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vendredi 11 juin 2021

Madame Butterfly revient sur les scènes d'Opéra en plein air dans une mise en scène d'Olivier Desbordes

C’est le retour aux belles soirées, non seulement parce qu’on bénéficie d’une météo favorable mais aussi parce qu’après presque un an d’enfermement, et à tout le moins de fortes restrictions, nous pouvons de nouveau reprendre le chemin des salles de spectacle. Avec malgré tout des contraintes, surtout lorsque la jauge dépasse 1000 personnes.

Je commence donc par alerter sur la nécessité de justifier d’un test PCR négatif ou d’une vaccination complète (par exemple 15 jours après la seconde injection Pfizer), et bien entendu porter un masque, pour avoir le droit d’assister à la première représentation de cette Madame Butterfly de Puccini ce soir dans le cadre louiquatorzien du Domaine départemental de Sceaux (92).

J’y avais assisté, en 2011 à ce "même" opéra, mis en scène par Christophe Malavoy. En fait les choix artistiques sont radicalement différents, et voilà un des intérêts de la chose. Un opéra n’est pas qu’une partition pour des voix exceptionnelles, c’est aussi - quand la scénographie est réussie- une lecture particulière d’une œuvre.

Il y a du modernisme dans les choix opérés par Olivier Desbordes qui, contrairement à la version de Christophe Malavoy, ne verse pas dans le romantisme ni dans le japonisme. Les didascalies figurant dans le programme ne sont quasiment jamais respectées. Cependant ses parti-pris de mise en scène sont judicieux. Les costumes de la famille de Madame Butterfly sont criards, évoquant presque l’univers Bollywood. Le décor est en grande partie comme bricolé avec des planches de récupération et des palettes grossièrement peintes en noir pour faire office d’escaliers et de rembardes. La maison de la jeune femme semble avoir subi plusieurs cataclysmes comme il s'en produit souvent au Japon. C’est une maison accordéon dira le lieutenant de la marine des États-Unis d'Amérique, Pinkerton (le ténor Denys Pivnitskyi). Plusieurs éléments font référence aux Etats-Unis.

Par contre, et est-ce parce que les percussions résonnent souvent dans une tonalité dramatique qu'un tonneau a été placé au centre du plateau ? Hélas il masquera le chef d’orchestre toute la soirée. Dommage !

Et pourtant, dans ce monde éprouvé par les aléas, il existe une femme au coeur pur, aux sentiments très forts, capable de faire pousser des fleurs sur les ruines. Elle sacrifiera tout à l’amour qu’elle porte à Pinkerton qui l’épouse pour 99 ans mais qui est libre de s’en séparer comme bon lui semble, revendiquant la supériorité audacieuse de l’occupant qui se réjouit de pouvoir ici "chaque mois divorcer". Pinkerton avance sans masque si je puis dire. Il affirme sans état d’âme "partout dans le monde le Yankee vagabonde. Il en profite et trafique  (…) Amour ou caprice. Femme ou joujou". Il semble néanmoins troublé par la beauté de Cio-Cio-San (papillon en japonais), dite Madame Butterfly (papillon en anglais)comparable à celle d’un papillon
C’est avec le seul soutien de sa servante, la fidèle Suzuki (la mezzo-soprano Irina de Baghy), qu’elle attendra le retour de celui qu’elle considère comme son mari et qui est le père de son fils.

Évidement, dans le contexte actuel dénonçant les violences conjugales, le quasi rapt de l’enfant par la riche nouvelle épouse américaine et le suicide de Madame Butterfly ne "passeraient" pas. Je connaissais le livret et j’avais été choquée de ce choix il y a onze ans. Je le reste. Mais j’avais été convaincue par Anne Gravoin, la directrice exécutive de l'orchestre d'Opéra en plein air, en conférence de presse (en visio-conférence) justifiant son choix par la qualité musicale.

Ce soir il était évident qu’elle avait raison. La musique est en parfait accord avec les paroles chantées par les artistes. Et la difficulté d’interprétation est immense. La soprano Serenad Bureau Uyar a marqué la soirée de son talent, comme on nous l’avait promis. Le jeu est subtil et j’ai entendu à la fin l’américain exprimer un remords que je n’avais pas perçu dans la version précédente. Cela n’adoucit pas le propos mais au moins cela le rend plus acceptable, dans ce contexte particulier où les américains se voyaient comme les maîtres du monde. Évidemment le drapeau américain est présent.

