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vendredi 27 octobre 2023

Déjeuner chez Excoffier Père & Fils

Je ne serais ans doute pas allée spontanément déjeuner chez Excoffier Père & Fils. J’ai des souvenirs d’enfance de soufflé mais je n’étais pas disposée à en faire tout un repas. Et pourtant je suis ressortie légère et joyeuse de ce restaurant où se conjugue à la perfection l’art du bien manger et du manger bon.

Croyez-en mon expérience. C’est une des meilleures tables du moment. Ce n’est pas un effet de mode. Et on comprend pourquoi dès qu’on se penche sur le sujet.

C'est un plat mythique et de haute voltige. Combien de fois ai-je entendu ma grand-mère (dont c'était une spécialité) dire le soufflé n’attend pas, c’est le convive qui doit accepter d'attendre. Alors je m'interrogeais sur la longueur du service mais chez Excoffier on maitrise tout et il n'est pas nécessaire d'être patient.

Je me doute que vous aimeriez avoir la recette. Je n'ai pas demandé celle du chef car j'imagine qu'il préfère la conserver secrète. Mais en fin de publication je vous donnerai la mienne qui, toutes chose égales par ailleurs, est un heureux compromis.
Philippe apporte lui-même quelques gougères miniatures, aériennes, parsemées de graines de sésame doré, fondantes en bouche avec un verre de Pessac Leognan, un Bordeaux dont la minéralité s'exprimera ensuite parfaitement avec l'amertume maitrisée d'une de ses spécialités, l'Artichaut comme une tarte Tatin, jus de viande corsé.
Le restaurant est tranquille le midi mais il est "full" en soirée. On apprécie le calme et la sérénité qui règne en salle. Le bar noir se situe dans l’entrée, précédant une salle en enfilade. La cuisine est ouverte et aucun éclat ne viendra jamais troubler le calme de la salle qui baigne dans une douce musique. On prend le temps de contempler le décor, sobre mais parlant. Les livres et les photos présentés sur la console qui court derrière les canapés renseignent sur le parcours de Philippe et ses penchants culinaires.
On peut feuilleter (et acheter) le livre mémoire qu'il a écrit en 2009 sur son passage dans les cuisines de l‘Ambassade des États-Unis à Paris où il a officié 12 ans. On comprend qu'il connaisse très bien les plats emblématiques et préférés de nos cousins américains. Concevoir un menu spécial Thanksgiving lui est naturel. Ce sera le 23 novembre, avec crab cake, cappuccino de potimarron aux épices Cajun, arrivés directement de Louisiane, dinde en deux façons, purée de patates douces et choux de Bruxelles et l'ultra traditionnelle tarte au potiron et noix de pecan.
Au mur, des objets de cuisine sont encadrés comme des oeuvres d'art et l'huile d'olive est élevée au même rang que le cognac. Je m'étonne qu'il n'y ait pas une collection de moules à soufflé mais après tout une certaine sobriété est de bon ton.
Arrive sur la table une Chair de tourteau en fraîcheur, avocat, œuf mimosa, pomme verte (photographié en demi-portion) qui mérite amplement son nom. Cette entrée est d'une douceur et d'un équilibre remarquables. Elle est subtile, parfumée, raffinée et figure dans le menu Suggestion en 5 services.
S'il ne fallait employer qu'un seul terme pour qualifier la cuisine de Philippe Excoffier ce serait "équilibre" et son fils, formé dans l'école Ferrandi, suit la même voie à ses côtés. Philippe a retenu de son expérience américaine combien la couleur est importante dans une assiette. Un des plats qu'on lui réclamait le plus à l'ambassade était le bar de ligne rôti au four avec un jus de légumes à la marjolaine.

Puis un Soufflé au citron de Nice les a enchantés. Par la suite, et pendant six mois, l'ambassadrice ne voulait plus que des soufflés, aussi bien sucrés que salés mais il a réussi à les convertir à la richesse aromatique de la cuisine française. Inversement il a développé une ultra compétence dans la confection de ce grand classique de la gastronomie française qui permet aujourd'hui à sa cuisine de se démarquer de celle des restaurants voisins dont la concurrence est vive.

C'est ce qui a dynamisé le bouche à oreille positif dont il a bénéficié dès son arrivée en 2011 aux commandes du restaurant de la rue de l'Exposition. La salle est relativement petite parce qu'elle a pris place dans une des anciennes boutiques qui s'alignaient dans cette rue mais elle est très bien agencée, permettant l'installation de 34 chaises et, dès que le temps le permet, elle se déploie dans la rue sur une terrasse très agréable puisque la circulation automobile s'y fait plutôt rare.

