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mercredi 7 avril 2021

Les après-midi d'hiver de Anna Zerbib

Il y a plusieurs histoires de départ, ou de rupture, ou un peu des deux, dans la sélection 2021 des 68 premières fois. Les après-midi d'hiver est de ceux là. Il est souvent question d'amour, toutes les formes, y compris l'amour filial. Anna Zerbib nous offre de superbes pages dédiées à la mère lorsque celle-ci s'installe dans l'appartement de Martigues. Une telle beauté ne peut pas s'inventer. Il faut l'avoir vécue pour en rendre compte aussi bien.

Elle et sa mort faisaient effectivement la pluie et le beau temps sur ma vie (p. 11). Comme souvent l'amour est lié au deuil. L'arrivée d'un homme dans la vie de la jeune femme succède au départ de sa mère.
C’était l’hiver après celui de la mort de ma mère, c’est-à-dire mon deuxième hiver à Montréal. J’ai rencontré Noah et j’ai eu ce secret. Tout s’est produit pour moi hors du temps réglementaire de la perte de sens. Longtemps après les premières phases critiques du deuil, que j’ai bien étudiées sur Internet. Les événements se sont déroulés dans cet ordre, de cela je suis sûre. Pour le secret, je ne suis pas certaine, il était peut-être là avant, un secret sans personne dedans.
La saisonnalité et la temporalité sont des données importantes. Le titre en est la juste illustration. Et la référence à l'album Hors-saison de Francis Cabrel est une évidence. Je me demande combien ce mot de saison a d'occurrences dans le livre … en toutes lettres ou avec ses synonymes. Elle raconte une relation qu'elle range dans une catégorie spéciale. C'était un amour d'hiver comme il y a des fruits d'été (p. 59).

Parfois je me suis aussi interrogée sur la nature du texte : est-ce un roman ou un journal ? Ce serait l'histoire d'un secret qui s'ouvre comme une fleur et qui se fane. Un secret remplacé par un mensonge. Et je me dis que Noah est un homme de passage, en pensant à l'écriture si précise de Cécile Balavoine (Une femme de passage) quand je suis surprise par cette même affirmation, faite juste après par l'auteure. 

S'il existe une chronologie du deuil et de ses étapes, y aurait-il une chronologie de l'amour ? Il apparaît en tout cas que Noah et elle sont à des endroits différents du deuil. Quant au sentiment, il pourrait être contenu en quelques mois. L'hiver était à vivre en entier, d'un bout à l'autre, sans interruption (p. 60). Jusqu'à la séparation qui viendrait clôturer un amour nerveux dont Anna Zerbib avortera comme elle aurait pu le faire d'un enfant (p. 69).

Toujours est-il qu'elle est partagée entre deux hommes, deux langues, deux cultures. Le texte est écrit dans un niveau soutenu qui parfois surprend par des incursions de termes ou de bouts de phrase en anglais, qui ne sont jamais traduits. Ainsi voit-elle Noah en p.m. (pour fin d'après-midi ?) comme si c'était plus glamour que de dire de 5 à 7 ?

Les passages en anglais non traduits sont curieux. On doit être supposé comprendre. Par exemple How has your week been disait-il à chaque retrouvaille. Ce n'est pas à cause de cela mais parfois l'écriture devient opaque. Je n'ai pas compris pourquoi elle redoutait les après-midi (p. 128) et quand elle s'estime émouvante et ridicule j'ai envie d'approuver.

C'est qu'elle est dérangeante cette jeune femme. Elle reproche à sa mère d'enchainer les tâches ménagères de manière obsessionnelle alors que quelques lignes auparavant, elle-même découvrait la liberté paradoxale qu'elles procurent (p. 92) à l'instar du tricot. Est-ce par tendresse qu'elle critique sa mère à propos des échantillons dont elle ne se servait jamais mais elle savait qu'elle les avait (p. 44).

Certes, l'écriture de l'intime est touchante. Peut-être écrit-on pour dire qu'un jour, en plus de soi, quelqu'un, quelque chose, était là (p. 47). La confidence est émouvante. Mais je suis souvent restée à la porte de cette histoire, un peu confuse, soit qu'elle en dise trop, soit pas assez. Quelques jours avant de me quitter il m'a avoué son amour. J'en avais déjà récolté quelques preuves, dans sa façon de m'éviter surtout (p. 101). Et la voilà qui enchaine un peu plus loin : Que restait-il à vivre, à présent, de cet amour avoué dont je n'avais plus à rassembler les preuves ? (p. 102).

Et comme si elle voulait se dédouaner de la moindre émotion elle ajoute : Les phoques ne pleurent pas parce qu'ils sont tristes ou émus, ils pleurent parce que cela empêche leurs yeux de geler (p. 103). Ce qu'elle avait dit avec d'autres mots à un autre endroit : La seule façon de (bien) partir est de ne pas se faire regretter.

Il était donc écrit qu'elle partirait. Son amie Claire l'en avait prévenue : En perdant ta peur, tu perdras ton désir.

Ecrire est sans nul doute possible une activité importante pour le personnage principal, également pour l'auteure. Pourtant ce fut difficile pour moi, malgré les qualités du roman, d'adhérer à sa construction. Quand elle se plaint d'avoir cru qu'elle avait les épaules pour ce chagrin d'amour, j'ai eu le sentiment qu'il était prémédité, comme s'il était ce caillou comme dérivatif à une souffrance pire (auquel elle fait une rapide allusion au début du roman) qui allait lui faire oublier un chagrin plus grand, celui de la mort de sa mère.

J'oserai reprocher aussi l'absence d'une play-list, peut-être parce que chez Gallimard il n'est pas concevable d'en établir. J'ai relevé Léonard Cohen (le si magnifique I'm your man, puis Take this Walz), Frank Sinatra, Je reviendrai à Montréal de Robert Charlebois et bien sûr l'indispensable Hors-saison de Francis Cabrel qui arrive à la toute fin.

Les après-midi d'hiver de Anna Zerbib, Collection Blanche, Gallimard, en librairie depuis le 12 mars 2020

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