Dans les années 80, on avait, dans le spectacle, donné un nom à ce style, le théâtre du quotidien, par opposition aux grands textes.
Laurent Petitmangin s’inscrit pour moi dans cet axe qui me semble s’être perdu, comme a disparu le festival du théâtre de Nancy où je parie qu’un metteur en scène se serait emparé de Ce qu’il faut de nuit, et pas seulement parce que l’action se déroule en Lorraine.
D’ailleurs, si j’osais, je lui recommanderais de l’adresser à Michel Didym, le fondateur de la Mousson d’été. Par chance elle se déroule à l’Abbaye des Prémontrés, à Pont-à-Mousson, qui est équidistante de Nancy et Metz, et qui donc échappe à la gué-guerre qui sévit depuis l’éternité entre les deux cités.
Les partisans de l’une et ceux de l’autre défendent leur territoire à l’instar des supporters d’une équipe de football. Les personnages principaux du roman vivent dans la région de Metz. Et ce n’est sans doute pas un hasard si l’intrigue est bâtie autour d’une bataille d’opinions.
J’y ai glané des termes que je n’ai quasiment entendus que là-bas : s’enquiller, ensuqué, schlasse, schtarbé, morfler, amoché, mariole, le chtar, foirer, se rencogner, la schness, une chère soeur … qui s’ajoutent à ce qu’on dit partout, les embrouilles, les conneries, salopard, sentir le rance, se secouer le paletot, charrier … Pas besoin de lexique ou de notes de bas de page pour moi. La sonorité de la moman m’est familière et j’ai toujours entendu mon oncle être appelé comme Le Jacky, même par sa femme.
C’est un récit en noir et blanc. Bouleversant de modestie. Décrivant cette vie de père qui, après la mort de la moman, cherche juste à parer au plus pressé, focalisé sur le minimum vital pour élever dignement ses deux fils, Fus et Gillou, modestement, loin de l'aisance des presque voisins, les luxos, habitant au Luxembourg.
C'est l’histoire d’une famille ordinaire qui aurait pu être heureuse. Mais boum la mort de la moman. Re-boum l’orientation politique du fils qui malheureusement mamaille avec une bande (p. 45). Le copain du père le lui reprochera pour justifier qu'il coupe les ponts avec lui. Pourtant les préoccupations écolo du groupe de chtarbés où Fus se sent à sa place est décrit comme de bons gars, un peu bruts de décoffrage mais somme toute pas aussi méchants qu’ils en ont l’air (p. 66).
Il y a plein de manières d'avoir un fils différent. Ici c'est l'appartenance à un mouvement d'extrême-droite. Le père découvrira trop tard, l'ampleur de la faille, quand le drame aura eu lieu, sa colère s’éteignait mais pas sa honte (p. 101) comme pour ceux qui accepteront de pardonner mais pas d'oublier.
Est-ce qu’on est toujours responsable de ce qui nous arrive? Il se pose la question après la catastrophe (p. 128). Etait-il possible de l'éviter quand chaque membre de la famille se comporte comme si on portait un scaphandre d’une tonne et qu’on marchait dans une putain de zone radioactive (p. 100) ?
Nous sommes presque à la fin du récit, toutes nos vies, malgré leur incroyable linéarité de façade, n’étaient qu’accidents, hasards, croisements, rendez-vous manqués. Nos vies étaient remplies de cette foultitude de riens, qui selon leur agencement nous feraient rois du monde ou taulards (p. 171).
C’est ce que l’auteur désignera page suivante comme "le grand mystère des riens", que d'autres appelleront malchance ou encore hasard et/ou coïncidence. Autrement dit, se trouver là au bon ou au mauvais moment. D'autres estimeront que le manque de communication fut décisif.
Mais voilà, il faut faire face au drame. Comme Laurent Petitmangin nous fait partager avec une justesse infinie un trajet entre le domicile et l'hôpital ! On est avec eux dans la voiture. Le fils est bien amoché. A sa sortie de l'hôpital les médecins n’avaient pas voulu lui peindre la vie plus belle qu’elle n’était (p. 115).
Le paternel aura mis le temps à agir en père dont le fils était en danger. A sa décharge on dira que de leur vie d'avant, du temps où la moman était encore vaillante il ne leur reste que des souvenirs tellement flous qu’ils ne tenaient pas chaud au corps (p. 126).
Le titre est emprunté à un poème de Jules Supervielle, intitulé Vivre encore. Ce roman aurait pu être plombant. Il en suinte juste ce qu’il faut de dérision pour être digeste.
Rien de surprenant à ce qu'il soit sélectionné dans une multitude de prix, et qu'il en ait déjà reçu beaucoup, comme Le Prix Fémina des Lycéens, Le Grand Prix du Premier Roman, le prix Stanislas 2020 …Il est en cours de traduction dans de nombreux pays et considéré comme une véritable révélation.
Laurent Petitmangin est né en 1965 en Lorraine au sein d’une famille de cheminots. Il a passé ses vingt premières années à Metz, puis quitta sa ville natale pour poursuivre des études supérieures à Lyon. Il rentra chez Air France, société pour laquelle il travaille encore aujourd’hui. Grand lecteur, il écrit depuis une dizaine d’années. Ce qu’il faut de nuit est son premier roman.
Ce qu'il faut de nuit de Laurent Petitmangin, à La manufacture de livres, en librairie 9 décembre 2020
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