Ajoutez la qualité des produits, l'attention et le soin du service (par Cameron le jour de ma venue), une musique douce, des prix raisonnés, et le succès s'explique. Pendant le confinement, les soufflés à emporter ont rencontré un vif intérêt parce qu'ils étaient conçus pour être réchauffés à domicilePlusieurs clients y ont pris goût et ont découvert ensuite le restaurant. Il aurait été dommage de ne pas continuer.
Mais voici un des soufflés de la carte, le Soufflé Suissesse aux truffes, crème truffée que l'on dégustera à la grande cuillère. Le plat n'est pas trop salé, ce qui est suffisamment rare en restauration pour el souligner. la truffe est odorante, savoureuse, pas trop puissante. On est encore sur la truffe blanche de Bourgogne, très agréable, et consensuelle.
En plat, le Soufflé de Gambas, tuile à l'encre de seiche, bouillon de homard infusé combine les saveurs marines avec élégance.
Mais celui qui ne voudrait pas faire tout un menu avec cette spécialité sera réjoui par un Risotto de petit épeautre aux girolles, écume de potimarron, servi dans une assiette ronde, présentée avec la beauté d'un tableau, qui satisfera complètement un végétarien …
Une Pêche du jour de nos côtes, légumes de saison, bouillon de homard infusé au curry (non photographié), sera servi à celui qui préférerait un poisson … ou un Paleron de Boeuf "Herdshire" confit 5 heures, garniture de Bourguigon si on désire une viande.
On a quitté le blanc pour un rouge, un Saint-Joseph. Mais vous apercevrez aussi une bouteille de Chatelguyon, une eau auvergnate que Louis XV qui était systématiquement sur la table de Louis XV, comme l'évoque la mention 1650 sur son étiquette. La carte des vins est très belle, très étendue.

Je suis sûre que la sélection de fromages affinés est réussie. Y figure une Tome de Savoie, en référence aux origines régionales du chef.
A la table voisine, on assiste avec recueillement au flambage du Soufflé au Grand-Marnier. Je remarque que l'astuce consiste à percer la croute de l'appareil pour y verser l'alcool. J'avais le souvenir de soufflé qui retombait très vite mais ceux-ci se maintiennent et pourtant leur légèreté est inouïe, sans nul doute le résultat de multiples essais. 
Difficile de faire un autre choix pour le dessert. La réinterprétation est fidèle et splendidement réussie. Cette spécialité très française n'est pas souvent à la carte d'un restaurant. Il serait stupide de ne pas se lasser tenter. Mais le Soufflé à la Pistache, coulis de fruits rouges est lui aussi délicieux.
Malgré le choix de la trilogie entrée-plat-dessert on ne se sent pas du tout l'estomac lourd. Il n'y a aucun doute que si nous sommes venus pour faire une expérience nous reviendrons pour le plaisir. On pourrait en prendre l'habitude. Et c'est une très bonne idée que de proposer un menu du jour (renouvelé chaque jour du mardi au vendredi et hors jours fériés) que j'ai photographié à mesure que les plats étaient posés sur le passe-plat :
Soufflé au potiron et châtaignes, crémeux de parmesan
Filet de bar juste saisi, olives taggiaches, écrasée de pomme de terre
Ile flottante crème anglaise à la pistache
En cuisine Philippe et Sasha travaillent de concert sans un mot plus haut que l'autre. Les mains dansent au-dessus de l'assiette. La Microplane, cet outil fétiche de tout amateur de cuisine, est souvent sollicitée. Je parie qu'il y en aura encore cette année sous les sapins dans un mois, comme je le suggérais l'an dernier.
Le parcours de Philippe Excoffier comporte de belles étapes. Originaire de Savoie, il a commencé son apprentissage, à Alberville chez le double étoilé Philippe Million. Il est aussi passé chez Pic à Valence. Arrivé à Paris il devient pendant deux ans, chef pour Jack Lang, alors Ministre de la Culture et en 1993, il intègre de nouveau un restaurant au sein de l’équipe d’Alain Senderens à Lucas Carton.

