Le bonheur est au fond du couloir à gauche. Ce n’est pas moi qui le dit mais J.M. Erre dans un roman qui, initialement devait paraître le 2 avril 2020 chez Buchet-Chastel et dont j’avais eu la chance d’avoir entre les mains des épreuves, certes non corrigées, et qui m'étaient parvenues juste avant l’alerte générale de confinement.
La date initiale de sortie a été repoussée à janvier 2021, mais voici ce que j'en aurais écrit si elle avait été maintenue. Je le précise pour re-situer certains propos de cette chronique dans leur contexte. Par ailleurs une nouvelle date de rencontre avec l'auteur étant prévue dans le courant du mois chez Babelio (bien que la date soit repoussée plusieurs fois) il se pourrait que je mette ultérieurement cet article à jour .
Je m'étais précipitée il y a un an pour le lire parce que je devais (déjà !) rencontrer l'auteur. Comme vous vous en doutez, cette soirée fut annulée et je n'ai pas encore eu le bonheur de discuter avec lui.
Je veux souligner d’abord que les livres qui font rire sont extrêmement rares déjà en temps habituel. Peut-être que nous aimons être secoués par des histoires qui nous prennent aux tripes et que peut-être aussi il est difficile aux auteurs de manier l’humour avec intelligence. A cet égard je rappelle combien était réussi le livre Feel good de Thomas Guntzig.
Toujours est-il que J.M. Erre parvient tout autant à nous faire rire (et dieu sait que c’était utile et précieux pendant le confinement) qu’à nous faire réfléchir sur l’absurdité de nos comportements. Nous avons des excuses : il est vrai que le gluten, le lactose et les fake news ont de quoi nous affoler.
Enfant morose, adolescent cafardeux et adulte neurasthénique, Michel H. aura toujours montré une fidélité remarquable à la mélancolie. Mais le jour où sa compagne le quitte, Michel décide de se révolter contre son destin chagrin. Il se donne douze heures pour atteindre le bien-être intérieur et récupérer sa bien-aimée dans la foulée. Pour cela, il va avoir recours aux pires extrémités : la lecture des traités de développement personnel qui fleurissent en librairie pour nous vendre les recettes du bonheur...
La citation qu’il place en exergue résonne cruellement : N’ayez pas peur du bonheur ; il n’existe pas ! Une phrase tirée du roman de Michel Houellebecq, Rester vivant. C’est bien ce qu’on se souhaite aujourd’hui tous : rester vivant va devenir le bonheur ultime.
Le narrateur s'appelle Michel H, cela peut-il être un hasard ... ? Il nous fait part très vite d'un mauvais pressentiment. Je sentais que quelque chose clochait. Je flairais le piège. Je soupçonnais que c’était un aller sans retour et que j’allais le regretter (p.10).
Rien à voir avec le Coronavirus mais alors que j’ai lu ce livre en étant confinée (je m'étais isolée en février 2020 plusieurs jours avant l’annonce de la mesure) je peux vous dire que je ne cessais d’y penser.
Grosso modo, et sans spoiler la fin du livre, on peut résumer que l’auteur subordonne son bonheur à la reconquête de la femme qui vient de le quitter. On ne saura pas pourquoi elle est partie. On suivra le jeune homme dans chacune des hypothèses qu’il va faire, à la fois sur l’origine de cette perte et aussi sur la meilleure manière de la compenser.
L’amour de sa vie s’appelle Bérénice, un choix qui n’est pas anodin. Le prénom signifie celle qui remportera la victoire. C’est aussi bien sûr une héroïne racinienne mais à l’inverse du livre, dans la pièce, c’est Titus qui annonce la rupture à Bérénice.
Comme ces mots résonnent étrangement (page 24) : il soupçonne son amour d'avoir raccroché pour ne pas perdre pied dans la course féroce à la productivité, impitoyable machine à frustration qui engendre une déshumanisation du management.
Un personnage récurrent se faufile dans le récit, à l’instar de M. Preskovitch du film Le Père Noël est une ordure. C’est Monsieur Patusse, le voisin du personnage principal qui est en quelque sorte son Jimini cricket. Qui est un Pinocchio qui se ment à lui-même.
