Patrice Trigano est galeriste et à ce titre passionné d’art. Il est également écrivain, passionné par l’écriture. Les deux conjugués l'ont amené à se lancer dans la biographie d’un artiste dont il connait parfaitement la vie et dont j'ignorais tout.
Il s'agit de René Crevel (1900-1935) dont, à l'instar de Picasso qui ne cherchait pas à produire un portrait ressemblant de la femme qu’il aimait, Patrick Trigano n’a pas tenu à retracer les événements avec une exactitude absolue.
Il prévient d’avance le lecteur qui ne saurait rien donc lui reprocher : j'ai sacrifié l'exactitude sur l'autel de la vérité. La réalité voudra bien me le pardonner.
La confidence est à apprécier à la lumière de la citation du poète figurant page suivante : La mosaïque des simulacres ne tient pas.
De fait Patrice Trigano a composé une très riche biographie, admirablement documentée, qui se lit comme un roman historique sur l'histoire du mouvement surréaliste et ses implications politiques, philosophiques et même psychologiques. J'ignore quelle est la part de liberté dans l'écriture mais c'est peu dire que cette lecture est passionnante, et particulièrement à l’occasion du centenaire du surréalisme. On est au coeur du mouvement dont on redécouvre les principales facettes. A commencer par l'origine de son nom, Dada (p. 38). Le roman mérite d'être lu, relu, médité aussi.
La promesse des éditions Maurice Nadeau, est amplement tenue de faire revivre les moments d'exaltation, les sentiments de craintes, d'angoisses, les douleurs morales et physiques de René Crevel. De dresser une peinture des milieux intellectuels des années vingt et trente, alors que le fascisme était en embuscade, à travers des portraits saisissants des amis du poète : André Gide, Nancy Cunard, André Breton, Paul Éluard, Louis Aragon, Tristan Tzara, Jean Cocteau, Salvador Dali, Alberto Giacometti ... et de toutes leurs muses.
Chaque artiste prend vie sous la plume alerte et on a souvent le sentiment d'assister à ces moments qui furent sans doute exaltants, comme la présentation à André Gide par son ami Marc Allégret, une séance de spiritisme conduite par Breton, la vie entre Gala et Salvador Dali, les réflexions des poètes sur la mutation de l'amour fou en bûcher des supplices (p. 204), les confidences de Giacometti à propos de ses perpétuelles insatisfactions, la rencontre avec Pablo Neruda par l'entremise de Buñuel.
La scène d'introduction, décrivant la découverte de l'effroyable vision des pieds de son père inerte, pendu à une poutre du salon provoque d'emblée une pulsion d'empathie à l'égard du jeune garçon de quatorze ans qui a donc grandi entre un père dépressif et une mère toxique .... On apprendra effaré que le lycée sera sa seconde prison et qu'il subira le handicap (supplémentaire) du bégaiement. Tout cela expliquerait-il l'immense besoin d’amour et le mépris pour les conventions de ce jeune homme qui avait un coeur à aimer la terre entière (p. 16) ?
Les choses ne sont pas si simples puisque l'auteur, sans minimiser combien sa mère est odieuse, nous prévient que René avait fini par considérer la brutalité volcanique de sa mère comme un ingrédient indigeste de la vie; Rien de plus. Rien de moins. On s'habitue à tout. On finit par accepter la maltraitante comme un élément convenu du quotidien. On lui cherche des raisons, des excuses, on les trouve, quitte à endosser la responsabilité de faites que l'on n'a pas commises (p. 19).
Le titre, L'amour égorgé, nous est expliqué tardivement, alors que l'auteur retrace une des rencontres de René Crevel avec le sculpteur Giacometti (p. 219).
René Crevel a cru dans la capacité de changer l'art pour transformer la société en bousculant ses valeurs. Mais la tuberculose aura raison de son corps, jusqu'à provoquer un immense dégoût et éteindre la mosaïque de simulacres qui lui donnait l'impression d'exister Sa vie n'avait été qu'un mensonge de bonheur. Et pour peu que ses livres ne fussent pas réédités, on oublierait vite qu'il était écrivain et qu'on le disait poète (p. 228).
Patrice Trigano fait revivre pleinement cette épopée dramatique, parce qu'elle se termine brutalement alors que le poète n'est âgé que de trente-cinq ans, et s'achève sur ce mot magnifique tant célébré par Paul Eluard, qui le clôt en lettres majuscules, LIBERTE.
Patrice Trigano a fait des études de philosophie et de droit avant de consacrer sa vie à l’art. Il est galeriste à Paris. Il a déjà publié, La Canne de Saint Patrick (2010, Prix Drouot) et Le miroir à sons (2011) aux Éditions Léo Scheer et aux Éditions de La Différence : Une vie pour l’art (2006), À l’ombre des flammes. Dialogues sur la révolte (avec Alain Jouffroy, 2009), Rendez-vous à Zanzibar (correspondance avec Fernando Arrabal, 2010), L’Oreille de Lacan (2015). Suivent aux Éditions Maurice Nadeau, Artaud-Passion (2016) et au Mercure de France, Ubu-roi, merde ! (2018).
L'amour égorgé de Patrice Trigano, chez Maurice Nadeau, en librairie le 10 septembre 2020
Il s'agit de René Crevel (1900-1935) dont, à l'instar de Picasso qui ne cherchait pas à produire un portrait ressemblant de la femme qu’il aimait, Patrick Trigano n’a pas tenu à retracer les événements avec une exactitude absolue.
Il prévient d’avance le lecteur qui ne saurait rien donc lui reprocher : j'ai sacrifié l'exactitude sur l'autel de la vérité. La réalité voudra bien me le pardonner.
La confidence est à apprécier à la lumière de la citation du poète figurant page suivante : La mosaïque des simulacres ne tient pas.
De fait Patrice Trigano a composé une très riche biographie, admirablement documentée, qui se lit comme un roman historique sur l'histoire du mouvement surréaliste et ses implications politiques, philosophiques et même psychologiques. J'ignore quelle est la part de liberté dans l'écriture mais c'est peu dire que cette lecture est passionnante, et particulièrement à l’occasion du centenaire du surréalisme. On est au coeur du mouvement dont on redécouvre les principales facettes. A commencer par l'origine de son nom, Dada (p. 38). Le roman mérite d'être lu, relu, médité aussi.
La promesse des éditions Maurice Nadeau, est amplement tenue de faire revivre les moments d'exaltation, les sentiments de craintes, d'angoisses, les douleurs morales et physiques de René Crevel. De dresser une peinture des milieux intellectuels des années vingt et trente, alors que le fascisme était en embuscade, à travers des portraits saisissants des amis du poète : André Gide, Nancy Cunard, André Breton, Paul Éluard, Louis Aragon, Tristan Tzara, Jean Cocteau, Salvador Dali, Alberto Giacometti ... et de toutes leurs muses.
Chaque artiste prend vie sous la plume alerte et on a souvent le sentiment d'assister à ces moments qui furent sans doute exaltants, comme la présentation à André Gide par son ami Marc Allégret, une séance de spiritisme conduite par Breton, la vie entre Gala et Salvador Dali, les réflexions des poètes sur la mutation de l'amour fou en bûcher des supplices (p. 204), les confidences de Giacometti à propos de ses perpétuelles insatisfactions, la rencontre avec Pablo Neruda par l'entremise de Buñuel.
La scène d'introduction, décrivant la découverte de l'effroyable vision des pieds de son père inerte, pendu à une poutre du salon provoque d'emblée une pulsion d'empathie à l'égard du jeune garçon de quatorze ans qui a donc grandi entre un père dépressif et une mère toxique .... On apprendra effaré que le lycée sera sa seconde prison et qu'il subira le handicap (supplémentaire) du bégaiement. Tout cela expliquerait-il l'immense besoin d’amour et le mépris pour les conventions de ce jeune homme qui avait un coeur à aimer la terre entière (p. 16) ?
Les choses ne sont pas si simples puisque l'auteur, sans minimiser combien sa mère est odieuse, nous prévient que René avait fini par considérer la brutalité volcanique de sa mère comme un ingrédient indigeste de la vie; Rien de plus. Rien de moins. On s'habitue à tout. On finit par accepter la maltraitante comme un élément convenu du quotidien. On lui cherche des raisons, des excuses, on les trouve, quitte à endosser la responsabilité de faites que l'on n'a pas commises (p. 19).
Le titre, L'amour égorgé, nous est expliqué tardivement, alors que l'auteur retrace une des rencontres de René Crevel avec le sculpteur Giacometti (p. 219).
René Crevel a cru dans la capacité de changer l'art pour transformer la société en bousculant ses valeurs. Mais la tuberculose aura raison de son corps, jusqu'à provoquer un immense dégoût et éteindre la mosaïque de simulacres qui lui donnait l'impression d'exister Sa vie n'avait été qu'un mensonge de bonheur. Et pour peu que ses livres ne fussent pas réédités, on oublierait vite qu'il était écrivain et qu'on le disait poète (p. 228).
Patrice Trigano fait revivre pleinement cette épopée dramatique, parce qu'elle se termine brutalement alors que le poète n'est âgé que de trente-cinq ans, et s'achève sur ce mot magnifique tant célébré par Paul Eluard, qui le clôt en lettres majuscules, LIBERTE.
Patrice Trigano a fait des études de philosophie et de droit avant de consacrer sa vie à l’art. Il est galeriste à Paris. Il a déjà publié, La Canne de Saint Patrick (2010, Prix Drouot) et Le miroir à sons (2011) aux Éditions Léo Scheer et aux Éditions de La Différence : Une vie pour l’art (2006), À l’ombre des flammes. Dialogues sur la révolte (avec Alain Jouffroy, 2009), Rendez-vous à Zanzibar (correspondance avec Fernando Arrabal, 2010), L’Oreille de Lacan (2015). Suivent aux Éditions Maurice Nadeau, Artaud-Passion (2016) et au Mercure de France, Ubu-roi, merde ! (2018).
L'amour égorgé de Patrice Trigano, chez Maurice Nadeau, en librairie le 10 septembre 2020
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