Un petit garçon regarde tendrement sa maman sur une couverture en noir et blanc évoquant un roman policier. Le titre, en lettres vertes, couleur de l’espoir, annonce une fin, sinon heureuse, sans doute paisible.
C'est pourtant bien un roman noir que Claire Norton a écrit un et qui, dès les premières pages, glace le sang, ou le fait bouillir selon que le lecteur a connu de près ou non un contexte similaire de violences domestiques. J’emploie ce terme plutôt que celui de conjugales parce que c’est la maison qui est ici le théâtre de la manipulation perverse d’un homme sur une femme.
Celle que je suis est un excellent roman mais il est difficile à classer. Peut-être parce que j'avais été bouleversée en 2016 par Les blessures du silence de Natacha Calestremé.
Sa construction était strictement inverse, et de mon point de vue il est plus percutant. Dans celui-ci la femme a disparu alors qu'elle reste dans celui de Claire Norton. Comme le précise cette auteure, et je lui donne raison, on ne part pas facilement. Il faut un déclic et l’histoire qui peut nous être donnée à lire ne suffira pas à provoquer une prise de conscience. On l'estimera particulière et on se dira que non, moi c’est pas si grave. S'il y avait un indice à souligner ce serait cette phrase qui devrait alerter toute femme dès la première fois que son compagnon la lui hurle aux oreilles alors qu'elle ne le provoque en rien : tu te fous de ma gueule ?
Les deux livres présentent la spécificité de traiter un sujet d'actualité en l'abordant sous l'angle du roman plutôt que du documentaire, espérant sans doute toucher des femmes qui n'osent pas jusque là franchir le gouffre de la fuite.
Valentine vit dans une petite résidence d'une ville de province. Elle travaille à temps partiel au rayon librairie d'une grande surface culturelle. Les livres sont sa seule évasion. Et son seul bonheur est cet enfant, Nathan, qui vient de souffler ses six bougies.Pour le reste, elle vit dans la terreur qu'au moindre faux pas, la colère et la jalousie de son mari se reportent sur Nathan... L'arrivée d'un couple de voisins âgés dans l'appartement d'en face va complètement bouleverser sa vision du monde. Car comment résister à la bonté de Guy, qui se conduit avec Nathan comme le grand-père qu'il n'a jamais eu ? Comment refuser la tendresse de Suzette, cette femme si maternelle, elle qui a tant manqué de mère ? Peu à peu, Valentine se laisse apprivoiser.Mais un jour elle commet une minuscule imprudence aux conséquences dramatiques... Mais une chose change tout, désormais : elle n'est plus seule pour affronter son bourreau et reconstruire sa vie volée.
Il est désigné par l’initiale de son prénom, juste un D. Le nommer tout entier lui donnerait trop d’importance et pourrait mettre Valentine en grand danger. Claire Norton ne donne pas de clés pour comprendre les ressorts de la manipulation. Elle décrit des faits, et souvent à la limite du soutenable. Elle mentionne néanmoins l'existence d’associations et surtout le 3919 qui est le numéro de téléphone à appeler en cas d'urgence.
Ce que l'auteure décrit admirablement dans le personnage de Valentine c'est combien une personne sous emprise oscille sans cesse entre terreur et culpabilité, qui sont deux états l'empêchant de prendre conscience de la nécessité de fuir, a fortifier de la possibilité de l'entreprendre Et cela peut s'éterniser au-delà de quinze ans.
Claire Norton a anticipé la réaction du lecteur qui estimerait que son personnage attend trop longtemps : voilà comment n'importe qui peut en arriver là (…) les gens ignorent l'épaisseur des barreaux qui nous retiennent (p. 110). Plus loin (p. 132) elle cite la parabole de la grenouille, tant de fois utilisée pour faire comprendre combien on s'habitue à une situation extrême.
Si j'ai un bémol à apporter c'est sur la prédisposition que Valentine aurait à accepter la violence conjugale pour des raisons qui remontent à son enfance. Or, ces violences là ne sont tout simplement pas acceptables, et jamais légitimes. Ce n'est pas parce qu'une personne les subit qu'elle est supposée être consentante. Il n'y a aucune justification à trouver. Certes nous sommes dans un roman et il était tentant de complexifier la narration en imbriquant plusieurs problématiques, comme par exemple celle de l'alcoolisme de la charmante voisine Suzette. Il y en a d'autres, mais qui apparaitront au fil du récit et que je ne spolierai pas.
Je peux malgré tout révéler une douce addiction, partagée par les deux femmes, celle de la lecture. Claire Norton emploie (p. 19) le terme "souffrir" pour la qualifier. Sans doute est-ce de l'humour.
