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jeudi 12 mars 2020

Radioactive de Marjane Satrapi

Radioactive nous plonge dans le Paris d'avant la Seconde Guerre mondiale. Nous voici dans une autre reconstitution que celle de La bonne épouse mais là aussi on sent la volonté féminine de faire évoluer les mentalités.

Nous sommes en 1934. Le spectateur devine que Marie est en train de mourir (dans un sanatorium des Alpes) alors que la caméra remonte en 1893.

Ayant vu le film de Marjane Satrapi en VO je me référerai parfois à des citations en anglais. Comme par exemple l'affirmation "Apologize no never" que formule Marie Skłodowska (Rosamund Pike) qui effectivement ne s'excusera jamais de rien et dont la volonté de faire évoluer les mentalités sera tenace, quoiqu'il lui en coûte.

C'est une femme passionnée qui ne recule pas devant la difficulté d'imposer ses idées et ses découvertes au sein d’une société dominée par les hommes. Avec Pierre Curie, un scientifique tout aussi chevronné, qui deviendra son mari, ils mènent leurs recherches sur la radioactivité et finissent par découvrir deux nouveaux éléments : le radium et le polonium. Cette découverte majeure leur vaut le prix Nobel et une renommée internationale. Pierre perd la vie, renversé par une voiture place Dauphine en 1906 (mais il était déjà malade). Marie doit continuer ses recherches seule et faire face aux conséquences de ses découvertes sur le monde moderne…

Ce film est remarquable par l'interprétation de Rosamund Pike qui s'est sans doute conditionnée pour jouer le rôle d'une gauchère. Il est cependant parfois difficile à suivre en raison des flash-backs et des insertions d'images de synthèse censées évoquer les effets "collatéraux" des découvertes scientifiques. Si la mort de sa mère a eu une grande importance puisque Marie a décidé alors de ne plus croire en Dieu par contre sa peur des hôpitaux est une invention, qui permet de faire le lien entre différentes scènes et différentes époques de sa vie.

L’histoire évolue assez librement entre 1870 et les années 80 et inclut presque chaque décennie entre ces deux bornes, de Tchernobyl à Hiroshima, de l’apparition des appareils de radiographie aux premières machines portables à rayons X.

Il comporte aussi des allusions, plutôt intéressantes au demeurant, au destin extraordinaire de Loïe Fuller, la fille d'un fermier éleveur de bétail dans le grand ouest américain, qui sera la première à utiliser des éclairages pour mettre ses chorégraphies en valeur, au risque de se brûler les yeux. je me souvenais l'avoir découverte dans le film La danseuse de Stéphanie Di Giusto.

Et puis, même si Marjane Satrapi n'y fait pas allusion je soulignerai que to cure, en anglais signifie soigner, ce qui me fait penser qu'en s'associant avec Pierre Curie elle se prédestine complètement au domaine de la santé. Les images d'elle, radiographiant des soldats pendant la Première Guerre Mondiale pour leur éviter l'amputation sont à ce titre tout à fait significatives du dévouement de cette femme qui a créé le premier dispositif de radiographie mobile, permettant de réaliser un million de clichés par unité.

Quant à la curiethérapie, elle est toujours pratiquée pour soigner certains cancers. Ironie de l'histoire, elle est décédée d'un cancer "radio-induit" par un produit soignant le cancer. Son mari était lui aussi atteint comme en témoignent ses quintes de toux (même s'il succomba à un accident de la circulation). Ils ont manipulé la pechblende sans protection évidemment. En quatre ans cette femme aura traité 40 tonnes de produits chimiques. Et quand on la voit s'endormir en serrant entre ses doigts un flacon vert incandescent on ne peut que frémir pour sa santé. Cette anecdote est-elle véridique ou est-ce un effet pour le cinéma ? A-t-elle également par désespoir jeté des produits toxiques dans les égouts ? Le scénario me laisse perplexe.
En tout cas il est exact qu'elle est morte d'une leucémie provoquée par une exposition prolongée aux radiations, principalement de radium. Elle a été enterrée dans un triple cercueil de plomb, avec des parois très épaisses, de deux millimètres et demi d'épaisseur. Le transfert de son corps au Panthéon (demandé par François Mitterrand) a été une opération scientifique extrêmement délicate car, en 1995, on craignait une radioactivité évidemment supérieure à la normale, mais étant seulement comparable à environ 2 fois le bruit de fond ambiant celle-ci était finalement assez faible, et donc sans danger pour les personnes qui ont contribué à l'exhumation du couple Curie.

