Voilà qu’il fait froid. Alors mon conseil du jour c’est d’aller voir l’exposition de dessins "Lurçat intime - œuvres sur papier" ouverte au public à partir d'aujourd'hui à l'Académie des Beaux-arts. Elle est magnifique. L'accès est libre et gratuit, tout à fait à la portée d’une famille avec des enfants. Les deux salles du rez-de-chaussée se parcourent très commodément.
Une centaine d’œuvres inédites prélevées dans le millier de la production artistique protéiforme de Jean Lurçat (1892-1966), peintre, peintre-cartonnier, rénovateur de la tapisserie au XX e siècle, et qui fut membre de l’Académie des beaux-art, sont exposées pour la première fois au public : des œuvres au crayon, aquarelles, gouaches, fusains, pointes sèches et des techniques mixtes. La présentation ne prétend pas embrasser l’ensemble de sa carrière mais entend poser quelques jalons importants et entrer dans l’intimité de la création de l’artiste.
Une visite en avant-première a été organisée hier pour la presse sous la houlette des deux commissaires qui ont réalisé l'exposition, Martine Mathias et Xavier Hermel, qui oeuvrent tous deux à la Fondation Jean et Simone Lurçat-Académie des Beaux-arts.
Elle a une parfaite connaissance du sujet car elle a travaillé auparavant à la Manufacture d'Aubusson où elle connaissait alors essentiellement l'artiste comme tapissier. Son éclairage est précieux car elle a bien connu Madame Lurçat. Elle pourrait être intarissable sur le sujet, et Xavier Hermel tout autant.
Ils ont souligné qu'il n'y a eu que très peu de restauration. On a dépoussiéré les tiroirs de la maison familiale, et lavé quelques gravures. Lurçat était un formidable coloriste et tout semble avoir été dessiné et mis en couleur il y a quelques jours.
Vous remarquerez combien ses dessins évoquent d’autres grandes figures de la peinture du siècle passé comme Paul Cézanne, Georges Braque, Henri Matisse, Pierre Bonnard, Pablo Picasso. Il suffit de se plonger dans ses oeuvres et de laisser voguer son imagination.
C'est si vrai que l'encadreur qui a pris en charge les dessins s'est étonné qu'on lui confie "aussi" deux planches de Garouste … alors que ce n'était pas le cas. Il faut croire que les artistes s'influencent les uns les autres.
La scénographie de cette exposition a été conçue par Jean-Michel Wilmotte, membre de l’Académie des beaux-arts. Elle est à la fois épurée et efficace.
Le plus ancien dessin qui a été conservé est une scène de bataille avec des soldats après 1870 en Lorraine quand tous les petits garçons jouaient avec des soldats de plomb. Il figure en dessous de son autoportrait (Autoportrait à Sens, 1915, pour Simone 1961 Villa Seurat, graphite) où il apparaît émacié, et ne semble pas heureux. Il est touchant qu’il en ait fait don à Simone en 1961.
On verra sur le mur un peu plus loin un des rares dessins réalisés sur des hommes au repos quand ils étaient en guerre, au début du conflit puisqu'ils portent des pantalons garance. En face, on remarquera une femme enceinte en deuil pendant la guerre.
Les conflits furent une de ses sources d'inspiration. Ci-dessous, de gauche à droite : De gauche à droite, Vevey deux hommes (1934), Mortel sommeil (1934), Paysanne (1935).
La campagne est présente dans de multiples oeuvres. Un dessin en couleurs (encres et lavis sur papier, 1914 intitulé La colline) attire particulièrement le regard. Il a probablement été réalisé dans les environs de Marseille quand Lurçat avait déjà l’obsession de travailler sur de grandes surfaces.
C'est l'architecte Victor Prouvé qui le guida dans la campagne lorraine pour le faire travailler sur le motif. Ils sont restés dix mois ensemble. Après Nancy, Jean Lurçat vient à Paris et continue de se former hors des circuits officiels dans les académies privées comme l’Académie Colarossi, auprès du graveur Bernard Naudin. Il s’immerge dans la vie artistique et intellectuelle en même temps que dans le mouvement syndical. Il devient aussi un fidèle de l’Académie d’Isadora Duncan et croque des danseuses sur le vif.
Il réitère avec d'autres motifs, comme ces Couseuses, aquarelle sur papier signé J. Lurçat, 1920. Est-ce la même femme qui est répétée trois fois ? la ponctuation par les escarpins noirs évoque des chaussons de danse. On peut penser à Pierre Bonnard. Ci-dessous, un Portrait de jeune fille, lavis d'encre sur papier, 1918.
Jean Lurçat voyagera beaucoup. A Zurich il a fait l'imprudence de collaborer un journal fondée par Lénine. Il a effectué plusieurs séjours dans le bassin méditerranéen entre 1925 et 1927, qui lui ont sans doute inspiré une odalisque une odalisque.
Avec lui on passe du végétal à l’animal et à l’humain avec souplesse. Il a beaucoup représenté les animaux. Il y en a eu beaucoup dans les tapisseries. Pas de coq ici, il en a épuisé les variations.
Par contre vous verrez des insectes, une sauterelle étonnante, un cormoran, une chouette bleue (gouache sur papier signée Lurçat, 1947) avec des L dans ses pupilles, un peu comme la signature de ses tapisseries.
