Le titre pourquoi le saut des baleines ne prend pas de P majuscule et il me semble que c'est la règle aux éditions du Sonneur. Je ne demanderai pas pourquoi ...
Le livre a été publié en mars 2015 et il a été choisi dans le cadre des 68 premières fois nouvelle formule par Gilles Marchand qui fut un des premiers auteurs dits des 68, avec Une bouche sans personne en 2016, lequel livre figurait dans les finalistes du Prix Hors Concours.
En attendant la sortie de son prochain livre à la rentrée, il a choisi, après mûre réflexion, de faire découvrir à la communauté un essai de Nicolas Cavaillès.
Voilà ce qu'il en disait pour nous donner le goût de le découvrir :
Il y a des livres qui marquent parce qu'on a l'impression qu'on n'avait rien lu qui y ressemblait. Je me souviens d'avoir ouvert Pourquoi le saut des baleines sans trop savoir à quoi m'attendre. Je me suis laissé prendre, je ne l'ai plus lâché. C'est une prose magnifique, un livre très court qui nous habite longtemps.On sent une espèce de jubilation de Nicolas Cavaillès qui s'attaque à l'un des grands mystères de la nature. Je dois confesser qu'il y a des mystères qui me fascinent et que j'adore l'idée de ne jamais pouvoir les percer. On ne sait pourquoi l'on bâille. Et on ne sait toujours pas pourquoi les baleines soulèvent leur incroyable masse et la balancent hors de leur milieu naturel.Aujourd'hui encore je ne parviens pas à savoir si Nicolas Cavaillès a mis la poésie au service de la science ou la science au service de la poésie. Il doit s'agir de l'une des définitions possibles de la littérature.
Je suis assez d'accord avec sa perception même si je dois confesser que cet essai, quoique mince, n'a pas été facile à lire. D'abord parce que le lexique est parfois difficile, pour le moins précis.
Ensuite parce qu'il m'est difficile d'admettre que l'on pose une question sans donner de réponse. d'autant qu'il me semble que lorsqu'on omet le ? à la fin de ladite question cette interrogation devient ipso facto une affirmation. Autant vous dire que l'ensemble est pour le moins intrigant.
Néanmoins l'auteur déroule une liste de vérités incontestables. Par exemple (page 6) il ne saurait y avoir de bonds de baleine sans un drame sous-jacent (…) tant de morts menacent la baleine contemporaine (…) L’océan est aussi un cimetière suffocant.
Je vous fais grâce de la liste très impressionnante, hélas très plausible, de toutes les sortes de morts qui guettent ces animaux.
Nicolas Cavailles nous met vite en appétit : Le saut est un mouvement "normal" pour tous les cétacés de 100 kg à 100 tonnes, à l’exception de la baleine pygmées semble-t-il (page 12), parfois répété une vingtaine de fois. On ignore pourquoi mais on pose moult hypothèses (page 9) et je suis curieuse qu’on ne sache pas la réponse.
Curieuse n’est pas le bon mot. L’exercice est prétexte pour l’auteur à ébaucher une typologie en rappelant la finesse de l’ouïe des cétacés, tout autant que (page 20) le refus du Japon du moratoire sur la chasse aux baleines depuis 1986. À cet égard il est étrange de lire ce livre juste avant ou juste après avoir regardé la série télévisée Parlement qui a connu un grand succès dès le début de la période de confinement. Il y est question de sauver, non pas les baleines, mais les requins, lesquels sont eux aussi victimes de la pêche abusive par les japonais. Et je suis très sensible à leur cause depuis que Julia Duchaussoy m'a démontré qu'on les martyrisait dramatiquement, dans un très joli spectacle créé au festival d'Avignon au théâtre de la Luna, J'irai danser avec les requins. J'ai reçu cette comédienne à la radio pour un Entre Voix spécial dont je garde un souvenir ému.
Et voilà qu'apparait (page 29) une épizootie virale de pneumonie chez les baleines, maladie elle aussi inexpliquée.
L’auteur soulignera (page 30) le contraste entre plonger à 300 m de profondeur et sauter en l’air. Deux extrêmes qu'il pointe comme des paradoxes en soulignant que le saut (les raisons du) s’avère aussi mystérieux que son absence. Ce qui ne l'empêcheras, on s'en doute, d'avancer des hypothèses, de songer à une migration pour cause hormonale (et on apprend au passage que la mélatonine est potentiellement déprimante), de comparer leur bond au geste des mains de Glenn Gould au-dessus du clavier de son piano (page 47), d'invoquer une chose et son contraire, en l'occurrence une retombée puisque (page 37) tout saut implique une chute qui serait l’envers de la poussée d’Archimède, qualifiée de force absurde.
Nicolas Cavailles devient philosophe et ne s'arrête pas. Il se lance maintenant dans une analyse métaphorique la mort qu'il qualifie de sortie hors la loi et nous interroge enfin sur l'établissement d'un lien avec le chant des baleines.
Faudrait-il s'arrêter sur cette phrase (page 61) : nous ne saurons jamais pourquoi les baleines bondissent, ni même pourquoi nous nous le demandons. Et il enfonce le clou sur la page suivante : pourquoi tient du cruel attrape-nigaud. Ce sont ses propres mots, et si je ne les mentionne pas en italiques c'est pour faire ressortir qu'il a lui-même demandé à l'éditeur de faire figurer pourquoi dans cette typographie.
Nous sommes presque à la fin du raisonnement, j’allais écrire à bout.
pourquoi le saut des baleines de Nicolas Cavaillès, aux éditions du Sonneur. Prix Gens de mer 2015
Livre lu dans le cadre de la Sélection "anniversaire" 2020 : 14 romans (premiers ou deuxième textes, anciens ou récents, français ou traduits) choisis par un panel d’auteurs et 5 seconds romans français.
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