Et soudain la liberté retrace l’histoire d’Evelyne Pisier et de sa mère, deux femmes puissantes en quête de liberté. Une histoire romancée comme l'avait initialement voulu Evelyne et comme a dû le faire Caroline Laurent en raison du décès prématuré d'Evelyne.
Les premières pages sont très émouvantes, relatant la première rencontre entre elles, en quelque sorte l’accouchement du projet du livre dont Caroline Laurent a rendu compte de la genèse il y a quelques jours à Antony (92), auprès des lecteurs de la médiathèque. Je vous invite à lire le billet consacré à ce moment et qui éclaire le roman.
Caroline Laurent est née en 1988. Agrégée de lettres modernes, elle est directrice littéraire aux Escales. Sa rencontre avec Evelyne a signé une amitié. Elle co-signe ici son premier roman.
Evelyne Pisier est née en 1941 en Indochine. Sœur de l’actrice Marie-France Pisier, sa vie résume tous les grands combats de la seconde moitié du XXe siècle : le féminisme, la décolonisation, la révolution cubaine, la lutte contre le racisme, la défense des homosexuels, la critique du totalitarisme… Elle a été l’une des premières femmes agrégées de droit public en France, discipline qu’elle enseigna à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Directrice du Livre et de la Lecture de 1989 à 1993, au ministère de la Culture dirigé par Jack Lang, elle fut également écrivain et scénariste. Elle est décédée en février 2017.
Et soudain la liberté constitue, de manière volontairement romancée, l'incroyable traversée du XX° siècle, de deux femmes, Evelyne et sa mère, au travers de deux personnages dont les prénoms ont été modifiés.
Le lecteur est également impressionné par l'écriture de Caroline qui, à l'âge de dix ans voulait déjà devenir écrivain mais qui n'a pas osé avant qu'Evelyne ne la pousse à le faire. Son trajet de vie aura transité par le métier d'éditrice.
Elle fait dialoguer d'un chapitre à l'autre l'écriture romancée et ses propres confidences, faisant allusion par exemple (p. 73) à un très joli livre intitulé Comment construire une cathédrale, où Mark Greene distingue "les écrivains des plans et les écrivains des phrases". (…) La grande histoire de Mona et de Lucie relève du plan. Elle est construite, progresse, se nourrit d’actions. Le second récit appartient à la famille des phrases. Il tâtonne, cherche à faire éclater une autre vérité, celle peut-être d’Evelyne Pisier et, en creux, de notre amitié.
Elle révèle une Evelyne féministe convaincue et convaincante, élevé par une mère qui l'était avant elle. Qui a eu l'idée du personnage de la bibliothécaire (p. 164) qui donne à lire Le deuxième sexe à Mona ? On apprend beaucoup plus loin (p. 229) que le personnage a été inventé, mais peut-être pas la révolution que représenta cette lecture, ... si elle a bien eu lieu.
Finis les uniformes, et merci enfin pour le droit au pantalon ! écrit Evelyne dans son premier jet (p.177). Nous sommes en 1956 et depuis la loi de 1800 interdisant le "travestissement des femmes", porter un pantalon était un délit, à moins d’avoir obtenu l’autorisation par la préfecture de police. Cette loi n’a été abrogée qu’en 2013.
Mona passe le permis de conduire (p. 208) et son père lui offre une voiture. A partir de maintenant, écrit Caroline, elle tracerait son chemin comme elle l’entendrait. Plus tard (p. 303) elle apprendra à taper à la machine, pour conquérir son autonomie financière.
Retracer la vie familiale fut difficile. Evelyne résumait la relation de ses parents d'une formule (p. 133) : "Trop d’ambiguïté". Il n'empêche que la vie fut compliquée pour la petite Lucie à qui l'enseignante (p. 241) fait honte parce que sa mère demande le divorce, et qu'elle est donc forcément méchante.
Ce qui m'a choquée c'est d’apprendre que Lucie estimant que le tabac serait bon pour la mémoire et l’intelligence elle a poussé sa fille à fumer sa première cigarette (p. 288) alors qu'elle n’a même pas 14 ans. Elle ne la met pas en garde contre une grossesse non désirée alors qu'elle a subi elle-même l'avortement. La plainte (p. 294) oh maman ces longues aiguilles est douloureuse à lire.
J'ai tout de même été gênée par les changements de prénom qui ne m'ont pas semblé si utile que ça. Mais je comprends que Caroline soit restée fidèle à sa promesse.
