Le décor du Petit coiffeur évoque un salon de coiffure tel qu’il en existait au milieu du siècle dernier, tout autant que son logement attenant dans un dispositif astucieux conçu par Juliette Azzopardi, qui se plie et se déplie autant que nécessaire. On remarque quelques éléments incontournables comme le fauteuil typique du coiffeur (qui revient en force à la mode dans les salons de barbier aujourd’hui), ou le gramophone.
L’homme faisait tenir son pantalon avec des bretelles que le patriote choisissait bleu-blanc-rouge. Il était tout autant naturel pour la femme d’enfiler des socquettes dans de grosses chaussures, bien confortables pour marcher longtemps et loin. Le soir on suivait Radio Londres en guettant les sous-entendus derrière des formules hermétiques pour l'ennemi. Nous ne sommes pas surpris d'entendre quelques formules comme "Les sanglots longs de l’automne… ". On est en terrain connu.
Ce qui est très fort, c’est que le spectacle démarre mollement, dans le convenu. On se demande si on ne s’est pas trompé de théâtre et puis tout bascule quand arrive le morceau de bravoure de la mère, servi par Brigitte Faure qui révèle alors une amplitude de jeu extraordinaire. Elle a, si je puis dire, la carrure d’une Nathalie Baye en colère.
On sera alors transporté par des rivières d’émotions jusqu’à la fin. Chaque comédie, un peu à l’instar d’une musique de jazz, aura son moment particulier pour exprimer toutes ses qualités de jeu. C’est très habilement écrit, comme Jean-Philippe Daguerre nous y a habitué.
Il est parti de la photographie de Robert Capa, représentant une femme tondue à la Libération dans une rue de Chartres, portant son bébé de trois mois dans les bras. Le cliché est devenu célèbre sous le nom de "La tondue de Chartres". Jean-Philippe Daguerre a imaginé toute une histoire, avec bien entendu des rebondissements qui nous interroge sur le poids des ressentiments, la force de l'amour et la vertu de la tolérance. Avec des dialogues qui percutent et un humour qui provoque souvent le rire sans jamais faire basculer la pièce dans la vulgarité.
Florentine Houdinière a conçu des chorégraphies qui sont de petits moments délicieux offrant une respiration nécessaire car le sujet demeure grave. La première est longuement applaudie.
Après les horreurs de la guerre, la Libération aurait dû être un moment heureux. Hélas, les jalousies et la convoitise ont attisé des actions peu glorieuses, menées sous couvert de rétablir l'ordre. Mais lequel ?
L'ami du mari défunt (dénoncé aux allemands par on ne sait qui) s'empressera de chercher à consoler la veuve, une figure emblématique de la Résistance française, et promettra un nettoyage méticuleux de la ville. On voit ce personnage évoluer lui aussi, d'une radicalité inquiétante vers une humanité sensible. Romain Lagarde campe successivement toutes les facettes de l'ami, du salaud puis du fidèle compagnon.
Les soupçons de dénonciation se portent sur Lise (Charlotte Matzneff), une jeune institutrice, la bien jolie Mademoiselle Berthier comme la désigne Jean le grand frère (Arnaud Dupond), tant aimé, tant aimable aussi, borné dans ses obsessions mais capable de bon sens quand la situation devient cruciale.
Félix Beaupérin est le second frère, pas le préféré, mais pas le mal aimé pour autant. La mère dose son amour en fonction des besoins de ses enfants. Elle est le personnage clé de l'histoire. La seule capable de remettre les pendules à l'heure à coups de formules choc :
- Quand on peut aimer on peut pardonner, c’est le principe !
- On fait ce qu’on peut avec nos devoirs et nos désirs …
- On était connu pour Jean Moulin, la tondue de Chartres lui a volé la vedette.
Ses conclusions sont des ordres frappés au coin du bon sens. Quand elle affirme que C’est juste le destin qui a décidé de foutre sa merde et qu'elle décide qu'alors on va devoir planquer Simone pendant plusieurs semaines, le temps que les choses s'apaisent, le public, enthousiaste applaudit à tout rompre, s'apprêtant à quitter la salle sur cette fin heureuse.
C'est mal connaitre Jean-Philippe Daguerre qui, après un nouvel intermède dansé, précipite les personnages dans une nouvelle tourmente, encore plus dramatique que la précédente. Heureusement que De Gaulle poussa un coup de gueule pour qu’on arrête la justice sauvage sinon la France aurait été à feu et à sang. C'est utile de nous le rappeler.
Pour que s'unissent les forces afin de faire grandir ce qui nous reste. On sort du théâtre troublé. Avec de nouvelles interrogations sur le bien-fondé de la vérité. Et surtout pas de réponses toutes faites ni de "leçon de morale". Du grand art théâtral.
Créée le 8 octobre 2020, le spectacle a été suspendu pour cause de crise sanitaire. Il reprend du 9 juin au 25 juillet 2021, au Rive Gauche - 6 rue de la Gaîté - Paris 75014, selon des horaires qui s’aménagent en fonction des variations des couvre-feux. Il sera aussi au Théâtre Actuel pendant le Festival d’Avignon. Je vous invite à consulter les sites de ces théâtres pour préparer votre venue.
Le petit coiffeur de Jean-Philippe Daguerre
Mise en scène de Jean-Philippe Daguerre assisté d’Hervé Haine
Mise en scène de Jean-Philippe Daguerre assisté d’Hervé Haine
Avec Félix Beaupérin (ou Éric Pucheu), Arnaud Dupont (ou Julien Ratel ou Thierry Sauzé), Brigitte Faure (ou Raphaëlle Cambray), Romain Lagarde (ou Pierre Benoist) et Charlotte Matzneff (ou Sandra Parra)
Costumes d’Alain Blanchot
Décors de Juliette Azzopardi
Lumières de Moïse Hill
Musique d’Hervé Haine
Chorégraphie de Florentine Houdinière
Lumières de Moïse Hill
Musique d’Hervé Haine
Chorégraphie de Florentine Houdinière
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