J’ai lu Sauf que c’étaient des enfants de Gabrielle Tuloup alors que j’étais confinée. J'ai eu la "chance" de le recevoir avant que la France ne soit paralysée. J'étais impatiente de le découvrir car, étant sorti début janvier, il avait déjà une belle réputation.
Ayant alors des soucis de santé j’ai voulu utiliser la dictée de manière à enregistrer mes notes de lecture sur l'Ipad. Tout semblait parfait, même si, évidemment, il fallait corriger abondamment et régulièrement parce que le logiciel de reconnaissance vocale traduisait mes paroles de manière très souvent fantaisiste.
J’étais assez contente de moi de n’avoir pas cédé à la paresse et d’être parvenue à travailler alors qu’autour de moi on craquait de plus en plus quand, au moment de transférer le texte sur le blog, l’entièreté des paragraphes avait disparu. Ce n’est pas tragique mais rageant tout de même.
Pardon à l’auteure. Je vais faire de mon mieux pour rattraper le coup mais, comme disait Bourvil à Louis de Funès, dans une scène désormais d'anthologie : C'est une catastrophe. Elle va marcher beaucoup moins bien maintenant, forcément.
Ce roman s'organise en trois partie, la première commençant par sauf, la deuxième également, et la troisième par sauve. De cette troisième partie je ne raconterai rien si ce n’est qu’elle est essentielle et qu’elle apporte un éclairage aux précédentes. Et la dédicace, pour ma petite Maman "sainte sentinelle et gardienne" de ses enfants, prend toute sa valeur quand on la relit après avoir refermé le roman.
J'ai énormément aimé ce livre. Je regrette juste, et ce n’est pas la première fois que je le dis, de ne pas disposer d’un album pour écouter chacun des morceaux que Gabrielle Tuloup cite en début de chapitre. J'en écoute plusieurs en boucle, très souvent (comme La boxeuse amoureuse) mais j'ai découvert Agnès Bilh que je ne connaissais pas.
A cet égard l’éditeur aurait pu, a minima, faire figurer la liste à la fin. La voici donc pour ceux que ça intéressent de façon à ce qu’ils se préparent : L’océan, Dominique A. Le drapeau, Mano solo. La mélancolie, Léo Ferré. La nuit je mens, Alain Bashung. Parce que, Serge Gainsbourg. La boxeuse amoureuse, Arthur H. Le soleil noir, Barbara. Viol au vent, Agnès Bilh.
Ils sont huit garçons, élèves du collège André-Breton de Stains (Ne cherchez pas à vérifier, il n’y a pas d'établissement de ce nom dans cette ville où les collèges portent celui de Barbara et de Pablo Neruda) reconnus formellement par la jeune Fatima pour viol en réunion, dont un élève de cinquième.
Leur interpellation fait exploser le quotidien de chacun des adultes qui entourent les enfants. En quoi sont-ils, eux aussi, responsables ? Il y a les parents, le principal, les surveillants, et une professeure de français, Emma, dont la réaction extrêmement vive surprend tout le monde.
Tandis que l’événement ravive en elle des souvenirs douloureux, Emma s’interroge : face à ce qu’a subi Fatima, a-t-elle seulement le droit de se sentir victime ? Car il est des zones grises où la violence ne dit pas toujours son nom…
Ludovic Lusnel, le chef d’établissement, comprend que l’enfance de chacun de ses élèves se termine aujourd’hui, plus rien ne sera comme avant (page 28).
Ce sont les surveillants qui recevront l’ordre d’aller les chercher en classe. Voilà les élèves en garde à vue. L’entrée de ceux qui appartiennent aux forces de l’ordre dans un établissement scolaire est toujours quelque chose de mal accepté, même lorsque les policiers arrivent pour faire de la prévention en terme de violence ou interviennent dans le cadre des plans Vigipirate.