Son aventure américaine commencera en 1998 et durera douze ans à l’Ambassade des États-Unis. Il n'oublie rien de cette énorme machine qui demande une lourde charge de travail pour créer des déjeuners et diners privés ou des cocktails comptant jusqu’à 2000 personnes, mais qui fut une expérience extraordinaire, bien entendu en terme de cuisine mais aussi de management. Elle lui a permis de rencontrer beaucoup de personnalités, et tous les présidents des États-Unis de l’époque, ainsi que de grands écrivains, dont il témoigne dans son livre A la table de l’Ambassadeur que je citais plus haut.

En juin 2011, Philippe ouvre avec son épouse Michèle, ce restaurant entre les rues de l’Université et Grenelle pour opérer un changement de vie et se recentrer. Ce tournant lui permet de s'y associer plus tard avec son fils Sasha, en adaptant le nom de l'établissement. S'il n'a pas été toute sa vie cuisinier il en avait le potentiel puisque à l'âge de 15 ans il s'était dirigé vers l’école Ferrandi dont il a suivi l'enseignement en alternance avec le Grand Véfour, dans la brigade de Guy Martin. Cette formation lui a donné envie de faire ensuite le tour du monde des plus grands étoilés. Il y a certes beaucoup appris et s'est perfectionné mais sans éprouver beaucoup de plaisir.

Interrogé sur ses goûts, Sasha cite la soupe aux truffes VGE créée en 1975 par Paul Bocuse pour le président, les escargots, les pigeons rôtis, le boeuf Wellington, l'opéra, l'entremet 100% vanille de Philippe Conticini, le baba au rhum. A l'écouter on comprend combien les trentenaires sont friands d'expériences culinaires alors que leurs parents restent fidèles à la tradition. Chez Excoffier Père & Fils on met tout le monde d'accord autour de la même table. C'est une réussite totale dont on s'étonne qu'elle ne soit pas déjà récompensée par une étoile.

La famille a encore d'autres projets à concrétiser, peut-être une boutique, sans doute un autre restaurant, en France ou à l'étranger et ce pourrait être aux USA, en Angleterre, au Japon oui même au Mexique (où je leur prédirais un beau succès car je commence à bien connaitre ce qui plait à ses habitants férus de gastronomie).

Evidemment ils vont maintenir le cap sur le soufflé que Philippe cuisinait avant que son fils le rejoigne mais qu'ils ont travaillé ensemble - surtout Sasha qui a entrepris de multiples essais pour ajuster la texture du blanc d'oeuf, lequel est foisonné comme une Chantilly puis cuit dans un four spécial. Nous n'en apprendrons pas davantage si ce n'est que tout se joue sur des micro-détails, y compris la matière du moule ou son revêtement, ce qui me donne l'idée de suggérer de concevoir un moule en collaboration avec Mauviel 1830, une de nos grandes entreprises du Patrimoine français.

La consistance du soufflé n'est pas celle du soufflé de ma grand-mère (qui pourtant le réussissait à merveille). Sa consistance est plus serrée et on a davantage de mâche en bouche. Pour arriver à ce résultat, l’appareil est cuit dans un four particulier à chaleur tournante. Il est démoulé à la minute. Et en terme de saveurs les déclinaisons sont multiples : aux truffes, au homard, au comté, aux champignons en entrée ou en plat.... Pour les sucrés, les soufflés se déclinent tout au long de l’année suivant le marché et les saisons : à l'eau de rose, litchi, framboise, au caramel, à la pistache, au Grand-Marnier. Sans détrôner les fondamentaux comme le Pâté en croûte, le Ris de veau ou le Filet de cochon confit, ou une Raviole de foie gras à la truffe.
Quant à la recette de base (car je devine que vous brûlez que je la rappelle) c’est un roux fait avec 40 grammes de beurre, 50 de farine puis 50 de lait dans lequel on ajoutera hors du feu 5 jaunes d'oeufs puis les blancs battus en neige. On cuira à 230° en à peine 10 minutes.

Je vous donne volontiers mes trucs et astuces : un préchauffage d’au moins 10 minutes, un moule haut, rond, en céramique, bien beurré puis saupoudré de farine ou de sucre selon que je fais une version salée ou sucrée. Une base de béchamel pour le premier, de crème pâtissière pour le second, mais toujours une préparation lisse obtenue au mixeur plongeant. Des blancs d’œufs battus jusqu’au bec d’oiseau. Une cuisson qui n’est pas interrompue jusqu’au ce que la croute soit colorée et solide.

Excoffier Père & Fils
Du mardi au samedi
18 Rue de l'Exposition, 75007 Paris - 01 45 51 78 08
Contact : restaurant.excoffier@gmail.com
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