Difficile à imaginer mais je n’avais jamais monté les marches du musée Marmottan Monet dont pourtant j’avais souvent entendu parler, en raison surtout de sa collection de tableaux de Monet. Il recèle bien d’autres richesses et je promets un article sur le fond permanent dans quelques jours.
Aujourd’hui, je focaliserai le regard sur l’exposition En Jeu! Les artistes et le sport (1870-1930) sur laquelle on avait attiré mon attention au cours du vernissage de celle qui est consacrée à L’atelier de Leonardo Cremonini, à l’Institut.
On a bien eu raison car on peut y voir des oeuvres étonnantes, et peu exposées comme cette Femme au podoscaphe (1865) de Gustave Courbet qui aura donc mis en valeur la femme autrement que par l’origine du monde, ou un tableau de Claude Monet (1840-1926) célébrant des patineurs dont j’ignorais l’existence. Je reviendrai sur ces oeuvres plus bas. Mon premier coup de coeur porte sur une magnifique Leçon d’escrime peinte par Alcide-Théophile Robaudi (1847-1928) en 1887, une huile sur toile de 223 x 157 cm, prêtée par la Knupp Gallery de Prague qui ouvre l’exposition.
Les Jeux olympiques et Paralympiques de Paris 2024, les premiers organisés depuis cent ans dans la capitale, ont donné au musée cette idée de puiser dans ses collections en les complétant par plus de 160 œuvres et documents significatifs provenant de collections privées et publiques d’Europe et des États-Unis (Peggy Guggenheim de Venise, Yale University Art Gallery de New Haven, Philadelphia Museum of Art, musée Fabre de Montpellier, Centre Pompidou, musée Bourdelle à Paris, musée d’Ordrupgaard au Danemark, Staatsgalerie de Stuttgart...).
La scénographie nous renseigne sur la société de la seconde moitié du XIX° siècle qui prend peu à peu plaisir à profiter de son temps libre pour exercer des activités de loisirs sur terre ou sur l’eau et assister à des représentations sportives.
Ces nouvelles pratiques ont fait leur apparition sous le Second Empire et leur engouement ne cesse de progresser. Elles tiennent une place centrale dans la production du groupe impressionniste mêlant éléments naturels et modernité. Certaines toiles impressionnistes du musée et certains des carnets de dessins de Monet conservés in-situ témoignent de cet engouement qui se popularise.
La scénographie nous renseigne sur la société de la seconde moitié du XIX° siècle qui prend peu à peu plaisir à profiter de son temps libre pour exercer des activités de loisirs sur terre ou sur l’eau et assister à des représentations sportives.
Ces nouvelles pratiques ont fait leur apparition sous le Second Empire et leur engouement ne cesse de progresser. Elles tiennent une place centrale dans la production du groupe impressionniste mêlant éléments naturels et modernité. Certaines toiles impressionnistes du musée et certains des carnets de dessins de Monet conservés in-situ témoignent de cet engouement qui se popularise.
C'est un tableau de Ferdinand Gueldry qui a été retenu pour illustrer l'affiche de l'exposition. Passionné d’aviron qu’il pratiqua lui-même en amateur, il peignit à de nombreuses reprises, comme Thomas Eakins, dont on peut voir aussi une oeuvre, les courses de rowing qui connaissaient alors une grande popularité sociale, comme le montre la foule des spectateurs qu’il n’omit pas de représenter. Son tableau montre la victoire, sanctionnée par l’arbitre, de l’équipe de la Société nautique de la Marne sur le Rowing club sur son adversaire britannique, lors d’une compétition organisée en 1882 sur la Seine, entre Boulogne et Suresnes. On remarquera plusieurs oeuvres sur ce thème, comme ci dessous Van Strydonck et Monet.
Les Canotiers (1889) de Guillaume Séraphin Van Strydonck (1861-1937)
Régates à Argenteuil (1872) de Claude Monet (1840-1926)
C'est depuis l’Angleterre que le sport se diffusa tout au long du XIX° siècle sur le continent européen et jusqu’aux États-Unis, en traversant les frontières, les espaces sociaux et les appartenances culturelles. S’il s’agissait encore alors d’une pratique élitaire, principalement aristocratique et bourgeoise, teintée d’une anglomanie, le sport se démocratisa durant la deuxième moitié du siècle. Qu’on s’y adonne par goût de l’effort ou qu’on le regarde en spectacle, il intéressa les masses en quête de loisirs et de temps libre conquis sur le travail cadencé et la productivité.
