J'ai retrouvé le style qui m'avait surprise en 2015 dans Un hiver à Paris. C'était un livre très personnel où Jean-Philippe Blondel exploitait, de mon point de vue, le thème du malentendu dans l'atmosphère étouffante d'une classe préparatoire où s'était noué un drame que l'auteur exhumait.
L'écriture elle aussi est une mise à nu et l'auteur évoque avec finesse ce moment délicat où l’on commence à dresser le bilan de son existence tout en s’évertuant à poursuivre son chemin, avec la volonté de continuer à faire face. Le titre renvoie aussi au modèle qui se dénude devant le peintre et d'une certaine manière aussi à un genre pictural particulier, la mise au tombeau ... sans pour autant en avoir le coté tragique.
Louis Claret est un professeur vieillissant qui habite en province. Séparé de sa femme depuis quelques années, ses filles vivant désormais des vies très différentes de ce qu’il avait imaginé, il se laisse bercer par le quotidien. C’est sans réfléchir et pour remplir une soirée bien vide qu’il se rend au vernissage d’une exposition de peintures d’Alexandre Laudin - un ancien élève, jadis très effacé mais devenu une célébrité dans le monde artistique.
Le lecteur n'a pas idée de ce que pourraient bien se confier un ancien élève et son ex-professeur (p. 30). Les retrouvailles vont néanmoins bouleverser la vie de chacun des protagonistes.
Avec la toute première phrase du roman, je n'étais pas à ma place, Jean-Philippe Blondel exprime combien son personnage, Louis Claret, âgé de cinquante-huit ans, peut se trouver mal à l'aise dans un milieu qui n'est pas le sien. Par contre ce n'est pas nécessairement une vérité puisque le second personnage principal, le peintre Alexandre Laudin, qui est né et qui a grandi dans la même ville de province, ne ressent pas le même décalage. Il assume au contraire être resté un "indécrottable provincial" (p. 32).
Cela peut sembler anodin et pourtant non. J'entendais hier soir une jeune femme s'étonner de ce que les parisiens commencent toute conversation en racontant quelque chose du trajet emprunté pour arriver à destination. Elle faisait remarquer qu'il ne viendrait pas à l'idée d'un orléanais de dire qu'il avait hésité entre la rue Jeanne d'Arc et la rue Etienne Dolet pour se rendre chez des amis alors qu'elle aussi, depuis qu'elle habite Paris, explique qu'elle aurait eu plus vite fait de prendre à Montparnasse la ligne 6 plutôt que la ligne 4 pour aller à Denfert-Rochereau. Il y a le même nombre de stations mais on évite le long tapis roulant.
Elle énuméra ensuite tout ce que la vie en province a de différent de celle que l'on vit (subit ?) en région parisienne et je me suis dit que les différences de comportement devaient forcément impacter ensuite le bilan que l'on ferait de ses choix de vie.
La question des origines géographiques et sociales est une des interrogations fondamentales de l'auteur. Elle traverse son oeuvre (le terme me semble adéquat après une douzaine de romans). Les transplantations et les déambulations d'un endroit à un autre sont des figures qui m'apparaissent récurrentes. Peut-être faut-il avoir vécu en province pour mieux comprendre ses romans. C'est par chance mon cas.
La mise à nu est sans nul doute un texte à clés. Louis Claret exerce la même profession que l'auteur. Ils sont tous deux professeurs d'anglais. Comme je l'ai souligné, le lien de "parenté" avec Un hiver à Paris me parait évident. Mais il s'en dégage une certaine paix qui ne pouvait pas être présente dans le précédent.
Louis Claret est un homme qui se laisse dériver et que rien jamais ne touche plus (p.34). Séparation, déménagement, éloignement de ses filles, enchainement d'années que rien ne différencie ... il va pourtant se mettre à l'écriture manuscrite pour composer des tableaux de souvenirs qui nous sont donnés à lire en parallèle de l'avancée de ceux que le peintre va faire de son corps. En effet le temps de la pose agit comme une pause et fait resurgir des images du passé.
Par exemple l'instant du suicide d'Arnaud, qui meurt de la même manière que Mathieu dans Un hiver à Paris. Dans ce livre un faux père et un faux fils avaient besoin l'un de l'autre pour passer une épreuve. Ici encore ce sont deux hommes dont l'un pourrait être le père de l'autre et qui ont entretenu des rapports de cet ordre pendant des années.
On retrouve aussi les petites vexations, qui sont autant de micro humiliations qui à la longue pourrissent la scolarité d'un élève (p. 90) qui ne parvient pas à s'intégrer dans une bande de potes, la référence au chouchou (p. 181). Et puis l'allusion à d'autres tentatives de suicides, celles du fils de son copain Damien.
On se laisse happer par l'espèce de course artificielle qu'on monte nous-mêmes de toutes pièces pour nous donner l'illusion d'appartenir à l'humanité (au lieu de) réfléchir à qui on est vraiment et à ce qu'on souhaite, au fond, dira ce même Damien (p. 105). Plus tard Anne, l'ex-épouse, semble dans le même état d'esprit, prise dans le filet des tâches quotidiennes, s'inscrivant à des activités pour tenter de se distraire de l'idée qu'elle sera bientôt à la retraite (...) alors que le temps devant elle la terrifie. (p. 206) ...