Et même des figures fantastiques comme une sirène, car l'artiste savait faire preuve d'un humour ravageur. Le dialogue est permanent entre le conscient et l’inconscient. Mais il faut savoir que Lurçat s’intéressait à des choix de société qui sont les nôtres aujourd’hui. On pourrait le qualifier de lanceur d’alerte à propos d’écologie, de la préservation de la nature, de l'usage de la bombe atomique. Il a produit une pièce, l’homme d’Hiroshima.
Lucane ou cerf-volant, gouache sur papier signée Lurçat, 1950
Le cormoran, gouache sur papier signée Lurçat, 1948
Le cormoran, gouache sur papier signée Lurçat, 1948
D'autres dessins ont retenu mon attention. Des guerriers antiques (Gladiateurs, gouache sur papier signée Lurçat, 1959 pour les deux premières, la troisième étant datée de 1949 et a été faite à Antibes), parfaitement violents, qu’il adorait faire avec des pinceaux chinois achetés en 1955 à Pékin quand il s’est échappé d’une visite officielle. Etant en poils de porc ils offraient plus de surprises qu’avec ceux en poils de martre. Il adorait le surgissement des surprises. On pense forcément à Pablo Picasso en les scrutant.
Et puis à Georges Braque aussi avec cette Composition à la guitare et au piano, gouache sur papier datée et signée Lurçat, 1922, et Composition cubiste, gouache sur papier datée et signée Lurçat, 1922.
Il était important de témoigner qu'une tapisserie commence par un dessin même s'il n'y a qu'un seul carton de tapisserie de présent, sur le dernier mur, au fond de la seconde salle (Esope, carton de tapisserie, gouache et crayon sur papier fort, 1947). Il s'agit là d'un carton numéroté. L'artiste utilise cependant la gouache pour souligner les nervures des feuilles et le visage hiératique du personnage surmonté de la chouette qui lui confère peut-être sa sagesse. Lurçat, chef de file du mouvement de la renaissance de la tapisserie en France à partir de la deuxième guerre mondiale, en a été le plus l'artiste le plus fécond. Il a atteint en ce domaine une renommée internationale avec à son actif environ un millier de cartons.
On verra aussi, tout à coté une huile sur toile de 1926 (Marin grec) qui se trouve dans la cage d’escalier. On est surpris par la grande douceur du regard et le chapeau à l'humour cocardien. A droite Lurçat dans son atelier en 1926, photographié par l'américaine Thérèse Bonney
Cette exposition a été rendue possible par l’important legs de Simone Lurçat qui comprend la maison de l’artiste construite par son frère André Lurçat, située Villa Seurat (XIV e arrondissement), avec tout son mobilier, les archives personnelles de Jean Lurçat, ainsi que de nombreuses œuvres de sa collection : peintures, tapisseries, livres illustrés, céramiques et œuvres graphiques. Restée intacte, telle qu'elle était en 1966 à la mort de Lurçat, elle a été classée, avec son décor intérieur, monument historique en 2018. Elle accueillera, selon le vœu de la donatrice, le public et les chercheurs à l’issue d’un important programme de restauration lancé au mois de juin dernier par l’Académie des beaux-arts. Il doit s'achever en 2023.
C'est dans la perspective d'une ouverture qu'on montre une photo du rez-de-chaussée de la maison-atelier. D'ici là les photos d’atelier donneront lieu à une publication avec signature dans la maison en septembre 2021. La maison est très colorée, dans des tons qu’on retrouve dans les peintures de Lurçat. Les deux frères ont dû travailler ensemble.
les lieux se visiteront dan l'intimité, pas plus de 15 personnes à la fois. Par chance la fondation a pu acheter, rue de la Tombe-Issoire, à une vingtaine de mètres, un bâtiment qui sera une sorte de librairie du XXe siècle.
Pour terminer je voudrais parler d'un projet de décoration murale, intitulé le Cycle d'Ocello nous délivre un conte tout en légèreté et en mélange poétique. Le titre est révélateur. lurent est marqué par ses séjours en Italie. Le héros, Ocello, au nom transparent, se plait dans la familiarité des oiseaux dans un quasi-paradis terrestre peuplé de jeunes filles. Dans la première, le héros, à la manière des primitifs est figuré à plusieurs reprises dans chaque composition. Lurçat, dans la jeunesse d'Ocello, se représente lui-même, plongé dans sa rêverie. Il s'invente une mythologie bien personnelle. Dans la scène finale, le héros achève de se métamorphoser … en avion. On remarquera l'intensité et la densité des compositions, étonnantes pour des oeuvres réalisées à l'aquarelle.
La naissance d'Ocello, La jeunesse, Les amours d'Ocelot, La transfiguration d'Ocelot, quatre gouaches signées Lurçat, 1919. Ocello signifie presque "oiseau". C’est l’histoire d’une jeune fille oiseau qui deviendra un aéronef. Les oiseaux et les cheveux des petites filles ont la même couleur sur la dernière. Les arbres semblent être en papier découpés, comme l'aurait fait Henri Matisse.
En créant des correspondances parfois inattendues au sein d’un parcours qui prend des libertés avec la chronologie, Jean-Michel Wilmotte a cherché à faire dialoguer les œuvres de Jean Lurçat entre elles et avec l’architecture de cette salle. Voilà une exposition à ne pas manquer. Vous avez tout l'été pour la découvrir.
Lurçat intime, Œuvres sur papier de la collection de la Fondation Jean et Simone Lurçat - Académie des beaux-arts
Du 24 juin au 15 août 2021
Pavillon Comtesse de Caen - Palais de l’Institut de France, 27 quai de Conti, Paris VIe
Exposition ouverte du mardi au dimanche de 11h à 18h - Entrée libre et gratuite
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