La fréquence des sujets sportifs dans l’art des décennies 1870 à 1930 mérite d’être interrogée pour ce qu’elle dit des valeurs attachées à ces pratiques individuelles ou collectives dans l’imaginaire des artistes qui, parfois, sont des sportifs aguerris. Surtout si on songe que Pierre de Coubertin fonda en 1896 les Jeux olympiques en réinventant la tradition des olympiades antiques. La première édition se tint à Athènes en 1896 – en hommage à l’olympisme antique – et Paris accueillit les éditions de 1900 et 1924.
Si les artistes des XIX° et XX° siècles furent très intéressés par le sport, c’est parce que ses praticiens s’y adonnaient à la fois en plein air – la lutte, le patinage ou le ski trouvaient leur terrain dans le paysage qui constituait alors le genre majeur de la peinture – et dans des espaces aménagés à cet effet. Les sports modernes trouvèrent leur lieu de prédilection sur les vélodromes, les hippodromes ou les rings ou encore dans les arènes des stades de la ville contemporaine accueillant les matchs de rugby et de football. Ces lieux, qui étaient agencés pour accueillir des spectateurs, offrirent aux artistes autant de configurations visuelles et formelles, à partir desquelles les enjeux de la modernité artistique purent être interrogés sous un nouveau jour.
Le sport changea de statut social et culturel au cours de la seconde moitié du XIX° siècle. Il intéressa peintres, sculpteurs et photographes qui y virent l’expression d’une modernité qu’ils exploraient par ailleurs. Qu’ils en aient été des spectateurs passionnés (Henri de Toulouse-Lautrec) ou des praticiens aguerris (Paul Signac), ceux-ci ont sans doute reconnu comme leurs les qualités de détermination et d’endurance des sportifs aptes à se dépasser. Le lutteur, le boxeur et l’escrimeur ou le régatier ne peuvent-ils être considérés comme des autoportraits métaphoriques des artistes livrant des combats chargés de promesses de victoire et de reconnaissance?
Dans le même temps, la pratique sportive de plus en plus accessible aux masses populaires en quête de loisirs se démocratisa également. Honoré Daumier et Félicien Rops firent de cette découverte du sport par les catégories sociales qui en avaient jusqu’alors été tenues éloignées le prétexte de caricatures aussi drôles que cruelles et dont voici deux exemples :
En haut, La leçon à sec d'Honoré Daumier (1808-1879) de la série "Les Baigneurs", lithographie parue dans Le Charivari le 30-31 mai 1841. En dessous : Développez les muscles des bras ; dans cet exercice vous vous contusionnerez peut-être un peu la tête, mais les bras, les bras avant tout !… Cette lithographie de la série "La régénération de 'homme par la gymnastique" a été publiée dans Le Journal amusant le 4 novembre 1865.
Dans la première moitié du XIX° siècle, les sports se pratiquaient dans des milieux sociaux où ils participaient d’une appartenance à l’aristocratie ou à la grande bourgeoisie, avec lesquelles contraste l’ironie des lithographies de Daumier et Rops. L’aisance matérielle et la libre jouissance de son temps étaient propices à ces activités de loisirs et d’agrément, pratiquées dans le plaisir de l’entre-soi social et culturel. Le sportman était donc un gentleman, passionné d’équitation, féru de régates ou d’aviron. Les impressionnistes, eux-mêmes souvent amateurs de canotage à la rame pratiqué dans les environs de Paris ou Namur et de régates à la voile courues sur les côtes normandes ou anglaises, furent des acteurs et des témoins privilégiés de ces sports nautiques. Leur attention témoigne aussi d’un moment où ces sociabilités sportives sélectes évoluaient vers des structures fédératives plus ouvertes et donc plus populaires organisant les grandes unions nationales qui, à compter des années 1880, furent chargées d’encadrer les entraînements et de réglementer les compétitions.
Pierre Gatier fut l'un des acteurs du renouveau de la gravure dite originale à la Belle-Epoque, où il privilégia les techniques de l'eau-forte et de l'aquatinte en couleurs. Il se caractérisa par sa vive curiosité pour la vie mondaine et élégante de son temps -celle du boulevard parisien, des Champs-Elysées, de la rue de la Paix et de Longchamp-, pour ses lieux, moments et figures. Son oeuvre gravée fut collectionnée par le couturier Jacques Doucet. Quittant momentanément les salons des modistes et les rayons des grands magasins, Gatier s'intéressera aux pratiques sportives de la bonne société qui assistait aux courses hippiques de Chantilly, skiait dans les Alpes ou patinait au Bois de Boulogne.
