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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

dimanche 14 janvier 2018

Patients de Grand Corps Malade

On pourrait s'attendre à ce que je parle du film. Je ne l'ai pas vu. Il n'était pas programmé près de chez moi. Plus exactement je n'en ai vu que la bande-annonce. Et j'ai retrouvé exactement l'atmosphère que j'ai imaginée en lisant le livre.

Car Patients fut d'abord un livre. Fabien Marsaud y offre un témoignage où les prénoms des protagonistes ont été changé pour préserver l'anonymat ... et éviter les ennuis.

On le connait sous son nom de scène, Grand Corps Malade, mais au moment de l'accident il était Fabien, un tout jeune homme d'à peine vingt ans qui se rêvait un avenir de basketteur plutôt légitime au regard de sa taille.

Je savais qu'il avait eu un accident en plongeant dans une piscine où il n'y avait pas suffisamment d'eau et qu'il s'était endommagé les vertèbres cervicales. Et qu'à force de volonté il avait réussi à remarcher après avoir connu un épisode tétraplégique.

J'avais découvert ses textes dès 2006, à la sortie de son premier album, Midi 20 (l'heure de son accident) et ces textes m'ont immédiatement parlé, quels que soient les sujets abordés, souvent des faits de société. Grand Corps Malade a le chic pour slammer haut et fort ce qu'on bougonne tout bas sans parvenir à trouver les mots pour exprimer notre rage, notre colère pu notre peine.

Il dénonce ce qui ne va pas et son nom de scène lui allait comme un gant, sorte de métaphore du mal être sociétal. Je n'avais pas noté qu'il n'abandonnait jamais sa béquille. Que d'aide temporaire elle est devenu outil définitivement indispensable.

Je viens de lire son livre et j'ai appris beaucoup de choses. D'abord que son accident, qu'il qualifie de très con, est très courant. C'est la deuxième cause de tétraplégie après les accidents de la route. Un tétra c'était pour moi un mec en fauteuil roulant qui ne peut pas marcher. J'étais loin de me douter de tous les inconvénients de cette situation, l'absence d'abdominaux qui empêche de pouvoir crier, l'impossibilité de maitriser ses sphincters, et beaucoup d'autres ennuis. Je ne me doutais pas que certains paraplégiques pouvaient avoir perdu la conscience des convenances sociales et du du paraître bien, ce qui se traduit par l'incapacité de censurer les injures.

Et pourtant je connaissais la vie d'une personne contrainte à la position couchée et dépendante des autres pour tout puisque j'avais lu (et beaucoup aimé) en 1997 Le scaphandre et le papillon, dans lequel Jean-Dominique Bauby raconte sa vie après son attaque cérébrale et son expérience du locked-in syndrome. Je me souvenais parfaitement de souffrances terribles quand un aide-soignant ouvre les rideaux et lui souhaite une bonne journée sans remarquer qu'un rayon de soleil va lui bruler la rétine et qu'il devra supporter la douleur jusqu'à l'arrivée de quelqu'un dans sa chambre puisqu'il est incapable de manipuler une sonnette. Je sais aussi combien l'escarre est une misère.

Fabien relate des anecdotes semblables. Comme lorsque son fauteuil roulant tombe en panne de batterie au milieu de sa chambre, à l'heure du déjeuner et qu'il ne peut rien faire, qu'attendre, en pensant à Michel Blanc coupé du monde sur le télésiège dans Les bronzés font du ski.

Attendre est un mot-clé, d'où le terme de patients avec toute la polysémie qu'il recèle. Pas facile de s'occuper, de niquer une heure comme l'écrit Fabien en reprenant l'expression de son pote Farid.

Il écrit sans tabou, sur les misères quotidiennes, comme sur les relations handicapés-soignants, et aussi sur la dépression et le suicide. Il raconte aussi de "vieilles" blagues témoignant d'un solide sens de l'humour et va jusqu'à relater des escapades dignes de collégiens (p. 110). Il appelle un chat un chat et un homme sur un fauteuil roulant un handicapé. Ce faisant il lui redonne sa dignité.

L'histoire de Fabien est en quelque sorte heureuse car un mois après l'accident il sent qu'il peut bouger un orteil, ce qui autorise le diagnostic de "tétraplégique incomplet", avec quelque espoir de récupération supplémentaire, sans savoir de quel ordre, car personne dans ce bateau ne sait quand le voyage s'arrêtera et jusqu'où il va nous mener (p. 73).

Il parvient à remarcher dans un délai inférieur à deux ans mais quinze ans plus tard il ne peut  toujours pas se passer de la béquille pour soutenir son coté gauche. Il a conservé des séquelles importantes, mais le combat de l'autonomie est gagné et c'est le respect qu'il a pour ceux qu'il a croisés et qui sont encore face au combat qu'il ne gagneront pas qu'il a voulu écrire le livre (il aura mis 15 ans avant de l'entreprendre), et plus tard le scénario d'un film, puis en fin de compte s'engager dans la réalisation.

Ce témoignage n'est pas une thérapie. On pourrait regretter, mais il n'est pas non plus une autobiographie (ni le film un biopic) sur Grand Corps Malade. Il ne dit pas pourquoi ni comment il est devenu l'artiste musicien que l'on connait. C'est à peine si de temps en temps il exprime son regret de ne plus faire de sport de haut niveau, même si la rééducation est une forme de sport.

On remarque une sensibilité à la musique, la façon dont il parle de Farid jouant de la guitare pour tromper l'ennui le dimanche, son admiration pour ce garçon n'ayant jamais étudié la musique et chantant juste a pu agir comme un modèle. Plus tard c'est Eddy, son nouveau compagnon de chambrée avec qui il partage le goût du rap.

Fabien Marsaud est devenu slameur et poète auteur-compositeur-interprète dès 2005. Il a proposé, entre autres, plusieurs représentations, seul face au public du Réservoir, assuré la première partie du concert de Cheb Mami sur le parvis du Stade de France et celle de Mouss et Hakim à la Boule Noire. L'année suivante, il publie son premier album, Midi 20, classé 10ᵉ sur 200 parmi les meilleures ventes d'albums. En 2008, il sort un nouvel album, Enfant de la ville. Ses mots sonnent juste, dans un français parfait et néanmoins accessible. Le succès a été immédiat, et mérité.

Je vous encourage autant à lire le livre qu'à voir le film. Le deux sont complémentaires. Ce qui est certain c'est que le film ne dessert pas le livre. Ils sont tous les deux de nature à changer notre regard sur la population en fauteuil et c'est important.

J'ai vu le film ensuite et je l'ai apprécié également.

Patients de Grand Corps Malade, chez Don Quichotte 18 octobre 2012

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