux que l'on fait à soi-même ? A-t-on le choix de dire toujours la vérité ? La connait-t-on d'ailleurs ?
Jean et son fils Pierre y sont confrontés à plusieurs moments de leur vie, au cours d'une balade nocturne en découvrant une lumière rouge à la surface de l'océan, à l'annonce d'un diagnostic, en voulant réaliser un projet qui leur tient à coeur.
Revenons à Schrödinger pour ceux qui ne le connaitraient pas. Le physicien fait l'hypothèse d'un chat enfermé dans une boite avec un dispositif qui tue l'animal dès qu'il détecte la désintégration d'un atome d'un corps radioactif. La vie du chat est en péril mais il peut aussi bien être mort que vivant tant qu'on n'a pas vérifié son état. Le raisonnement est purement conceptuel et n'a jamais été mis en oeuvre (évidemment, on n'allait pas risquer de sacrifier un chat). C'est en quelque sorte une expérience de pensée, pour faire comprendre qu'il était possible de se trouver dans un état superposé mort et vivant.
Martin Dumont l'explique plus simplement pour résoudre la hantise de Pierre, tenaillé par le besoin de savoir si la mort de Lucille ne serait pas un suicide déguisé. Sa belle-mère lui apportera un peu de paix en lui suggérant que cette histoire est une boite qu'on ne peut pas ouvrir (...). Il n'y a que des suppositions, des peut-être, et le poids qu'on décide de leur donner (p. 107). Alors pour vivre avec ce dilemme, la seule solution est de "choisir, inventer une vérité". Qui deviendra notre vérité. Un peu à l'instar d'Alain Gillot dans S'inventer une île, pour supporter la mort d'un fils.
Parallèlement aux interrogations cruciales autour du mensonge et de la vérité, ce premier roman soulève aussi la question du présent. On ne devrait jamais attendre. Toutes ces choses que l'on préserve; c'est un coup à mourir sans en profiter (p. 82) ... également de ces bons moments dont l'auteur nous prévenait au tout début du récit (p. 19) qu'il fallait en profiter.
Cette réflexion est plus que jamais vérifiée pendant la période de confinement que nous allons probablement sortir, mais dans quel état, et avec quelles priorités ?
Quant au damier de la couverture, il m'évoque désormais le miroitement de l'eau au fond d'une piscine, la déformation des corps plongés dans un liquide suite à la réfraction, illusion d'optique et pourtant réalité.
C'est un livre que je vais souvent recommander. Quelle chance que Gabrielle Tuloup ait rencontré Martin Dumont au fil des festivals et autres salons où ils se retrouvaient cote à cote. Et que ce parisien, né à Paris en 1988, ait longtemps vécu en Bretagne, où il est tombé amoureux de la mer à tel point qu'il en fait un des personnages principaux de ce roman d'amour fou.
Le début de l'histoire m'a totalement déstabilisée. Plutôt agréablement malgré le contexte assez sombre. On ne contrôle pas tout prévient Jean dans les premières pages (p. 19). Le narrateur est chauffeur de taxi (comme un des personnages de Grand frère, un autre livre de la Sélection). Dieu qu'il aimerait, du moins comprendre ce qui est arrivé, ne pas naviguer sa vie à vue.
Depuis presque vingt ans, il maraude chaque nuit à bord de son taxi, pour ne pas perdre une miette de son fils, Pierre, qu’il a élevé seul depuis la mort brutale de sa femme Lucille, au cours d'un accident de voiture. Il lui a transmis son goût pour la plongée, ces moments magiques où ensemble ils descendent se fondre dans les nuances du monde, où la pression disparaît et le cœur s’efface. Mais depuis quelque temps, Pierre est fatigué. Trop fatigué. Il a beau passer son temps à le regarder, Jean n’a pas vu les signes avant-coureurs de la maladie. Alors de l’imagination, il va lui en falloir pour être à la hauteur, et inventer la vie que son fils n’aura pas le temps de vivre. Quand la vérité s’embrouille, il faut parfois choisir sa réalité.
Existe-t-il de beaux mensonges ? Sont-ce ceux qu'on fait aux autres, pour leur bien, ou ceux que l'on fait à soi-même ? A-t-on le choix de dire toujours la vérité ? La connait-t-on d'ailleurs ?
Jean et son fils Pierre y sont confrontés à plusieurs moments de leur vie, au cours d'une balade nocturne en découvrant une lumière rouge à la surface de l'océan, à l'annonce d'un diagnostic, en voulant réaliser un projet qui leur tient à coeur.
Revenons à Schrödinger pour ceux qui ne le connaitraient pas. Le physicien fait l'hypothèse d'un chat enfermé dans une boite avec un dispositif qui tue l'animal dès qu'il détecte la désintégration d'un atome d'un corps radioactif. La vie du chat est en péril mais il peut aussi bien être mort que vivant tant qu'on n'a pas vérifié son état. Le raisonnement est purement conceptuel et n'a jamais été mis en oeuvre (évidemment, on n'allait pas risquer de sacrifier un chat). C'est en quelque sorte une expérience de pensée, pour faire comprendre qu'il était possible de se trouver dans un état superposé mort et vivant.
Martin Dumont l'explique plus simplement pour résoudre la hantise de Pierre, tenaillé par le besoin de savoir si la mort de Lucille ne serait pas un suicide déguisé. Sa belle-mère lui apportera un peu de paix en lui suggérant que cette histoire est une boite qu'on ne peut pas ouvrir (...). Il n'y a que des suppositions, des peut-être, et le poids qu'on décide de leur donner (p. 107). Alors pour vivre avec ce dilemme, la seule solution est de "choisir, inventer une vérité". Qui deviendra notre vérité. Un peu à l'instar d'Alain Gillot dans S'inventer une île, pour supporter la mort d'un fils.
Parallèlement aux interrogations cruciales autour du mensonge et de la vérité, ce premier roman soulève aussi la question du présent. On ne devrait jamais attendre. Toutes ces choses que l'on préserve; c'est un coup à mourir sans en profiter (p. 82) ... également de ces bons moments dont l'auteur nous prévenait au tout début du récit (p. 19) qu'il fallait en profiter.
Cette réflexion est plus que jamais vérifiée pendant la période de confinement que nous allons probablement sortir, mais dans quel état, et avec quelles priorités ?
Quant au damier de la couverture, il m'évoque désormais le miroitement de l'eau au fond d'une piscine, la déformation des corps plongés dans un liquide suite à la réfraction, illusion d'optique et pourtant réalité.
C'est un livre que je vais souvent recommander. Quelle chance que Gabrielle Tuloup ait rencontré Martin Dumont au fil des festivals et autres salons où ils se retrouvaient cote à cote. Et que ce parisien, né à Paris en 1988, ait longtemps vécu en Bretagne, où il est tombé amoureux de la mer à tel point qu'il en fait un des personnages principaux de ce roman d'amour fou.
Le chien de Schrödinger - Martin Dumont - Delcourt - en librairie depuis le 11 avril 2018
Livre lu dans le cadre de la Sélection "anniversaire" 2020 : 14 romans (premiers ou deuxième textes, anciens ou récents, français ou traduits) choisis par un panel d’auteurs et 5 seconds romans français.
Billet illustré par une carte postale de La biche dans les bois de Philippe Lagautrière, acrylique sur toile, 2008, 130 sur 195 cm
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