L'activité du Théâtre de Poche est intense dans les deux salles. Sans compter le bar où on peut se rassasier à moindre frais. