En cette période où nous sommes bouclés à la maison je prends le temps de visionner les films que je n'ai pas eu le temps de voir sur grand écran.
J'avais été bouleversée par le témoignage de la réalisatrice Sarah Suco dans je ne sais plus quelle émission de télévision et Les éblouis figuraient sur ma liste. Je savais qu'il s'agissait de sa propre histoire, dédiée à ses frères et sœurs, et tragique puisqu'elle disait n'avoir jamais revu ses parents depuis plusieurs années.
Quel film important ! Je dirais même nécessaire. Parce que l’embrigadement d’églises au fonctionnement sectaire est une catastrophe et que des personnes faibles, et de "bonne foi" constituent des cibles de choix.
La réalisatrice est bien placée pour en rendre compte. Néanmoins le film se regarde comme une fiction, ce qui participe à sa réussite.
L’introduction est élégante, sur des prouesses acrobatiques de la jeune héroïne, qui se prénomme Camille (prodigieuse Céleste Brunnquell) élève d’une école de cirque. Une petite fête s’annonce pour marquer la fin de l’année. Le papa (Eric Caravaca) n’y voit aucun inconvénient Mais on remarque d’emblée le malaise de la maman (Camille Cottin) probablement en dépression post-partum mais qui, à ce stade, se retranche derrière le poids des tâches familiales.
Le spectateur ne perçoit pas tout de suite la bascule du plan suivant. La famille entière est fédérée pendant une autre fête, celle qu’organise la paroisse autour d’un repas partagé dont un voisin leur a parlé en les conviant à y participer. Sentez-vous à l’aise promet le patron de l’association, dit le berger (Jean-Pierre Darroussin).
Le couple Lourmel a été attiré en raison de leur intérêt pour la vie associative. Leur bonne volonté est manifeste. Rien ne prédit alors qu’elle va les mener à leur perte. Le père et la mère sont vite intégrés, tandis que l’adolescente, qui est la (jeune) aînée de la fratrie, observe avec circonspection les relations qui se nouent. Il faut dire que l’interdiction de poursuivre les cours de l’école du cirque l’ont bien refroidie. Néanmoins elle a l’habitude de la discipline et obéit aux injonctions parentales.
Confirmation nous est donnée que la situation est louche quand on découvre que la jeune postulante qui garde les enfants demande à Camille de mentir en cachant une de ses erreurs. Il y a là un paradoxe. Et puis, très vite la mère déraille, manipule sa fille, sans mauvaise intention, mais manipule tout de même, alors que le père semble dépassé.
L'institutrice baissera les bras ... et n'alertera pas l'Aide sociale à l'enfance malgré des comportements inquiétants. Car, vu de l'extérieur, et comme le justifie Eric Lourmel (le papa) il n'y a rien à redire : On mène des actions sociales pour les plus démunis du quartier.
Bien entendu, si on applique un raisonnement rapide, on pourrait admettre qu’il est positif de souhaiter revenir aux valeurs catholiques, surtout dans notre société individualiste. Ce qui est admirablement bien montré, je dirais démontré, c’est la force de caractère et la capacité d’analyse de l’adolescente qui est davantage une jeune adulte qu’une grande enfant.
Rien n’est anodin. Et surtout pas cette chanson mélancolique, entonnée en chœur pour fédérer et souder les membres de l'association (qui a des allures de secte), et plutôt jolie, qui revient régulièrement :
Si la mer se déchaîne, si le vent souffle fort,
Si la barque t’entraîne, n’aie pas peur de la mort. (bis)
Refrain : Il n’a pas dit que tu coulerais / Il n’a pas dit que tu sombrerais.
Il a dit: Allons de l’autre bord, allons de l’autre bord!
Si ton coeur est en peine, si ton corps est souffrant,
Crois en Jésus, Il t’aime. Il te donne sa paix. (bis)
Si un jour, sur ta route, Tu rencontres le mal,
Ne sois pas dans le doute. Dieu aime ses enfants. (bis)
Il ne s'agit pas d'un texte écrit spécialement pour le film comme je l'avais supposé initialement. Il a été composé par Gilles Monfort et c'est le Chant de la communauté de l'Emmanuel. Je l'ai vu circuler en ce moment pour soutenir les malades du Covid. En regardant le film, j'avais trouvé les paroles épouvantables, sans doute que mon avis tenait compte du contexte d'embrigadement. Quant aux séances de bêlement de la tribu, elles m'ont donné la chair de poule.
Camille est prise en étau dans un conflit de loyauté. Tu me fais flipper, maman, tu ne vois pas dans quel état ils te mettent ? Elle a beau tenter de faire honte à son père en le traitant de lâche, rien n’y fait. Pourtant elle continue de protéger ses parents des regards extérieurs en disant simplement vivre dans une communauté religieuse assez stricte.
L’action se situe dans une ville de province un peu étriquée, Angoulême. La jeune fille cherche des subterfuges. Sachant que les vêtements imposés par sa mère attireraient l'attention elle compose, trouvant une astuce pour se changer à l’insu de tous. Cependant, elle ne peut évidemment pas laver ses vêtements. Leur odeur la trahit et ses camarades ne lui font pas de "cadeau".
Quant son frère se rebelle et veut s’enfuir elle va le convaincre de rester, en argumentant que croiser les doigts derrière son dos, rend une promesse caduque et qu'il peut donc s'engager sans risque dans la communauté. La Police aura quelques doutes mais que faire face à un jeune muré dans le silence ?
Le film est très bien fait puisqu’il offre des moments de répit qui laisseraient croire que la famille va s’en sortir. En particulier lors d’une soirée d’anniversaire au cours de laquelle les parents dansent en revivant leur première rencontre sur une chanson de Julien Clerc, au titre oxymorique : Ce n’est rien .... promettant mille sirènes de joie sur ton chemin ... après l’orage.
Camille va aussi commencer une très jolie histoire d’amour. Elle fait ce qu’elle peut pour donner de la joie à ses frères et sœurs, quitte à dérober de l’argent pour assouvir ses désirs de restaurant (pourtant modestes, une simple crêperie) ou de vêtements. Mais l'éclaircie sera fugace. En volant elle s'est mise en mauvaise posture, de toute évidence.
Le film pointe la manipulation malhonnête du berger à l’encontre des femmes qu’il persuade d’avoir subi des attouchements de leur père dans leur enfance, ce qui les coupe de leur famille. Les hommes de la communauté exercent une pression sexuelle sur les jeunes garçons.
La mère est aimante pourtant. Intelligente aussi. On ne comprend pas trop quel événement a pu déclencher un tel assujettissement. Peut-être est-ce l’aboutissement et la conjonction de plusieurs phénomènes. En tout cas on pourrait en déduire que personne n’est à l’abri.
Un jour Camille ne peut plus faire semblant et refuse de demander le pardon. La sanction tombe comme un couperet : jeune, isolement et prière. Parviendra-t-elle à s’en sortir et à sauver la fratrie ?
Sarah Suco présente son film comme une urgence qui, au-delà de son histoire personnelle, traite un sujet fort car on méconnaît la dérive sectaire et l’embrigadement. N’oublions pas qu’il s’agit d’une fiction. Donc ceux qui se reconnaîtraient dans certaines scènes n’ont qu'à se remettre en cause.
Les éblouis de Sarah Suco, en salle depuis le 20 novembre 2019
Image Yves Angelo
Avec Jean-Pierre Darroussin, Camille Cottin, Eric Caravaca, Céleste Brunnquell ...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire