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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

vendredi 12 janvier 2018

Vies de papier de Benoit Faivre et Tommy Laszlo


Le Mouffetard est le Théâtre des arts de la marionnette, qu'on appelle aussi théâtre d'objets, de manière plus globale. Il est installé dans un quartier très animé et joyeux, au fond d’une cour moyenâgeuse où le spectateur découvre un univers quasi futuriste dominé par la couleur jaune.

La programmation y est étonnante et éclectique. J'y ai vu Vies de papier, un spectacle aussi original que cohérent, imaginé par Benoit Faivre et Tommy Laszlo qui en sont aussi les interprètes. Et qui va tourner dans beaucoup d'autres lieux.

Le dispositif scénique occupe l'entièreté du vaste plateau du théâtre. C'est Tommy qui raconte la genèse de la création. En septembre 2015, en fouillant dans les cartons d’une brocante à Bruxelles, Tommy Laslo est attiré par un livre rouge à la couverture très veloutée. C'est un album photo exceptionnel, par son état de conservation, par la qualité et la singularité du travail de mise en forme. Les photos sont nombreuses, d’origines et de tailles différentes. La lumière est toujours soignée. Les clichés sont organisés, parfois découpés, ornés d’éléments extérieurs, de dessins, de peintures... candides et colorées mais donnant l’impression de rencontrer le travail d’un plasticien... C’est aussi un album entièrement consacré à une femme, Christa, née en 1933 en Allemagne, de son enfance jusqu’à son mariage en Belgique, comme un hommage.
Son oeil est attiré sur une photo de famille à la plage, page 6. Un drapeau flotte derrière le groupe, portant une croix gammée ... Et c’est tout à coup la grande Histoire qui se superpose comme si souvent avec la vie dite ordinaire. La proximité entre le travail habituel des deux artistes et cet album est surprenante. C’est une nouvelle lecture de l’album qui alors s’offre à eux, avec son lot de nouvelles surprises, de nouvelles questions. En quoi le destin de cette immigrée leur rappelle-t-il la trajectoire de leur grand-mère à chacun ? C’est le début d’une vaste enquête à travers toute l’Europe.

Le spectacle est à la fois l’œuvre et la genèse de la conception artistique. Tout est imbriqué. Il en ressort quelque chose de naturel qui semble spontané alors qu’il n’y a plus de place pour le hasard ... quoique.... une panne d’ordinateur en direct (et "forcément" très bien gérée) démontre le contraire. Tout est cadré, et pourtant tout est authentique. C’est une des forces de ce spectacle dont nous aurons par chance la possibilité de discuter ensuite avec les artistes.

Les photos sont des objets particuliers dit Thomas et je pense au livre et CD d’Isabelle MonninLes gens dans l'enveloppe.

Pendant que Tommy raconte, Benoit écrit sur des post-it qu'il positionne sous un rétroprojecteur afin que les spectateurs puissent les lire. Ce sont des horaires, des noms de lieux, des bouts de phrase ...  Je relève vendre ses souvenirs, fouiller dans la vie des autres. Et je songe à Lorraine Fouchet qui a écrit J'ai rendez-vous avec toi après avoir déniché pour un euro sur les trottoirs d'une brocante du village des Yvelines où elle habitait le premier tome des mémoires de son père, reconnaissable entre mille à sa photo et à sa couverture bleue.

Je me dis que c'est un peu fou de trouver par hasard son propre passé exposé au grand jour. Car c'est en fait ce que vont découvrir Benoist et Tommy. J'ai été chanceuse que la personne qui a vidé la maison de mes parents me mette de coté toutes les photos de famille, mais que deviendront-elles après moi ?

Un film est projeté aussi sur l'écran qui constitue le fonds du décor, comme un album ouvert, posé debout. Il témoigne du passé alors qu’il se passe quelque chose avec le public sur la scène, faisant ainsi monter l'émotion. On remonte avec eux le cours de l'histoire, la grande comme la petite, celle de  Christa comme la leur, et puis la nôtre un peu si on est allé dans ces villes qu'ils traversent.

On les voit comme ils sont dans la vie. Ils disent avec modestie parler mal l’allemand par rapport à Pauline Jardel qui les a accompagnés dans l'aventure et qui est responsable des prises de vue.

On rit aussi parce que certaines scènes d'enquête rendent compte de l'aspect surréaliste de la recherche de la vérité. Ils ont beaucoup fonctionné à l’intuition, acceptant qu'elle soit fausse. Les recherches frôlaient la fiction à certains moments. Par exemple quand le père de Tommy, professeur d’histoire à la retraite commente les faits. Quelle bonne idée d'avoir songé à déclencher le dictaphone. 

Benoit estime que si cet album les a autant intéressés c'est parce que les histoires se répondent (je dirais qu'elles s’interpellent). Il dit s'être trouvé dans la position de Tintin assistant impuissant dans le grenier à la découverte de son ami le capitaine Haddock de la trace de son ancêtre, le chevalier de Haddoque.

Les deux artistes restituent les étapes de cette investigation au long cours et jouent leur propre rôle. On entre dans leur univers au travers de documents collectés, choisis, triés, manipulés, assemblés, transformés. On partage leur poésie, leur histoire, les liens qu’ils font, leur façon de voir.

Un des aspects qu'il faut souligner est que ce simple objet domestique, fait par une femme inconnue,  nous en dit plus que les films historiques, conçus par des hommes, parce qu'ils étaient en réalité des objet de propagande. Cette femme, qui n’a a pas eu d’enfant, a fait un album avec la pleine conscience qu'elle ne pouvait pas le destiner à une descendance. Et pourtant cette oeuvre, qui aurait pu disparaitre, remplit la fonction habituellement dévolue aux albums.

Il faut saluer aussi leur détermination parce que si le résultat est très cohérent et semble couler de source il y a eu tout de même plus de cinquante heures de rush, ce qui représente un phénoménal travail de montage.
En créant Vies de papier, Benoit Faivre et Tommy Laszlo nous font voyager plus que jamais dans le temps et la mémoire, réelle ou racontée. L'album n'est pas feuilleté pendant le spectacle. Il est reproduit au sol en doublant l’échelle. Vis à vis de ces deux artistes, l'objet a terminé sa mission. Ils envisagent de l’apporter aux archives de Francfort pour qu’il puisse y être conservé dans les conditions optimales de température et d’hygrométrie. On imagine la surprise de la conservatrice auprès de laquelle ils ont tourné en caméra cachée ! Surprise heureuse au demeurant étant donné l'issue de la recherche.
Parallèlement, le public a librement accès à une exposition intitulée "Mondes de papier", témoignant combien et comment la compagnie La Bande Passante utilise le matériau papier comme une véritable source d’inspiration. Sont présentés les découpages et les collages qui ont alimenté les recherches et nourri leurs créations.

Ce fut lors de la création de Cockpit Cuisine, alors que la compagnie était hébergée par les compagnons de la communauté Emmaüs que les artistes ont constaté qu’outre les meubles, les frigos et les télévisions, de nombreux livres étaient détruits. Assistant médusés à la disparition de centaines d’encyclopédies, de manuels, de romans, de livres d’art, de plans, de cartes postales, de magazines, de journaux, d’albums photos, de cahiers d’écoliers, ils ont commencé à "sauver" certains de ces ouvrages.

L’acte créatif s'est enclenché lorsqu’ils commencèrent à découper dans cette matière et à réunir des images et des textes d’origines différentes. Ce recyclage d’images, de textures, de textes mais aussi d’idées issues du passé offrait des possibilités infinies d’invoquer et de faire s’entrechoquer les temps, les espaces, les savoirs, les rêves et les histoires. Ils n'ont jamais cessé depuis.
Le Mouffetard est une institution unique en France qui a pour mission d’accompagner et promouvoir les formes contemporaines des arts de la marionnette dans leur plus grande diversité, en s’adressant autant à un public adulte qu’à un public enfant. Au croisement des genres, le nouveau théâtre de marionnettes associe bien souvent le théâtre, l’écriture, la danse, les arts plastiques et les recherches technologiques dans le domaine de l’image et du son.

C'est aussi un endroit ressources à connaître pour qui s’intéresse ou a envie de découvrir cet univers qu’on désigne désormais sous l’appellation de théâtre d’objets. Il est ouvert du mercredi au samedi de 14 h 30 à 19 h (accès libre ou sur rendez-vous). On y trouve des livres et des centaines de DVD de spectacles, parmi lesquels je remarque la si belle création de Philippe Genty, Voyageurs immobiles.
C'est enfin un bar dont les tarifs sont tout à fait abordables.

Vies de papier
Direction artistique et interprétation : Benoit Faivre, Tommy Laszlo
Écriture et réalisation : Benoit Faivre, Kathleen Fortin, Pauline Jardel et Tommy Laszlo
Regard extérieur : Kathleen Fortin
Création de La Bande Passante
Du jeudi 11 au samedi 27 janvier 2018
Du mardi au samedi à 20 h dimanche à 17 h
Au Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette
73 rue Mouffetard - 75005 Paris - 01 84 79 44 44
Puis en tournée du 6 ou 7 février - L’Arc, Scène Nationale du Creusot, le 13 février - Théâtre de la Madeleine, Troyes, du 19 au 23 mars - CCAM, Scène Nationale de Vandoeuvre-les-Nancy, le 5 avril - L’Illiade Illkirch-Graffenstaden, le 7 avril - La Broque / Schirmeck, le 10 avril - Festival Facto / La Méridienne, Scène conventionnée de Lunéville, le 17 avril - Muntzenheim / Espace Ried Brun, les 22-23 mai - Festival Perspectives, Sarrebrück (Allemagne), en Juillet - Festival Récidives, Dives-sur-Mer, du 20 au 23 septembre - J-365 Charleville, en Octobre - Figurentheater à München (Allemagne), en Novembre - Festival UNIDRAM à Potsdam (Allemagne), en Novembre - Festival de la Schaubude de Berlin (Allemagne). Au théâtre Firmin Gémier La Piscine au printemps 2019.
Du 5 au 26 Juillet 2019 à 15H10 pour le Festival d'Avignon au Gilgamesh Belleville, 11 boulevard Raspail (près du cloître St Louis), 84 000 Avignon -04 90 89 82 63- Relâches les 10, 17 et 24 juillet

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