La citation qui figure sur la quatrième de couverture du livre de Diane Peylin est doublement représentative, de son style, et de l'état d'esprit dans lequel Le Bal m'a plongée :
" Il y a des jours où le temps s’arrête pour une longue respiration. Laissant naître des bulles d’air sous le crâne. Des jours entre parenthèses où les draps blancs des fantômes ne couvrent plus le regard des vivants".
Au cœur de l’été, dans un village du sud-est, Robin rejoint sa femme, sa fille et sa mère dans la maison familiale. Dans ce lieu gorgé de souvenirs, il va tenter de se réapproprier son corps meurtri après une longue maladie. Mais les blessures que l’on voit sont rarement les plus profondes. Au cours de ces semaines caniculaires, des tensions apparaissent à l’ombre du mûrier. L’heure est venue pour chacun d’oser dire les présences invisibles qui les ont éloignés les uns des autres.
J'ai énormément apprécié cette lecture, qui se savoure en sollicitant chacun de nos sens. C'est un bijou. Le Bal méritait que je trouve un mûrier comparable à ceux qui s'épanouissent dans le village familial de Robin pour placer le livre au centre de cette photographie.
Les phrases sont vives, souvent sans pronom. Elles sonnent tac-tac ou plutôt clac-clac comme le feraient des photos. Et voilà justement qu’elles apparaissent, ces photos, introduites par ces mêmes onomatopées. La première, page 43, et je trouve l'idée épatante de nous suggérer des clichés qui n'existent pas. On a tous comme Robin (p. 91) des instants qu’on voudrait fixer, mais qui s’échappent comme du sable entre nos doigts.
Ces instantanés surgissent à bon escient, réinventant aussi en quelque sorte le journal (p. 115).
Le bal est un moment essentiel de la vie de chacun des personnages. Il y en a donc plusieurs. Le lecteur retiendra celui qu'il aura préféré, avec les musiques de l'époque. Il pourra même danser lui aussi sur les musiques qui figurent sur la playlist (p. 187), téléchargeable avec l'application Lisez! que je recommande d'écouter sans aller jusqu'à conseiller de siroter une marquisette (p. 50) car j'ai obligation de rester dans la modération.
A propos de cette application, je pense qu'on pourrait aller plus loin en proposant aussi le téléchargement des photos mentionnées comme "existantes", même si leur pouvoir d'évocation est immense puisqu'il est dans la suggestion.
Comme je le mentionnais précédemment, cette lecture excite tous nos sens, la vue et l'ouïe évidemment, mais aussi le goût et l'odorat parce que Rosa est tout le temps en train de cuisiner, certes des plats simples, mais dont les parfums nous sont accessibles comme si on était invité à sa table. J'ai souvent senti le soleil brûler ma peau comme une caresse alors que je lisais, la plupart du temps d'ailleurs en extérieur. La nature est extrêmement présente dans ce récit. Autant qu'un personnage.
Nos souvenirs sont titillés. On m'a rabâché à moi aussi qu'il ne fallait pas mettre les citrons au composteur (p. 73). Et j'ai d'excellents souvenirs de parties de Mastermind (p. 100) dont j'ai encore la boite rangée parmi les jeux de société.
Chaque personnage est très typé et ses réactions au stress post-traumatique de la guérison sont particulières. Il m'a semblé que c'était un des axes majeurs de ce roman : comment peut-on supporter puis surmonter le "peu supportable", que ce soit la maladie, la mort, la perte d'un enfant, et même la vieillesse.
Rosa, la grand-mère, est une femme moderne qui n’était pas obligée de travailler autant qu’elle l’a fait comme photographe mais sans cela elle aurait vécu une vie plus terne, triste et frustrée. Elle part souvent en reportage, s'éloignant de son fantasque mari, Alexandre qui devait gérer, tantôt père magicien tantôt père pathétique. Les bons jours, il revêtait son plus beau costume, s’equipait de ses instruments, livres, épée, parapluie, objets incongru et occupait la chambre de son fils. Valeureux, conteur intarissable, danseur infatigable, il faisait le show pour que les crampes de douleurs deviennent des crampes de sourire, des crampes de rire. (p. 33)
Le couple Robin-Suzanne est différent. Leurs caractéristiques se dessinent au fil des pages. Comme la relation entre Robin et son frère Elvis, vivant au Canada et communiquant par visio-conférence. Jeanne, leur fille, est très touchante dans l'attention qu'elle leur porte et dans sa manière de démarrer sa vie amoureuse.
L'auteure parvient à nous faire entendre la voix de chacun, quitte à employer une astuce comme le changement de typographie pour Robin ou le surgissement de photos pour Rosa. Elle raconte la vie sans occulter les drames, mais sans minimiser les petits bonheurs du quotidien. Diane Peylin a précisément l'art de raconter comment faire de ces petites choses des événements extraordinaires (p. 92). C'est une des réussites de ce livre plein d'amour et de pulsion de vie.
Le Bal de Diane Peylin, chez Héloïse d'Ormesson, en librairie depuis le 8 avril 2021
Photo de couverture Ben Zank
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