Jusque là ils étaient enterrés dans le cimetière de Sceaux puisqu'ils habitaient avenue Le Nôtre, à Antony, en lisière de Sceaux. Rien d'étonnant à ce que le lycée voisin s'appelle Marie Curie.

Le film est intéressant du point de vue scientifique. Il est toujours utile de rappeler les circonstances des grandes découvertes, surtout celles qui ont changé le monde, en bien (la radiographie, la curiethérapie) comme en mal (la bombe atomique, les accidents de centrales nucléaires). A ce titre le parallèle entre le discours des Nobel et le largage d’une bombe sur Hiroshima est troublant car c'est un raccourci : entre la découverte de la radioactivité et la fabrication de la bombe atomique, il y eut de nombreux autres scientifiques. Confondre le nucléaire et la recherche atomique n'est pas objectif.

Il est également passionnant du point de vue de la place accordée aux femmes dans le monde scientifique. Comme je l'écrivais dans un billet récent, le déni de la capacité féminine ne date pas d'hier. Sophie Dodeller vient d'écrire pour l'Ecole des loisirs, donc à destination des jeunes ados, la biographie de Sophie Germain, la femme cachée des mathématiques qui a dû à la fin du XVII° siècle utiliser un nom d’homme pour faire connaître ses découvertes.

Elles ne sont que 23 femmes à la Sorbonne au début du siècle. Marie Curie aura beaucoup de mal à s'imposer mais elle sera acclamée par des hommes. Plus tard elle deviendra la première femme professeur dans cette université. Elle reprochera à son mari de lui avoir volé son travail. Il argumentera qu'elle était souffrante. Cette femme est pourtant d'une énergie incroyable. On l'a vue accoucher debout. Elle obtiendra le soutien des féministes suédoises. Les femmes se sont levées les premières pour l’applaudir.

Elle provoque le scandale parce qu’elle prend un amant (Paul Langevin, marié quoique séparé de sa femme à l'époque, et plus jeune qu’elle). Elle est pourtant libre puisque veuve. Mais on n'accepte pas qu’elle réclame en quelque sorte le droit au plaisir. Ce film est un portrait inédit de Marie Curie qui montre le chantage dont elle a été victime à une période de sa vie. Et même si le scénario ne le dit pas il est troublant de constater que Hélène, la petite fille de Marie, épousa Michel, le petit fils de Paul Langevin.

Marie Curie a poussé sa fille dans les sciences. À la sortie de la guerre, elle prend Irène comme préparatrice à son laboratoire et décide de faire sa thèse, qu’elle soutient en 1925, sur le polonium. Elle rencontre alors Frédéric Joliot qu'elle forme à la radioactivité. Ensemble, ils réussissent à démontrer la radioactivité artificielle en 1934 (juste avant la mort de Marie) et recevront tous deux à leur tour le Prix Nobel en 1935. Irène décèdera en 1956 d'une leucémie aiguë liée à son exposition au polonium et aux rayons X, la même maladie qui avait emporté sa mère.

La bande son est superbe, avec la Sonate 14 moonlight de Beethoven et un morceau de Phil Glass.

Radioactive de Marjane Satrapi
Avec Rosamund Pike, Sam Riley, Aneurin Barnard, Simon Russell Beale, Katherine Parkinson ...
Sortie le 11 mars 2020

C'est le dernier film que j'ai vu au cinéma avant qu'une autre bombe n'éclate, celle du Coronavirus. Je vous invite par ailleurs à lire ou relire la vie de Marie Curie en bande dessinée, parue il y a 3 ans chez Naïve.

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