Je connais Eric Pessan. Je l'apprécie en tant qu'auteur pour adultes. Il écrit du théâtre, de la poésie, des romans. Muette était exceptionnel de sensibilité. J'avais écrit de son premier livre dans le domaine de la littérature jeunesse, Plus haut que les oiseaux, que c'était un de ces petits bijoux de romans, soit disant pour ados, que bien des adultes gagneraient à lire, et à méditer même s'il est vrai que c'est plus chic de prétendre qu'on passe ses nuits à re-lire Crime et châtiment de Dostoïevski.
Le thème de la fugue, central dans Muette, est encore traité dans Aussi loin que possible où, après la hauteur, il explore la longueur. C'est son quatrième en littérature jeunesse.
Malheureusement la couverture n'est pas attrayante et absolument pas représentative du plaisir de lecture que l'on peut ressentir. Passons outre, le livre a tant de qualités même si la métaphore de la course à pieds n'est pas nouvelle.
A cet égard je vous renvoie aux films de régis Wargnier, la Ligne droite ou De toutes nos forces de Nils Tavernier. Ou au roman de Jean Echenoz, Courir, aux Editions de Minuit, octobre 2008.
Métaphoriquement la course permet de transcender un état de rébellion et d'entrer en résistance. Contre le mauvais sort qui, par définition, est injuste, et contre soi qui n’a pas d’autre issue que de continue à avancer.
Antoine et Tony n’ont rien comploté. Ce matin-là, ils ont fait la course sur le chemin du collège. Comme ça, pour s’amuser, pour savoir qui des deux courait le plus vite. Mais au bout du parking, ils n’ont pas ralenti, ni rebroussé chemin, ils ont continué à petites foulées, sans se concerter. La cité s’est éloignée et ils ont envoyé balader leurs soucis et leurs sombres pensées.
Ils quittent le Val enchanté qui n'a d'enchanté que le nom, s'éloignant du petit parc où un jardinier a reçu une bouteille de bière sur la tête l'an dernier. A cet endroit Eric Pessan aurait pu mettre un astérisque expliquant l'allusion au précédent roman.
Les deux ados n'ont rien prémédité : parfois on fait des choses sans réfléchir et on en voit le sens bien plus tard (p.11).
C'est dur mais avec pour carburant la tristesse pour Tony, la colère pour Antoine, ils ne risquent pas de rebrousser chemin. Surtout, on a moins peur en courant qu'en restant immobiles, figés dans nos vies (p. 41).
L'auteur interroge le poids du temps qui passe et la valeur des petites choses : au bout de deux heures, s'étonne Antoine, j'ai remplacé deux heures banales de ma vie par deux heures magnifiques. Ce qui pourrait apparaitre comme un acte de bravoure, voire de folie est en réalité une voie vers la liberté.
Car ce qui peut rendre fou, c'est de vivre dans la peur. Celle d'être séparé de ses parents parce qu'il leur manque deux ou trois coups de tampon sur un formulaire. Ou celle de se prendre une dérouillée parce que son père a envie de passer ses nerfs et que sa mère ne dira jamais rien. En définitive, on a moins peur en courant qu'en restant immobiles, figés dans nos vies (p. 41).
Le lecteur ne s'ennuie pas tout au long du parcours. Il vit comme eux au présent, dans le présent, avec pour préoccupations majeures manger, dormir et rester en bonne forme, malgré l'asthme, l'hypoglycémie, le réveil d'une vieille foulure, les mauvaises rencontres. Avec pour seul viatique le contrôle de leur respiration : deux inspirations par le nez, une longue expiration par la bouche.
La liberté peut prendre des formes différentes. Celle de rester en France ou de devenir ce que l'on souhaite, par exemple écrivain pour guérir des blessures causées par le silence.
Aussi loin que possible d'Eric Pessan à l'Ecole des loisirs, en librairie depuis le 30 septembre 2015
Sélectionné au Salon du Livre de Jeunesse de Montreuil, catégorie Pépite du Roman Ado Européen 13 ans et plus
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