Les surveillants sont ulcérés d’avoir dû faire cela et expriment leur colère : vous faites votre travail, on fait le nôtre. Chacun fait sa part pour que le bahut tourne. Mais là, franchement, ce que vous avez fait, c’est dégueulasse (page 44). Ils considèrent les élèves comme leurs petits frères et ils pressentent d’avoir, par cet acte, perdu la confiance des gamins. Effectivement cela peut sembler paradoxal mais il n’est pas possible d’avoir une bonne influence sur des enfants, et cela vaut aussi pour des parents maltraitants, en utilisant uniquement des menaces et en faisant juste des rappels à la loi. Parfois il faut intervenir "plus haut", par exemple auprès de l'Aide Sociale à l'Enfance mais gare au personnel enseignant qui s'y risque (je sais bien que c'est de son devoir mais il est préférable que ce soit le médecin scolaire qui fasse le signalement) si ensuite le service social n'agit pas. Les enfants sont alors encore davantage en danger et plus personne, à l'intérieur de l'école, ne peut les soutenir, en raison du sentiment de trahison ressenti par la famille.
Admettons que plus tard le principal obtienne son changement de poste, les surveillants eux précisément, resteront ici, et personne n'aura oublié ce qu'ils ont fait.
Les surveillants, l’assistante sociale, chacun fait ce qu’il peut mais la menace d’une "mauvaise réputation" peut conduire n’importe quelle adolescente à se fourvoyer, et ici à accepter malgré elle de suivre un garçon sans imaginer que la situation va dégénérer. Car il arrive qu’on n’identifie pas immédiatement son bourreau (page 143).
Moins de 2 % des viols aboutissent à une condamnation en cour d’assises. Quel courage il aura fallu à Fatima et à sa maman pour défier la loi du silence ! On voit bien que l'opinion est partagée. Ainsi Camélia, une bonne élève au demeurant, donnera son avis à sa professeure d’arts plastiques, Elise Poincet : franchement c’est à elle qu’il faudrait en vouloir. (…) J’aimerais vraiment pas être à sa place mais elle n’est pas toute blanche non plus, vous savez (…) Il fallait pas qu’elle parle. On déballe pas sa vie comme ça chez nous (page 82). On lit plus loin qu'on serait violée parce qu’on a cherché les embrouilles (page 84). Il est malgré tout vrai que se respecter impose d’apprendre à dire NON à temps. Mais je rappelle que la présomption de consentement (comme le devoir conjugal) ont disparu en 2010 du Code civil.
Toujours est-t-il que personne n’a rien vu venir. Les parents, et particulièrement les mamans, se culpabiliseront, estimant qu’elles auraient peut-être dû être plus présentes, peut-être moins laisser de liberté à leurs filles. Le soulagement viendra malgré tout de la déposition qui signifie, au pied de la lettre, se délivrer d’un fardeau.
Gabrielle Tuloup est enseignante en Seine-Saint-Denis. Alors, évidemment, quand elle insère au fil du récit des documents administratifs tels que un extrait de séquence pédagogique, des bulletins trimestriels, un rapport d’incident, ou un compte-rendu de réunion, le lecteur est en immersion totale. Il faut dire qu'il a été sensibilisé depuis le film La vie scolaire et que, du coup, cet univers est moins opaque.
J'ai été frappée par la justesse de toutes les pièces jointes qui figurent dans le roman. Bravo. On y est.
Je recommande aussi son premier roman, La Nuit introuvable, dans lequel un fils retrouvait sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer et qui, avant de sombrer, lui avait laissé une confession épistolaire émouvante qui allait modifier son jugement et sa vie.
Ayant alors des soucis de santé j’ai voulu utiliser la dictée de manière à enregistrer mes notes de lecture sur l'Ipad. Tout semblait parfait, même si, évidemment, il fallait corriger abondamment et régulièrement parce que le logiciel de reconnaissance vocale traduisait mes paroles de manière très souvent fantaisiste.
J’étais assez contente de moi de n’avoir pas cédé à la paresse et d’être parvenue à travailler alors qu’autour de moi on craquait de plus en plus quand, au moment de transférer le texte sur le blog, l’entièreté des paragraphes avait disparu. Ce n’est pas tragique mais rageant tout de même.
Pardon à l’auteure. Je vais faire de mon mieux pour rattraper le coup mais, comme disait Bourvil à Louis de Funès, dans une scène désormais d'anthologie : C'est une catastrophe. Elle va marcher beaucoup moins bien maintenant, forcément.
Ce roman s'organise en trois partie, la première commençant par sauf, la deuxième également, et la troisième par sauve. De cette troisième partie je ne raconterai rien si ce n’est qu’elle est essentielle et qu’elle apporte un éclairage aux précédentes. Et la dédicace, pour ma petite Maman "sainte sentinelle et gardienne" de ses enfants, prend toute sa valeur quand on la relit après avoir refermé le roman.
J'ai énormément aimé ce livre. Je regrette juste, et ce n’est pas la première fois que je le dis, de ne pas disposer d’un album pour écouter chacun des morceaux que Gabrielle Tuloup cite en début de chapitre. J'en écoute plusieurs en boucle, très souvent (comme La boxeuse amoureuse) mais j'ai découvert Agnès Bilh que je ne connaissais pas.
A cet égard l’éditeur aurait pu, a minima, faire figurer la liste à la fin. La voici donc pour ceux que ça intéressent de façon à ce qu’ils se préparent : L’océan, Dominique A. Le drapeau, Mano solo. La mélancolie, Léo Ferré. La nuit je mens, Alain Bashung. Parce que, Serge Gainsbourg. La boxeuse amoureuse, Arthur H. Le soleil noir, Barbara. Viol au vent, Agnès Bilh.
Ils sont huit garçons, élèves du collège André-Breton de Stains (Ne cherchez pas à vérifier, il n’y a pas d'établissement de ce nom dans cette ville où les collèges portent celui de Barbara et de Pablo Neruda) reconnus formellement par la jeune Fatima pour viol en réunion, dont un élève de cinquième.
Leur interpellation fait exploser le quotidien de chacun des adultes qui entourent les enfants. En quoi sont-ils, eux aussi, responsables ? Il y a les parents, le principal, les surveillants, et une professeure de français, Emma, dont la réaction extrêmement vive surprend tout le monde.
Tandis que l’événement ravive en elle des souvenirs douloureux, Emma s’interroge : face à ce qu’a subi Fatima, a-t-elle seulement le droit de se sentir victime ? Car il est des zones grises où la violence ne dit pas toujours son nom…
Ludovic Lusnel, le chef d’établissement, comprend que l’enfance de chacun de ses élèves se termine aujourd’hui, plus rien ne sera comme avant (page 28).
Ce sont les surveillants qui recevront l’ordre d’aller les chercher en classe. Voilà les élèves en garde à vue. L’entrée de ceux qui appartiennent aux forces de l’ordre dans un établissement scolaire est toujours quelque chose de mal accepté, même lorsque les policiers arrivent pour faire de la prévention en terme de violence ou interviennent dans le cadre des plans Vigipirate.
Les surveillants sont ulcérés d’avoir dû faire cela et expriment leur colère : vous faites votre travail, on fait le nôtre. Chacun fait sa part pour que le bahut tourne. Mais là, franchement, ce que vous avez fait, c’est dégueulasse (page 44). Ils considèrent les élèves comme leurs petits frères et ils pressentent d’avoir, par cet acte, perdu la confiance des gamins. Effectivement cela peut sembler paradoxal mais il n’est pas possible d’avoir une bonne influence sur des enfants, et cela vaut aussi pour des parents maltraitants, en utilisant uniquement des menaces et en faisant juste des rappels à la loi. Parfois il faut intervenir "plus haut", par exemple auprès de l'Aide Sociale à l'Enfance mais gare au personnel enseignant qui s'y risque (je sais bien que c'est de son devoir mais il est préférable que ce soit le médecin scolaire qui fasse le signalement) si ensuite le service social n'agit pas. Les enfants sont alors encore davantage en danger et plus personne, à l'intérieur de l'école, ne peut les soutenir, en raison du sentiment de trahison ressenti par la famille.
Admettons que plus tard le principal obtienne son changement de poste, les surveillants eux précisément, resteront ici, et personne n'aura oublié ce qu'ils ont fait.
Emma Servin, l'enseignante qui les a suivis depuis quatre ans, sera choquée de n'avoir même pas pu leur dire au-revoir (page 153). Qui sait s'ils réapparaitront un jour ... Et pourtant elle est particulièrement clairvoyante, sachant pertinemment que dans les films les monstres se transforment en prince charmant. Dans la vraie vie, c’est l’inverse, exactement l’inverse (page 73). Et on pensera évidemment au livre La vraie vie d’Adeline Dieudonné.
Les surveillants, l’assistante sociale, chacun fait ce qu’il peut mais la menace d’une "mauvaise réputation" peut conduire n’importe quelle adolescente à se fourvoyer, et ici à accepter malgré elle de suivre un garçon sans imaginer que la situation va dégénérer. Car il arrive qu’on n’identifie pas immédiatement son bourreau (page 143).
On observe, à l'instar du film Acusada (qui a inspiré Stéphane Demoustier pour La fille au bracelet) une hypersexualisation de l’environnement qui contraste avec la puissance du déni, à la fois chez les victimes mais aussi chez les agresseurs. Il faut rappeler que le viol est un crime et que, même si on est mineur, quand on prétend à une sexualité d’adulte, on peut être jugé comme tel (page 77).
Moins de 2 % des viols aboutissent à une condamnation en cour d’assises. Quel courage il aura fallu à Fatima et à sa maman pour défier la loi du silence ! On voit bien que l'opinion est partagée. Ainsi Camélia, une bonne élève au demeurant, donnera son avis à sa professeure d’arts plastiques, Elise Poincet : franchement c’est à elle qu’il faudrait en vouloir. (…) J’aimerais vraiment pas être à sa place mais elle n’est pas toute blanche non plus, vous savez (…) Il fallait pas qu’elle parle. On déballe pas sa vie comme ça chez nous (page 82). On lit plus loin qu'on serait violée parce qu’on a cherché les embrouilles (page 84). Il est malgré tout vrai que se respecter impose d’apprendre à dire NON à temps. Mais je rappelle que la présomption de consentement (comme le devoir conjugal) ont disparu en 2010 du Code civil.
Toujours est-t-il que personne n’a rien vu venir. Les parents, et particulièrement les mamans, se culpabiliseront, estimant qu’elles auraient peut-être dû être plus présentes, peut-être moins laisser de liberté à leurs filles. Le soulagement viendra malgré tout de la déposition qui signifie, au pied de la lettre, se délivrer d’un fardeau.
Gabrielle Tuloup est enseignante en Seine-Saint-Denis. Alors, évidemment, quand elle insère au fil du récit des documents administratifs tels que un extrait de séquence pédagogique, des bulletins trimestriels, un rapport d’incident, ou un compte-rendu de réunion, le lecteur est en immersion totale. Il faut dire qu'il a été sensibilisé depuis le film La vie scolaire et que, du coup, cet univers est moins opaque.
J'ai été frappée par la justesse de toutes les pièces jointes qui figurent dans le roman. Bravo. On y est.
Je recommande aussi son premier roman, La Nuit introuvable, dans lequel un fils retrouvait sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer et qui, avant de sombrer, lui avait laissé une confession épistolaire émouvante qui allait modifier son jugement et sa vie.
Sauf que c’étaient des enfants de Gabrielle Tuloup chez Philippe Rey, en librairie depuis le 2 janvier 2020
Livre lu dans le cadre de la Sélection "anniversaire" 2020 : 14 romans (premiers ou deuxième textes, anciens ou récents, français ou traduits) choisis par un panel d’auteurs et 5 seconds romans français.
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