Après George Sand, ma vie, son œuvre (2013/2016) qui avait marqué le début de sa collaboration avec Alex Lutz, Caroline Loeb s'est attachée à une autre grande icône de la littérature française, Françoise Sagan, une nouvelle fois accompagnée et mise en scène par Alex Lutz.
Créé avec succès dans le Off du Festival d'Avignon en juillet 2016 Françoise par Sagan a ensuite été joué au Théâtre du Marais d'octobre à mars 2017. Après une nouvelle série de représentations en Avignon en juillet dernier, la comédienne s'est posée avec bonheur au Théâtre du Petit Montparnasse. Mais c'est dans la très belle salle de l'Allegria du Plessis-Robinson (92) que je l'ai applaudie.
Caroline Loeb arrive sur scène, cigarette à la main, bien sûr. Le public est prévenu : je portais ma légende comme une voilette. Elle nous dit qu'elle aimait la vitesse, minuit, tout ce qui est éclatant, la couleur noire.
Elle se confie sans craindre une certaine forme de naïveté : Lorsque je revois un film sur Jeanne d'Arc, chaque fois je me dis - c'est idiot - elle va s'en tirer, ce n'est pas possible ! Elle veut croire qu'entre Roméo et Juliette il n'y aura pas cette mortelle incompréhension. L'imagination est le point de départ de la compréhension. C'est une grande vertu.
Elle raconte, et c'est très savoureux, comment elle s'est affranchie de la contrainte scolaire, pour finalement se retrouver au couvent des oiseaux, mais sans qu'elle en soit semble-t-il perturbée. La petite fille (elle n'a alors qu'une douzaine d'année) quitte une enfance heureuse, très gâtée, mais solitaire parmi des adultes. Elle découvre les fêtards alors qu'elle se rend sagement à sa nouvelle école vers 8 heures du matin. On sent que c'est là qu'elle a sans doute commencé à rêver d'une autre vie.
Et cette vie, elle va se l'offrir elle-même. Passionnée de lecture, elle finit par écrire, un manuscrit qu'elle laisse dormir dans un tiroir puis décide de l'envoyer chez Juillard et Plon. Le premier l'accepte et la convoque par télégramme. La voici auteure, non pas qu'elle en soit très fière mais au moins aura-t-elle pu prouver à sa famille qu'elle était capable de faire quelque chose. Même si la réaction de sa mère n'est pas à la hauteur de l'affaire. Tu ferais mieux d'être à l'heure pour le dîner et d'aller te peigner, lui dit-elle et son père a éclaté de rire.
Caroline est debout, assise sur un pouf dans un décor 1930, accoudée à un comptoir qui la fait ressembler à une enfant, parfois au sommet, couchée, pieds nus ... On retrouve les poses, la manière de poser le coude, de froisser son paquet de cigarettes que l'on avait remarqué chez Françoise Sagan. le mimétisme est frappant sans qu'on ait cherché à copier à l'identique. La photo de l'affiche est de Richard Schroeder. C'est un remake de l'une de celles qu'il avait faites avec l'écrivaine il y a trente ans.
Quand elle nous dit qu'il lui arrive de trouver que la vie est une horrible plaisanterie, on la comprend et on compatit. Son accident de voiture fut une réelle catastrophe. On lui donna l'extrême onction, la croyant mourante. C'est à ce moment là qu'elle a été intoxiquée par les analgésiques. La musique alors tourne en boucle, témoignant de l'enfer. Mais le naturel de Françoise reprend le dessus : un drame amusant, c'est ça la vie non ?
Cette femme de paradoxes l'affirme en souriant : Seuls les excès me reposent, intellectuels et physiques; je suis attirée par tout ce qui n'est pas rassurant.
Elle avoue avoir trop dépensé d'argent, mais parce qu'elle en gagnait peut-être trop. Je n'ai aucun respect pour l'argent. Elle se déchaine (au sens propre puisqu'elle jette son collier) : j'ai claqué des centaines de millions ... anciens.
Françoise détestait tout ce qui appartient à la vie quotidienne (et sans doute domestique)
Il n'empêche que cette femme si talentueuse a beau s'affirmer elle doute tout le temps d'elle. Là encore elle en plaisante : Le doute, c'est ma santé... Elle fait preuve d'humilité en ne prétendant pas avoir été un grand auteur (comme Stendhal ou Proust) mais son amour de la lecture est immense et elle voue une forme d'affection aux mots en nous donnant des exemples incongrus comme balcon, persiennes. Ecrire c'est marcher dans un pays ravissant ou humiliant.
On a le sentiment, tout au long du spectacle, que Françoise répond à une interview, et parfois qu'elle se parle à elle-même. Et pour cause puisque rien n'a été inventé. Il n'y a pas une virgule qui ne soit de Sagan. Caroline l'interprète avec naturel, restituant cette personnalité hors du commun avec ce qu'il faut de nonchalance et d'ironie désabusée, sans occulter l'immense tendresse de Françoise pour l'être humain.
Ceux qui on connu Françoise, au naturel ou par média interposé retrouveront la silhouette, le mouvement de main remontant la mèche blonde, derrière laquelle elle se cachait, les épaules rentrées, et surtout l'attitude à la fois timide et frondeuse. Caroline Loeb n'a pas cherché à imiter sa voix. Fort heureusement car l'écrivaine était parfois à la limite de la compréhension. C'est le rythme surtout qui est restitué. Les clair-obscurs font le reste.
On retient que sa vie aura été difficile mais les derniers mots apportent de la douceur : malgré l'amour et la maladie j'ai été heureuse.
Au salut Caroline retire la perruque comme autrefois Françoise retirait quelques instants le masque de sa légende. J'ai eu le bonheur de vivre un de ces moments que j'avais raconté au moment de la sortie du film Sagan, il y a dix ans déjà.
Françoise par Sagan
Avec Caroline Loeb
D'après : "Je ne renie rien" de Françoise Sagan
Adaptation : Caroline Loeb
Mise en scène : Alex Lutz avec la collaboration de Sophie Barjac
Lumière : Anne Coudret
Décor: Valérie Grall
Costume: Irié
Musique et création sonore: Agnès Olier
Assistante: Noisette
En tournée le 19 janvier 2018 à Avranches, le 23 à Béziers, le 27 à Mauguio, le 29 à Paris, les 1er et 2 Février à Nevers, le 5 à Paris, le 9 à Luçon, le 19 à Paris, le 21 à La Ciotat, le 22 à Grenoble, le 26 à Paris, le 2 Mars à Royan, le 5 à Paris, le 8 à Montauban, le 9 à Lattes (34), le 11 à Villeneuve sur Lot, le 12 à Paris, le 13 à Biganos (33), le 14 à Eysines 33), le 15 à Cenon 33, le 17 à Bonnée 45), le 19 à Paris, le 21 à Saint- Étienne, le 26 à Paris, le 27 à Yzeure 03), le 18 avril à Bruxelles, le 3 mai à Courbevoie, à la Luna (à 14 h 50) en Juillet pour un nouveau Festival d'Avignon et le 4 août à Limoux.
Reprise aussi jusqu'au 12 janvier 2019 à 19 heures au Lucernaire du mardi au samedi à 19 heures
La photo (couleur) qui n'est pas logotypée A bride abattue est de Lionel Blancafort
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