... tandis que Louis s'apercevoit que malgré la séparation on est indéfectiblement lié à l'autre avec qui on a eu deux enfants (p. 201).
Le roman nous plonge dans une atmosphère en demi-teinte, traversé de fulgurances vives comme les couleurs qu'Alexandre pose sur ses toiles, permettant à Louis de se libérer de souvenirs qui le mettent à nu sans le terrasser.
Avec la toute première phrase du roman, je n'étais pas à ma place, Jean-Philippe Blondel exprime combien son personnage, Louis Claret, âgé de cinquante-huit ans, peut se trouver mal à l'aise dans un milieu qui n'est pas le sien. Par contre ce n'est pas nécessairement une vérité puisque le second personnage principal, le peintre Alexandre Laudin, qui est né et qui a grandi dans la même ville de province, ne ressent pas le même décalage. Il assume au contraire être resté un "indécrottable provincial" (p. 32).
Cela peut sembler anodin et pourtant non. J'entendais hier soir une jeune femme s'étonner de ce que les parisiens commencent toute conversation en racontant quelque chose du trajet emprunté pour arriver à destination. Elle faisait remarquer qu'il ne viendrait pas à l'idée d'un orléanais de dire qu'il avait hésité entre la rue Jeanne d'Arc et la rue Etienne Dolet pour se rendre chez des amis alors qu'elle aussi, depuis qu'elle habite Paris, explique qu'elle aurait eu plus vite fait de prendre à Montparnasse la ligne 6 plutôt que la ligne 4 pour aller à Denfert-Rochereau. Il y a le même nombre de stations mais on évite le long tapis roulant.
Elle énuméra ensuite tout ce que la vie en province a de différent de celle que l'on vit (subit ?) en région parisienne et je me suis dit que les différences de comportement devaient forcément impacter ensuite le bilan que l'on ferait de ses choix de vie.
La question des origines géographiques et sociales est une des interrogations fondamentales de l'auteur. Elle traverse son oeuvre (le terme me semble adéquat après une douzaine de romans). Les transplantations et les déambulations d'un endroit à un autre sont des figures qui m'apparaissent récurrentes. Peut-être faut-il avoir vécu en province pour mieux comprendre ses romans. C'est par chance mon cas.
La mise à nu est sans nul doute un texte à clés. Louis Claret exerce la même profession que l'auteur. Ils sont tous deux professeurs d'anglais. Comme je l'ai souligné, le lien de "parenté" avec Un hiver à Paris me parait évident. Mais il s'en dégage une certaine paix qui ne pouvait pas être présente dans le précédent.
Louis Claret est un homme qui se laisse dériver et que rien jamais ne touche plus (p.34). Séparation, déménagement, éloignement de ses filles, enchainement d'années que rien ne différencie ... il va pourtant se mettre à l'écriture manuscrite pour composer des tableaux de souvenirs qui nous sont donnés à lire en parallèle de l'avancée de ceux que le peintre va faire de son corps. En effet le temps de la pose agit comme une pause et fait resurgir des images du passé.
Par exemple l'instant du suicide d'Arnaud, qui meurt de la même manière que Mathieu dans Un hiver à Paris. Dans ce livre un faux père et un faux fils avaient besoin l'un de l'autre pour passer une épreuve. Ici encore ce sont deux hommes dont l'un pourrait être le père de l'autre et qui ont entretenu des rapports de cet ordre pendant des années.
On retrouve aussi les petites vexations, qui sont autant de micro humiliations qui à la longue pourrissent la scolarité d'un élève (p. 90) qui ne parvient pas à s'intégrer dans une bande de potes, la référence au chouchou (p. 181). Et puis l'allusion à d'autres tentatives de suicides, celles du fils de son copain Damien.
On se laisse happer par l'espèce de course artificielle qu'on monte nous-mêmes de toutes pièces pour nous donner l'illusion d'appartenir à l'humanité (au lieu de) réfléchir à qui on est vraiment et à ce qu'on souhaite, au fond, dira ce même Damien (p. 105). Plus tard Anne, l'ex-épouse, semble dans le même état d'esprit, prise dans le filet des tâches quotidiennes, s'inscrivant à des activités pour tenter de se distraire de l'idée qu'elle sera bientôt à la retraite (...) alors que le temps devant elle la terrifie. (p. 206) ...
... tandis que Louis s'apercevoit que malgré la séparation on est indéfectiblement lié à l'autre avec qui on a eu deux enfants (p. 201).
Le roman nous plonge dans une atmosphère en demi-teinte, traversé de fulgurances vives comme les couleurs qu'Alexandre pose sur ses toiles, permettant à Louis de se libérer de souvenirs qui le mettent à nu sans le terrasser.
La mise à nu de Jean-Philippe Blondel, chez Buchet-Chastel, en librairie depuis le 4 janvier 2018
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