Je n'en donnerai qu'un exemple (p.124) : Sa grand-mère ne s’appelait pas Guillemette mais Adèle, un prénom qu’elle détestait. Elle s’était rebaptisée Guillemette elle-même, par coquetterie, et tout le monde avait joué le jeu. Mona ne voulait pas que sa fille le découvre sur une tombe. Evelyne était sidérée. Lucie, Evelyne, Mona, Guillemette, Adèle … je suis perdue. Il me faudrait un arbre généalogique.
Il reste un livre remarquable de sensibilité. Et Caroline Laurent cerne bien la personnalité d'Evelyne alors qu'elle même se sent très différente (p. 323) : j’appartiens à une génération désengagée. Je n’ai jamais été encartée. N’ai jamais milité. Elle nous confie (p. 265) que la nuit son menu fut Redbull-camembert; café serré plus café allongé; brocolis.
On comprend la difficulté de conclure parce que ce sera suspendre le dialogue. L’arrêter peut-être. Aucune ne le veux et pourtant il le faudra après que chacune aura dit merci à l'autre. Et caroline invoque Flaubert (p. 441) : l’ineptie consiste à vouloir conclure. Nous sommes un fil et nous voulons savoir la trame.
Avant de refermer le roman mes yeux s'attardent sur les dernières lignes et je me demande si Caroline Laurent s'est rendue compte de la portée symbolique de ces derniers mots ? Les feuilles d’un vert argenté font une musique au vent, symphonie silencieuse et solitaire. Elle approche. Des arbres qui peuvent vivre mille ans, dit-on. Elle pose sa main sur l’olivier. Demeure immobile. Il n’y a rien d’autre que li et elle dans le matin méditerranéen. Son écorce. Sa peau. Elle reste ainsi quelques instants puis reprend sa arche, sereine, toujours droit devant elle.
Je ne peux m'empêcher de les relier à cette phrase figurant bien plus tôt dans le livre (p. 72) les souvenirs sont des fantômes, ils traversent nos peaux et nos rêves.
Et je vois le fantôme d'Olivier (Duhamel) apparaitre en filigrane.
Et soudain la liberté de Caroline Laurent et Evelyne Pisier, les Escales, en librairie depuis le 31 août 2017 - Prix Marguerite Duras 2017, Prix Première plume 2017
Caroline Laurent est née en 1988. Agrégée de lettres modernes, elle est directrice littéraire aux Escales. Sa rencontre avec Evelyne a signé une amitié. Elle co-signe ici son premier roman.
Evelyne Pisier est née en 1941 en Indochine. Sœur de l’actrice Marie-France Pisier, sa vie résume tous les grands combats de la seconde moitié du XXe siècle : le féminisme, la décolonisation, la révolution cubaine, la lutte contre le racisme, la défense des homosexuels, la critique du totalitarisme… Elle a été l’une des premières femmes agrégées de droit public en France, discipline qu’elle enseigna à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Directrice du Livre et de la Lecture de 1989 à 1993, au ministère de la Culture dirigé par Jack Lang, elle fut également écrivain et scénariste. Elle est décédée en février 2017.
Et soudain la liberté constitue, de manière volontairement romancée, l'incroyable traversée du XX° siècle, de deux femmes, Evelyne et sa mère, au travers de deux personnages dont les prénoms ont été modifiés.
Mona Desforêt a pour elle la grâce et la jeunesse des fées. En Indochine, elle attire tous les regards. Mais entre les camps japonais, les infamies, la montée du Viet Minh, le pays brûle. Avec sa fille Lucie et son haut-fonctionnaire de mari, un maurrassien marqué par son engagement pétainiste, elle fuit en Nouvelle-Calédonie.Lucie est Evelyne, vous l'aurez deviné. Le lecteur est vite bouleversé par le destin incroyable de cette petite fille qui, enfant, connait l'enfermement et doit se satisfaire de quelques brins d’herbe pour tromper la faim.
À Nouméa, les journées sont rythmées par la monotonie, le racisme ordinaire et les baignades dans le lagon. Lucie grandit ; Mona bovaryse. Jusqu'au jour où elle lit Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir. C'est la naissance d'une conscience, le début de la liberté.
De retour en France, divorcée et indépendante, Mona entraîne sa fille dans ses combats féministes : droit à l'avortement et à la libération sexuelle, égalité entre les hommes et les femmes. À cela s'ajoute la lutte pour la libération nationale des peuples. Dès lors, Lucie n'a qu'un rêve : partir à Cuba. Elle ne sait pas encore qu'elle y fera la rencontre d'un certain Fidel Castro...
Le lecteur est également impressionné par l'écriture de Caroline qui, à l'âge de dix ans voulait déjà devenir écrivain mais qui n'a pas osé avant qu'Evelyne ne la pousse à le faire. Son trajet de vie aura transité par le métier d'éditrice.