Butterfly s’en drapera en guettant le retour du mari, et on pense à Jessye Norman chantant la Marseillaise un certain 14 juillet 1989. Et à la toute fin le fils au prénom signifiant (Dolore, autrement dit Douleur), ouvre le réfrigérateur antique à la porte rouillée (qui devait en 1904 être d’un modernisme absolu) pour se désaltérer d’une bouteille du soda préféré de ce peuple … alors que sa mère se meurt … drôle de comportement pour un enfant censé avoir trois ans. On pardonnera l’anachronisme.

Les lumières d’Étienne Morel sont sobres, mais il est probable que l’avancée de la représentation d’une heure (pour respecter le couvre-feu de 23 heures) l’ait conduit à les modifier. Le ciel rouge de la dernière scène, contrastant avec la noirceur de la nuit venant (enfin) de tomber est saisissant de beauté.
Si on écoute attentivement la musique on remarquera fréquemment des notes de l’hymne américain.

Pour revenir à la genèse de l’œuvre de Giacomo Puccini il faut savoir que c’est lors d’un séjour à Londres en 1900, que le célèbre compositeur italien de La Bohème et de Tosca découvre une émouvante pièce américaine, racontant le destin d’une jeune geisha, mariée à un officier américain puis abandonnée avec leur bébé. Bouleversé, il décide de s’en inspirer pour écrire son nouvel opéra. La première est chaotique. Mais, retravaillée, l’œuvre triomphe. Et Madame Butterfly est devenue, depuis 1904, l’un des opéras les plus populaires du répertoire lyrique. Le livret est donc censé être connu. Mais ce n’est pas une raison pour négliger le surtitrage, souvent défaillant ce soir pendant plusieurs minutes.

Le choix était excellent pour le vingtième anniversaire de la manifestation qui a été lancée par Franck Ferrand, qui est le Parrain de l’édition 2021. Manifestement très heureux d’être là, il annonça se réjouir d’un soleil couchant pour accompagner un spectacle dont l’action se situe au pays du soleil levant. La formule était jolie mais la soirée ayant été avancée d’une heure pour que nous puissions rentrer avant les 23 heures du couvre-feu les gradins étaient encore inondés d’un soleil quasi caniculaire. Cette atmosphère ne justifiait pas la décontraction effrayante de certaines personnes, peu vêtues, et non masquées (elles avaient dû l’être au moment des contrôles) et brandissant leur smartphone sans aucune discrétion.

Revenons au début du spectacle, nous sommes dans un salon à ciel ouvert dans la région de Nagasaki, malheureux hasard qui ne présage pas le bombardement atomique qui aura lieu 41 ans plus tard. Arrive une jeune fille de 15 ans, l’âge des jouets, commentera Sharpless, le consul des États-Unis d'Amérique à Nagasaki (le baryton Kristian Paul), mais pourtant déjà geisha, donc totalement dévouée. On ne pourra s’empêcher de soupirer quand on verra plus tard que les "poupées" qu’elle vénère sont des Ottokés, autrement dit les âmes des ancêtres même si la jeune fille s’est résolue à changer de religion. Le bonze lui en fera le reproche et elle sera rejetée par sa communauté alors qu'elle éprouve à la fin de l’acte I un pressentiment, celui d’être un papillon qui finira percée d’une épingle mais elle décide de faire confiance alors que sa famille la renie. Le premier violon soutient ce moment intense.

