J'ai découvert Exit en avant-première presse aujourd'hui au Théâtre de la Huchette et j'ai été conquise. J'ose dire que c'est un coup de coeur.
Il est dans l'air du temps, quelques années après le vote qui a initié le Brexit. Il traite subtilement de l'ostracisme. Il est d'une très grande qualité musicale. Les voix des trois comédiens sont d'une justesse irréprochable (et quel bonheur de les entendre sans micro HF). Il ose commencer par la dérision, dans un humour très bristish et petit à petit prend de la profondeur. Il est drôle, souvent très, parfois à peine, régulièrement savoureusement subversif. Il fourmille de références culturelles, musicales, historiques, contemporaines (les cuisiniers des shows télévisés en prennent pour leur grade).
Faut-il que j'ajoute des arguments ? C'est un spectacle qui est beaucoup plus profond qu'il en a l'air … et la chanson ! Et après cette longue période sans théâtre, c'est le type de soirée qui fait vraiment du bien et qui peut rassembler tous les publics.
On nous annonce une comédie (musicale) romantique et c'est bien cela. Il est justifié de mentionner le caractère musical entre parenthèses parce que le spectacle n'est pas que cela. J'ai même été surprise par l'arrivée de la première chanson. Trop souvent les interprètes des comédies musicales sont d'excellents chanteurs mais de piètres acteurs. Ici pas du tout. Harold Savary, Marina Pangos et Simon Heulle ont les trois talents fondamentaux : chanter, jouer et danser.
La parenthèse ne signifie pas que l'aspect musical ait été sacrifié, loin de là. Les inspirations médiévales rencontrent les codes musicaux et sonores du jeu vidéo. Exit évoque l’orient avec "Aliénor aux croisades", Versailles avec "Marie-Antoinette et les moutons Danton", la musique des troubadours dans "Trouba-dance", lequel s'inscrit parfaitement dans des tonalités contemporaines de slam. On se régale.
Le décor est intelligemment conçu par Sandrine Lamblin pour occuper la minuscule scène de la Huchette sans qu'on ait de sentiment d'étouffement. Une astuce permet de projeter autant que nécessaire des captures d'écran pour que le public ne perde rien des jeux video dont la création s'effectue en live pendant la représentation. Les animations de Stéphane Gérard sont plutôt réussies, même si elles ne sont pas ma tasse de thé.
Les costumes de Julia Allègre sont efficaces. Les chorégraphies de Mariejo Buffon sont pertinentes et totalement appropriées, jamais superflues.
On boit plus de champagne que de thé mais on mange des huîtres. D'ailleurs nos voisins britanniques adorent les déguster chaudes, souvent enrobées de bacon. Je les rejoins puisqu'il y a quelque jours j'avais publié sur le blog une recette d'huitres au barbecue (et je vous jure que je ne savais rien du scénario du spectacle).
Les auteurs situent l'intrigue en pleine campagne du Brexit, en 2016, pour le référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Europe. C'est une toile de fond métaphorique, prétexte à faire osciller la vie affective des trois personnages. Les anglais hésitent. Le cœur d’une jeune scénariste de jeux vidéo balance lui aussi, mais entre un Français et un Anglais, tandis que son destin emprunte un chemin similaire à celui de son héroïne, Alienor d’Aquitaine. C'est une excellente idée de combiner tous ces ingrédients en rappelant un épisode peu connu de l'histoire commune de la France et de l'Angleterre qui ont bien failli être dirigés par la même maison royale.
La salle du théâtre devient une annexe d'un Eurostar, où nous accueille un chef de cabine qui rappelle les gestes barrières …Il a juste oublié de préciser que la sortie ne se fait pas sur la scène comme le rideau pourrait le faire croire (private joke que vous apprécierez après avoir vu la pièce). Nous voici embarqués au coeur de multiples confrontations des mondes (réel et virtuel), mais aussi des époques, au fil de pérégrinations musicales révélatrices de choix impossibles, et offrant de plus une issue inattendue… loin des classiques happy ends, ce qui est plutôt malin.
Comme Franck Desmedt, le directeur de la Huchette, a eu raison de miser sur une programmation qui fait une belle place au théâtre musical. Les derniers trophées de la comédie musicale ont été remis en juin 2019 et je ne sais pas s'il y aura bientôt de nouveaux, mais je parierais sur plusieurs statuettes pour Exit. Stéphane Laporte et Gaétan Borg avait reçu le Trophée du livret de Comédie Musicale pour la Cigale sans la fourmi où Marina Pangos et Simon Heulle étaient déjà distribués. Je les avaient vus au festival d'Avignon 2019.
La Huchette en avait gagné l'année précédente quelques-unes avec Comédiens !
Les touristes anglais ne viendront pas cet été, la faute au Covid plus encore qu'au Brexit. Dommage, car il aurait été intéressant de scruter leurs réactions face à l'exposition des rapports franco-anglais, houleux depuis si longtemps.
Exit, écrit par Stéphane Laporte et Gaétan Borg, composé par Didier Bailly
Mis en scène par Patrick Alluin assisté de Gaétan Borg
Avec Harold Savary, Marina Pangos et Simon Heulle
Arrangements musicaux : Jérémy Branger, Marie-Anne Favreau, Paul Cépède
A partir du 5 juin au Théâtre de la Huchette (23 Rue de la Huchette, 75005 Paris)
du mercredi au vendredi à 21h10, samedi et dimanche à 15h00 (durée : 1h35 )
réservations : theatre-huchette.com ou 01 43 26 38 99
La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de Fabienne Rappeneau
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