Elle fait dialoguer d'un chapitre à l'autre l'écriture romancée et ses propres confidences, faisant allusion par exemple (p. 73) à un très joli livre intitulé Comment construire une cathédrale, où Mark Greene distingue "les écrivains des plans et les écrivains des phrases". (…) La grande histoire de Mona et de Lucie relève du plan. Elle est construite, progresse, se nourrit d’actions. Le second récit appartient à la famille des phrases. Il tâtonne, cherche à faire éclater une autre vérité, celle peut-être d’Evelyne Pisier et, en creux, de notre amitié.
Elle révèle une Evelyne féministe convaincue et convaincante, élevé par une mère qui l'était avant elle. Qui a eu l'idée du personnage de la bibliothécaire (p. 164) qui donne à lire Le deuxième sexe à Mona ? On apprend beaucoup plus loin (p. 229) que le personnage a été inventé, mais peut-être pas la révolution que représenta cette lecture, ... si elle a bien eu lieu.
Finis les uniformes, et merci enfin pour le droit au pantalon ! écrit Evelyne dans son premier jet (p.177). Nous sommes en 1956 et depuis la loi de 1800 interdisant le "travestissement des femmes", porter un pantalon était un délit, à moins d’avoir obtenu l’autorisation par la préfecture de police. Cette loi n’a été abrogée qu’en 2013.
Mona passe le permis de conduire (p. 208) et son père lui offre une voiture. A partir de maintenant, écrit Caroline, elle tracerait son chemin comme elle l’entendrait. Plus tard (p. 303) elle apprendra à taper à la machine, pour conquérir son autonomie financière.
Retracer la vie familiale fut difficile. Evelyne résumait la relation de ses parents d'une formule (p. 133) : "Trop d’ambiguïté". Il n'empêche que la vie fut compliquée pour la petite Lucie à qui l'enseignante (p. 241) fait honte parce que sa mère demande le divorce, et qu'elle est donc forcément méchante.
Ce qui m'a choquée c'est d’apprendre que Lucie estimant que le tabac serait bon pour la mémoire et l’intelligence elle a poussé sa fille à fumer sa première cigarette (p. 288) alors qu'elle n’a même pas 14 ans. Elle ne la met pas en garde contre une grossesse non désirée alors qu'elle a subi elle-même l'avortement. La plainte (p. 294) oh maman ces longues aiguilles est douloureuse à lire.
Je n'en donnerai qu'un exemple (p.124) : Sa grand-mère ne s’appelait pas Guillemette mais Adèle, un prénom qu’elle détestait. Elle s’était rebaptisée Guillemette elle-même, par coquetterie, et tout le monde avait joué le jeu. Mona ne voulait pas que sa fille le découvre sur une tombe. Evelyne était sidérée. Lucie, Evelyne, Mona, Guillemette, Adèle … je suis perdue. Il me faudrait un arbre généalogique.
Il reste un livre remarquable de sensibilité. Et Caroline Laurent cerne bien la personnalité d'Evelyne alors qu'elle même se sent très différente (p. 323) : j’appartiens à une génération désengagée. Je n’ai jamais été encartée. N’ai jamais milité. Elle nous confie (p. 265) que la nuit son menu fut Redbull-camembert; café serré plus café allongé; brocolis.
On comprend la difficulté de conclure parce que ce sera suspendre le dialogue. L’arrêter peut-être. Aucune ne le veux et pourtant il le faudra après que chacune aura dit merci à l'autre. Et caroline invoque Flaubert (p. 441) : l’ineptie consiste à vouloir conclure. Nous sommes un fil et nous voulons savoir la trame.
Avant de refermer le roman mes yeux s'attardent sur les dernières lignes et je me demande si Caroline Laurent s'est rendue compte de la portée symbolique de ces derniers mots ? Les feuilles d’un vert argenté font une musique au vent, symphonie silencieuse et solitaire. Elle approche. Des arbres qui peuvent vivre mille ans, dit-on. Elle pose sa main sur l’olivier. Demeure immobile. Il n’y a rien d’autre que li et elle dans le matin méditerranéen. Son écorce. Sa peau. Elle reste ainsi quelques instants puis reprend sa arche, sereine, toujours droit devant elle.
Je ne peux m'empêcher de les relier à cette phrase figurant bien plus tôt dans le livre (p. 72) les souvenirs sont des fantômes, ils traversent nos peaux et nos rêves.
Et je vois le fantôme d'Olivier (Duhamel) apparaitre en filigrane.
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