L’acte I s’achève alors qu’il fait encore grand jour. C’est un peu dommage que l’horaire ne soit pas raccord avec ce qui se passe sur scène (la nuit de noces).
On sait qu'après l'entracte, le deuxième acte commencera une descente aux enfers. Butterfly est debout sur le toit, guettant le retour de son bien-aimé. Son chant est très beau. Elle est très émouvante dans sa détresse. Elle est aussitôt très applaudie. Elle reste fidèle aux valeurs américaines. La preuve en est qu’on voit Suzuki coudre le drapeau de ce pays alors qu’on reconnaît une évocation de l’hymne national. 
Elle croit toujours au retour du mari. Il lui a promit de revenir quand les rouges-gorges font leur nid. Elle interroge le consul sur la date probable sur quelques notes très aiguës, soulignant son anxiété. Le pauvre Sharpless ne parvient pas à transmettre son message de rupture. Il se démène à la limite du grotesque. Il finira par déchirer la lettre alors que les percussions font un tonnerre, annonçant la confidence de Butterfly de préférer la mort si son mari ne revient pas. Elle fera tomber le mur de sa maison de colère en comprenant que c’est ce qui va se passer, révélant l’enfant au Consul et au public.
On comprend que l’ours qui git depuis le début sur le plateau est celui du garçonnet.
Tous les trois jettent des fleurs sous le regard impassible de Goro (le ténor Eric Vigneau) l'entremetteur au masque très blanc, aux allures de clown fellinien. C’est la fin de l’acte II.
Le dernier acte voit le retour de Pinkerton, habillé cette fois en redingote noire corbeau, accompagné de sa femme américaine, Kate Pinkerton (mezzo-soprano), sorte de Jackie Kennedy d'un autre temps, en jupe noire, blouson blanc et sac d'inspiration Kelly (l'accessoire mythique de Grace de Monaco conçu pour elle par la maison Hermès).

Sans que le public puisse le plaindre, on est soulagé d'entendre le lieutenant exprimer des regrets : Oui, en un instant je vois toute l'étendue de ma faute. Et je sens bien que ce tourment ne me laissera jamais aucun répit. Non ! (…) Je fuis, je fuis, je suis misérable.
Le ciel s'ombre de rose comme si le metteur en scène avait eu le pouvoir d'obtenir un tel effet. Butterfly exprime une détresse intense. La nuit tombe sur le décor. Elle va se donner la mort alors que son fils est assis, en bas, impassible.
Les applaudissements sont à la double mesure du talent des artistes et d cela joie du public.
Opéra en plein air s’est aussi donné pour la deuxième année pour objectif d’accueillir les enfants à partir de 4 ans, en amont de la représentation grand public, avec un spectacle opératique dédié à leurs petites oreilles et grand appétit. Ce Piccola Opéra a lieu à une heure adaptée à leur âge, à 16 heures dans chaque lieu le samedi de la seconde représentation, sauf pour Vincennes où il est programmé le 4 septembre (qui est aussi un samedi).

Trois chanteurs/chanteuses lyriques, un pianiste et un narrateur donnent à savourer un florilège d’airs d’opéra, léger et exalté ! Le burlesque se joint au sensible, et les petites farces se chantent en solo, duo et trio. Mozart, Bizet, Puccini, ..., le spectacle explore les grands compositeurs et les passions humaines qui font l’histoire de l’opéra, et dont la portée universelle peut être appréhendée à tout âge et se partager avec l’ensemble de la famille.

Madame Butterfly de Giacomo Puccini dans une mise en scène d'Olivier Desbordes
Direction musicale Dominique Trottein 
Premier violon Anne Gravoin
Décors Ruth Gross
Costumes Diane Belugou
Lumières Étienne Morel
vendredi 11 & samedi 12 juin à 19h45 au Domaine Départemental de Sceaux (92)
vendredi 18 & samedi 19 juin à 19h45 au Château et Parcs de Champs-sur-Marne (77)
vendredi 2 & samedi 3 juillet à 20h45 au Domaine national de Saint-Germain-en-Laye (78)
vendredi 9 & samedi 10 juillet à 20h45 au Château de Vincennes (94)
mercredi 1er, jeudi 2, vendredi 3 & samedi 4 septembre à 20h45 à l’Hôtel National des Invalides (75) 

Opéra en plein air, comme Piccola Opéra sont des expériences à vivre dans le respect des contraintes sanitaires en vigueur au moment de la représentation : jauge adaptée, distanciations, conditions hygiéniques, et passeport sanitaire ou test PCR. Je vous conseille de vérifier sur le site les conditions et horaires qui peuvent évoluer en raison de l'actualité.

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