Au vélodrome (1912) de Jean Dominique Antony Metzinger (1883-1956)
Huile et collage sur toile de 130,4 x 97,1 cm
Venise, collection Peggy Guggenheim (Solomon R. Guggenheim Foundation, New York)
L'oeuvre, inspirée de la course Paris-Roubaix, est un portrait cubiste teinté de futurisme, du champion Charles Crupelandt. Par ses effets de transparence où se confondent la tête du sportif et la file des spectateurs, le peintre décompose les mouvements, démultiplie les temporalités et les perspectives en braillant les plans. Il inscrit pleinement la figure du cycliste qui fait corps avec sa machine dans un environnement de formes géométriques, en rejetant le naturalisme au profit de la traduction du mouvement simultané, de la vitesse et des sensations de la course réputée difficile, qui fut rapidement baptisée l'enfer du Nord.
L'exposition m'a surprise parce qu'elle se compose d'oeuvres que je ne connaissais pas. Comme un tableau d'André Lhote dont voici un détail ci-dessous. Il appartient à une série d’œuvres où le peintre cubiste donna sa perception du rugby, au moment où ce sport se démocratise et s’acculture en France. L'artiste se montra sensible au jeu des formes décomposées par l’action et des couleurs chamarrées des tenues assimilant les joueurs à des Arlequins, s’entrechoquant dans une composition pyramidale, que couronne le ballon ovale brandi en l’air comme un astre. A l’écart de ce groupe, à droite, un rugbyman se repositionne, tandis qu’à gauche, le mot Event renvoie aux origines anglaises du sport.
André Lhote (1885-1962)
Partie de rugby ou Les Foot-Ballers 1re moitié du xx° siècle, peut-être en (1937 ?)
Huile sur toile de 103 × 129,5 cm
Saint-Quentin, musée des Beaux-Arts Antoine Lécuyer
Au XIX° siècle, le sport fut principalement une activité masculine, tant il permit de célébrer la puissance physique de l’homme, entre héroïsme et virilisme, dans des pratiques souvent agressives – tels le rugby ou la boxe – qui marginalisaient les femmes réputées fragiles ou passives. Cantonnées à leur rôle de procréatrices, elles se trouvèrent longtemps assignées à une place de spectatrices des prouesses masculines.
Si les femmes firent une timide apparition aux Jeux olympiques de 1900, Coubertin se montra réticent face à leurs capacités sportives, affirmant que leur rôle serait de "couronner les vainqueurs". Comme pour contrarier cette assertion, des disciplines sportives s’ouvrirent aux femmes – le hockey sur gazon, le golf, le lawn tennis... –, qui se regroupèrent en sociétés féminines spécifiques. Celles-ci donnèrent bientôt les premières figures de championnes modernes. Les représentations de sportives par les peintres demeurent ambiguës, par les poses dansantes qu’ils en donnent, l’érotisme des corps ou l’élégance vestimentaire qu’ils y associent. L'exposition nous donne donc plusieurs exemples de la représentation féminine dans le monde sportif.
À Trouville où il séjourna longuement en 1865, Courbet vit "une dame qui allait sur la mer avec une barque qu’on nomme podoscaphe, c’est deux boîtes grandes comme des cercueils étroits et reliés ensemble". Il souhaita aussitôt en tirer le sujet d’un tableau destiné au Salon, mais qu’il n’acheva pas. Également intitulée "L’Amphitrite moderne", par raillerie des nus féminins mythologiques très en vogue sous le Second Empire, cette œuvre n’était-elle pas une manière d’ironiser sur l’incongruité de certains sports et loisirs balnéaires, tout en réinterrogeant la peinture de marine ?
La Femme au podoscaphe (1865) de Gustave Courbet (1819-1877)
Huile sur toile de 173 x 210 cm, Collection particulière
Deux huiles sur toile de 161 x 106 cm de la série Nausicaa, jeu de balle, Tennis I et Tennis II (1913) de Maurice Denis (1870-1943) prêtées par le musée national du Sport de Nice
Ces toiles appartiennent à un ensemble décoratif que le peintre conçut à l'initiative du marchand Eugène Druet et qui fut acquis en 1921 par le collectionneur Marcel Kapferer pour la salle à manger de son hôtel particulier, avenue Henri-Martin. Le cycle de six panneaux composait un décor mural inspiré des jeux de Nausicaa et ses suivantes, dont Homère rapporte dans l'Odyssée, qu'elles réveillèrent par leurs cris joyeux Ulysse, le naufragé qui les effraya en leur apparaissant nu, sale et affamé. dans son interprétation moderne de cet épisode, Maurice Denis transforma les antiques jeux de balle de Nausicaa et ses compagnes en une partie de tennis moderne.