Il n’empêche que J.M. Erre pose les bonnes questions : quand on sait qu’il y a 70 morts par arme à feu chaque jour au Mexique, (et dieu sait que je suis attentive à ce qui passe dans ce pays où vit ma fille), que 26 % des Argentins vivent en dessous du seuil de pauvreté, que 40 000 Colombiens ont été victimes d’enlèvement par les FARC, les milices militaires paramilitaires ou les innombrables gangs criminels liés aux cartels de la drogue, et enfin que la France occupent la 32ème place du classement des nations sur l’échelle du bonheur établie par l’ONU, derrière les mexicains (21ème place), les Argentins et les Colombiens, on s’abstient de tout commentaire et on reprend un Lexomil (page 25).
A ce propos ce petit livre est un vrai manuel médical. Les dépressifs piocheront le nom de molécules à suggérer en prescription à leur médecin préféré. Certains trouveront une excuse ou une justification à consommer des substances illicites au motif que dans le plus ancien langage écrit, le sumérien, il existe un idéogramme présentant une fleur d’opium comme étant la plante de la joie. Trois mille ans avant notre ère (page 108).
Quand on sait qu’un quart des Français consomme des psychotropes, qu’un tiers a déjà consulté un psy, et qu’on prescrit chaque année dans l’Hexagone 150 millions de boîte d’anxiolytiques, antidépresseurs et somnifères, on se dit que ces chiffres sont réconfortants. Grâce à eux, je me sens moins seul nous dit le narrateur (page 115). En lisant ces lignes je pense à la chanson de Benoit Dorémus vingt milligrammes.
Le roman fourmille de statistiques vraiment intéressantes. Ainsi par exemple la France compte (page 34) chaque année près de 220 000 tentatives de suicide et l’auteur raille un taux de réussite qu’il qualifie de "consternant" de 4,8 % soit tout de même 10 500 décès par an. Qu’en sera-t-il pendant cette crise de confinement? Les tentatives auront-elles plus de succès ?
Nous avons de quoi nous inquiéter en découvrant (page 14) que les accidents domestiques sont la troisième cause de décès en France Il n’y a pas d’endroit plus dangereux que son domicile. 20 000 personnes meurent chez elle chaque année donc davantage que les accidents de la route ou des homicides. J suis soulagée d’avoir pensé à souscrire une assurance spéciale il ya un mois. Plus loin il se réfère à Einstein : le temps est une notion relative. Nous commençons à le mesurer.
Mes yeux s'attardent sur beaucoup de phrases. Comme encore cette citation de Pascal : Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre (page 13).
J.M. Erre démontre comment le malheur pourrait rendre heureux tout en soulignant : s’il faut en conclure que si c’est le bonheur qui rend malheureux, on est pas sorti de l’auberge (page 72). Effectivement, cela peut laisser le lecteur dubitatif.
Sans littérature pour caler l’existence, tout menace de s’écouler (page 12). Alors Michel se rapproche (j'allais écrire se raccroche) aux livres de la bibliothèque de sa Bérénice chérie dont il passe les titres en revue (page 73). L'un d'entre eux justifie le titre du sien, Le bonheur est au fond du couloir à gauche.
Juste avant, hésitant à écrire tache ou tâche, il souligne fort à propos que le potentiel humoristique d’un simple accent circonflexe est fascinant. La remarque est subtile et je lui rends hommage sur ce point. Je l'absous d'avoir recours à un néologisme (page 142), l’arnacothérapie, pour désigner l’arnaque à la détresse dont sont victimes ceux qui tapent sur Google : Comment reconquérir sa femme.
Plus loin (page 149) il dézingue avec une fouge identique le livre de la japonaise, grande prêtresse du rangement, dont il ne dit pas le titre, mais que chacun aura reconnu. Marie Kondo a publié en mars 2018 Le rangement, c'est maintenant ! - La méthode pour trier, désencombrer et ranger efficacement son intérieur et a, dans la foulée, tourné une série comptant huit épisodes, dans lesquels elle met ses conseils en pratique chez huit familles américaines aux problématiques bien différentes. Et je parie que pendant le confinement nombreux seront ceux qui vont les regarder sur Netflix et qui vont vider leurs placards. Il faut bien s'occuper les mains pour calmer son esprit.
Le livre de J.M. Erre est une mine, dans tous les sens du terme. Il fourmille de références autant que le meilleur des bazars. Il analyse subtilement les dérives de notre société. Je l’approuve de pointer les "nouveaux comportements féministes qui déstabilisent l’homme moderne en brouillant ses repères" (page 82). J’estime que derrière une apparence de légèreté il aborde de bonnes questions, et notamment la crise de la virilité. Le roman est alors explosif. La révélation du poids de déjections canines auquel la mairie de Paris doit faire face annuellement est un vrai souci dont je ne supposais pas qu'il puisse atteindre 5859 tonnes (page 88). Néanmoins, cher auteur, ne craignez-vous pas qu’à force de placer très haut le curseur de l’ironie le lecteur finisse par ne plus voir les vraies problématiques ?