Et il était logique qu'elle fasse écrire Valentine, même si l'exercice ne se poursuit pas très longtemps.
Celle que je suis est un roman qu'on lit la boule au ventre, soit par empathie à l'égard des personnages généreux comme Valentine, Nathan, Suzette, Guy et Vincent (et je fais observer qu'il était essentiel de rencontrer des hommes positifs dans cette histoire), soit par colère à l'égard du mari qui -et c'est malgré tout dommage- ne présente aucune raison d'être si nocif, et cela bien que rien ne puisse jamais justifier un tel comportement.
On sait que des Valentines existent. Il est important de les aider par tous les moyens. Le roman en est un.
Babelio avait prévu une rencontre avec Claire Norton mais l'interview aura lieu en distanciel à la fin du mois par Zoom en raison de la crise sanitaire. Je mets cet article à jour avec les éléments complémentaires qui ont été apportés au cours de son interview.
On pouvait s’interroger sur le titre qui correspond autant à Valentine qu’à Suzette. Réapprendre à être est un vrai défi pour chacune d’elles.
Claire Norton exerce dans les relations humaines; À ce titre elle a pu être amenée à chercher à comprendre des absences au travail de femmes qui, au fil des conversations, en sont venues à lui faire des confidences. L’idée de ce roman est né de ces rencontres qui l’ont bouleversée.
Elle aimerait que son roman, qu’elle n’a pas voulu comme un témoignage mais qui s’appuie sur de multiples situations réelles, donne quelques clés qui permettront à tout un chacun d’avoir de bons réflexes. Comme le fait la maîtresse de l’enfant lorsqu’elle perçoit que Valentine est en danger.
Le premier c’est d’écouter sans juger, et de permettre à ces femmes (mais le phénomène touche hélas aussi des hommes) de prendre conscience que ce qu’elles vivent ne s’inscrit pas dans la normalité bien qu’elles s’y soient habituées, ne pouvant faire autrement. Il faut du temps pour quitter le déni et reconnaître que ce qu’on traverse n’est pas « normal ».
Elle décrit des horreurs qui dépassent l’entendement pour qui a la chance d’avoir une vie sentimentale et conjugable somme toute paisible. Mais celui ou celle qui a traversé une telle période ne trouvera pas exagérée la violence des scènes de bagarre entre elle et son mari.
Claire Norton a choisi la voie du roman afin de faciliter la prise de conscience du phénomène. En relatant la vérité de Madame X… le lecteur aurait pu penser à un cas isolé. Avec la fiction il prendra davantage conscience que le problème est global. Les violences conjugales ne se limitent pas à une zone géographique, à un milieu social ou à un type de femmes. Ce n’est pas une question de tempérament. Elles s’installent doucement et la descente est lente et progressive, ce qui ne permet pas à la victime de réagir.
Le recours à l’écriture est une étape dans la prise de conscience. Valentine tient un journal intime, comme beaucoup de personnes se trouvant dans sa situation. Elle est confronté à la question de sa conservation, dans un endroit sécure, où son mari ne pourrait pas le trouver. Écrire c’est se libérer. C’est aussi s’offrir la possibilité de se relire ultérieurement et de mesurer alors avec un tout petit peu de distance combien les actes couchés sur le papier sont intolérables.
On dénombre plus de 213 000 victimes de violences physiques ou sexuelles, sans compter les violences psychiques et les spoliations financières.
Le personnage de Nathan est là pour alléger le sujet. Il est le rayon de soleil qui traverse le récit. Il pose son regard sur l’impensable.
Quant au mari, il n’est ni pire ni meilleur que ceux dont on lui a parlé. Il aime probablement Valentine à sa façon. Mais il est profondément toxique. L’auteure ne lui attribue guère de circonstances atténuantes, afin d’alerter sur le fait qu’un homme charmant puisse être dangereux.
Elle a situé une partie de l’histoire à Verdun, parce que c’est une ville dont le nom est signifiant pour chacun de nous. Et puis aussi en hommage à la librairie où elle a fait sa première dédicace. C’est Entrée Livres qui est citée dans le roman, et l'adresse, 12 rue Edmond Robin, n’a pas été modifiée.
Claire Norton écrit depuis toujours. D’abord des nouvelles, puis un premier roman à 15 ans. Elle a publié auparavant En ton âme et conscience, lui aussi à partir de témoignages autour de la question de la fin de vie.
Nous sommes impatients de découvrir quel sujet elle nous proposera dans son prochain livre.
Celle que je suis de Claire Norton, Robert Laffont
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