Excellent gymnaste lui-même, Georges Demenÿ (1850-1917) qui pratiquait la course, le saut en longueur et à la perche, le travail aux agrès, fut un fin connaisseur de l'ensemble des dimensions de l'activité physique, du mouvement et de la force musculaire. D'abord associé avec le promoteur de la chronophotographie en France, Etienne-Jules Marey, dont il fut l'assistant puis le chef du laboratoire à la station physiologique du Parc des Princes (de 1880 à 1894), Demenÿ poursuivit ensuite ses propres recherches avec des physiologistes et des biomécaniciens. Egalement technicien de la photographie, il savait adapter ou inventer des appareils et de dispositifs chronophotographies ou dynamographiques lui permettant de développer une connaissance cinétique et cinétique du mouvement dans la marche, la course, le saut à la perche, le lancer de disque, l'escrime ou la boxe française. De la sorte, il développa une iconographie visant à améliorer la physiologie de l'effort à laquelle il donna une portée morale et patriotique. il présenta ses méthodes et rassembla ses résultats sans deux ouvrages ; Les bases scientifiques de l'éducation physique (1902) et Mécanismes et éducation des mouvements (1903).
Les chronophotographies d’Etienne-Jules Marey et de Georges Demenÿ, les sculptures et photographies pédagogiques de Paul Richer pour ses enseignements de physiologie artistique prodigués à l’École des Beaux-Arts et jusqu’aux photographies de Jules Beau dessinent une iconographie des corps sportifs reposant sur le culte d’une expressivité sculptant les muscles et leurs volumes, pour ciseler des mouvements et dynamiser des silhouettes suspendues comme si elles avaient été électrisées.
Héraklès archer - troisième étude, rocher de droite coupé à l'horizontale, vers 1906-1909 d'Antoine Bourdelle (1861-1929)
Cette oeuvre que Bourdelle exposa au Salon de la Société nationale des beaux-arts de 1910, valut un soudain succès critique et public au sculpteur. Pour trouver l'attitude la plus juste qui lui permettrait de représenter un des 12 travaux d'Hercule -l'épisode du héros viril incarnant l'avènement de l'humanité héroïque en vainquant les terribles oiseaux du lac Stymphale qui se nourrissaient de chair humaine-, l'artiste fit poser un militaire et sportif accompli, le commandant André Doyen-Parigot (qui mourra à Verdun en 1916) rencontré chez Rodin, en qui l'artiste voyait comme un "athlète admirable". La force de la sculpture tient à l'équilibre entre le corps expressif et le vide béant, et aux tensions auxquelles l'anatomie est soumise, par la contradiction entre le bras tendant l'arc et le pied s'appuyant sur le rocher qui écartèlent la pose à l'extrême.
Les Coureurs (vers 1924-1926) de Robert Delaunay (1885-1941)
Huile sur toile de 24 x 33 cm, Stuttgart, Staatsgalerie
Passionné de sports et d'images sportives, Robert Delaunay représenta, à l'occasion des Jeux olympiques de 1924, un peloton de coureurs sur une piste d'athlétisme. Cette oeuvre est l'une des esquisses conçues pour le tableau du musée d'Art moderne de Troyes. Les silhouettes de dos, traitées en aplats et rayures alternés de couleurs, veulent traduire l'effet de masse du peloton sans négliger la part de chaque individualité, pour rendre perceptible la dynamique de la course.
L'exposition est une belle occasion d'admirer des oeuvres de Louise Abbéma, Pierre Bonnard, Antoine Bourdelle, Gustave Courbet, Honoré Daumier, Robert Delaunay, Maurice Denis, Thomas Eakins, Émile Friant, Théodore Géricault, Max Klinger, Aristide Maillol, Claude Monet, Henri de Toulouse-Lautrec, Pierre Auguste Renoir, Auguste Rodin, Félicien Rops, Paul Signac, Alfred Sisley et Kees Van Dongen réunis pour célébrer l’intérêt des artistes pour le sujet sportif, sa modernité et ses changements sociétaux.
En jeu! Les artistes et le sport 1870-1930
Commissariat : Érik Desmazières, directeur du musée Marmottan Monet, associé de Bertrand Tillier, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, co-directeur du Centre d’histoire du XIX° siècle et directeur des Éditions de la Sorbonne et d’Aurélie Gavoille attachée de conservation du musée Marmottan Monet.
Du 4 avril au 1er septembre 2024
Au Musée Marmottan Monet - 2, rue Louis-Boilly 75016 Paris
Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h, nocturne le jeudi jusqu’à 21 h
Fermé le lundi, le 25 décembre, le 1er janvier et le 1er mai
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