Je referme Voltiges, le dernier livre de Valérie Tong Cuong en frissonnant. C'était sans doute un choix risqué de le lire après Les terres animales. Depuis la crise sanitaire et avec les craintes de dérèglement climatique les auteurs semblent très inspirés par les catastrophes pour camper le décor de fictions qui se présentent sous le masque de la réalité.
Car tous les événements paranormaux qui se produisent dans ce roman sont des faits exacts. Leur accumulation instaure un climat d'angoisse jusqu'à nous donner le vertige.
Eddie et Nora Bauer forment un jeune couple suscitant l'admiration. Eddie assure à sa famille un train de vie très confortable grâce à ses revenus de co-directeur d’un grand cabinet de conseil, permettant à Nora de quitter son travail pour se partager entre la création de bijoux et le soutien de leur fille. Leni est une adolescente promise à une brillante carrière d’athlète de haut niveau depuis qu’elle a été repérée par le charismatique entraîneur Jonah Sow. L’avenir semble sourire à ces heureux du monde jusqu’au jour où Eddie apprend que son associé l’a trahi, précipitant le cabinet à la faillite. Ruiné, il compte se "refaire" vite et fait le choix de ne rien dire à Nora, ni à Leni, mais il multiplie les mauvaises décisions.Tandis que l’atmosphère familiale se dégrade, d’étranges phénomènes se produisent : des animaux sauvages apparaissent en ville, des incendies rongent les collines voisines, de violentes bourrasques surprennent les habitants. La menace est partout.
L'auteure s'y prend à merveille pour combiner les éléments. je ne connaissais pas le tumbling pratiqué par Leni. C'est pourtant une discipline olympique (décidément les JO sont une constante cette année) appartenant à la gymnastique et consistant à enchainer huit types de saltos et de voiles, autrement dits de sauts périlleux … comme l'adjectif les caractérise. Je me suis renseignée depuis et j'ai appris que la France compte deux championnes du monde. La seconde a avoir obtenu ce titre est la Sarthoise Candy Brière-Vetillard à Birmingham (Grande-Bretagne), le 11 novembre 2023. Sa performance est spectaculaire et peut sans conteste être qualifiée de haute voltige.
Le terme est polysémique. On conviendra que les pratiques financières du père en sont une autre démonstration.
Le fait qu'il taise la perte de son emploi n'est pas un comportement surprenant. C'est le point de départ de plusieurs films. Ce type d'annonce est très difficile à faire. Le parti pris de Valérie Tong Cuong permet de faire intervenir la mère d'Eddie pour provisoirement régler la question. Cet élément devient un mensonge de plus, qui s'ajoute à celui de son père, ayant tu la naissance de son demi-frère et à la trahison de son associé.
Pour Eddie la réussite est d'abord matérielle et il ne remet pas cette position en question, quitte à perdre son identité. La seule personne qui se construit hors du mensonge est Leni car la pratique de son sport ne permet aucune triche ou compromis. La recherche d'excellence ne ment pas et elle a forcément une autre définition de la réussite. Il n'est pas étonnant que cette jeune fille soit le personnage le plus lucide (malgré un prénom qui semble dire l'inverse).
Ce n'est pas parce qu'on refuse de le voir que les dégradations s'enchainent pas une fois l'annonce de la faillite (un peu comme un parcours de tumbling) avec de multiples retournements de situation jusqu'à la chute finale, c'est du moins ce à quoi on s'attend car on n'imagine pas un rétablissement possible. Le ton est grave, à la limite du thriller, à ceci près que ça pourrait ne pas être une fiction.
On ne sort pas tout à fait indemne de la lecture de ce roman, parfaitement ciselé et que j'imagine très bien sur grand écran.
Voltiges de Valérie Tong Cuong, Gallimard, Collection Blanche, en librairie depuis le 14 mars 2024
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