J'adore le style, l'audace, sa manière de pousser le bouchon le plus loin possible. D'oser jusqu'au déni de déni (page 79). Il peut devenir drôlissime de mauvais foi en se plaignant d’un mauvais usage de l’argent récolté par les impôts… alors qu’il reconnaît ne pas payer les siens (page 84) ou quand il prétend : de nature dubitative, j’ai tendance à ne pas m’écouter (page 103). Et manifester le summum du pessimisme en se réjouissant en fin de journée d'en avoir une de moins à vivre (page 99).
Comment le croire quand il prétend (page 90) : j’aime beaucoup l’humour, mais ce n’est pas une activité dans laquelle j’excelle. Quel menteur !
Et que dire de ses louanges à l'égard de Michel Houellebecq, qui surgit presque aussi souvent que M. Patrusse, qui serait son humoriste préféré (page 91), et son auteur préféré (page 17) car il me donne de l’espoir. Moi aussi, un jour, quand j’aurais atteint le stade ultime de la dépression, je deviendrai un grand écrivain humoriste. Comme Michel.
Puisqu'il pinaille sur un accent circonflexe je pointerai le "s" final à aurais, qui pourrait être un lapsus signifiant de son optimisme. Difficile à avaler venant de quelqu'un (page 109) pour qui attendre la déchéance physique, la décrépitude intellectuelle et les soins palliatifs en gardant le sourire aux lèvres, et si c’était ça la définition du bonheur ?
J’ai envie d’ajouter que pour moi, maintenant, et avec l’expérience, je dirais que le bonheur pourrait être le calme avant la nouvelle tempête et qu’il faut le savourer.
Il importe de relativiser, tout le monde nous le dit, (ainsi page 126) : je possède tout ce que les malheureux que je vois sur mon écran (de télévision) souhaitent avoir. Ma vie quotidienne est le rêve de dizaines de milliers de jeunes gens qui prennent chaque année le risque de mourir en Méditerranée dans l’histoire de la vivre. Pour une grande partie de l’humanité, je suis un idéal à atteindre.
Nous traversons une époque étonnante en effet.
Est-ce que la paranoïa de l’auteur est une conséquence de la sur-promesse qu’on lui a répétée depuis son enfance, à savoir qu’il est libre de réaliser ses rêves ? Ou bien est-ce le signe d'un nombrilisme exacerbé et d'un manque d’engagement avec une certaine abnégation, mais qui, paradoxalement, procurerait une gratification ?
t voilà notre homme qui change de point de vue. En se plaçant du côté des victimes. En étant réunies par un combat, théoriquement légitime, "elles trouvent dans la lutte contre leurs oppresseurs une identité et une fraternité. Être une victime offre une cause à défendre. Être une victime donne du sens à une vie. Conclusion : être une victime rend heureux." ( p. 136). Toute la question est de savoir de quoi il peut revendiquer être victime.
Et (page 156) il retourne encore sa veste une autre fois en se demandant si haïr quelqu’un, ce qui est une autre forme de combat, ne pourrait pas le conduire à la félicité. En quelque sorte se trouver un abcès de fixation, Enfourcher un cheval de bataille. L’a-t’il vraiment testé ?
Il terminera sur une ultime pirouette.
Est-ce le personnage ou est-ce l’auteur, toujours est-il qu’on comprend (page 147) qu’être surdoué, grand timide, et angoissé est peut être l’explication de son incapacité à être heureux. Au-delà de la dérision qui imprègne tout le livre, si bien qu’on finit par avoir du mal à le prendre au sérieux, n’est-ce pas à ce moment-là que l’auteur est le plus vrai, le plus personnel aussi ? Dans la mesure où il était prévu que je le rencontre je me promettais de lui poser la question. Lui demander aussi si ce sont ses propres éléments biographiques qu’il nous donne page 130.
L’anxiété c’est l’intolérance aux risques. Tant que l’on imagine des scénarios catastrophes qui ne se réalisent pas on peut dire que tout va bien. Évidemment en ce moment la situation est devenue paroxystique puisque le risque est devenu réalité.
Procurez-vous ce livre ASAP (as soon as possible) : il sera plus efficace que les médocs pour traverser la crise.
Le bonheur est au fond du couloir à gauche de J.M. Erre, chez Buchet Chastel, parution prévue le 2 avril 2020, repoussée au 7 janvier 2021
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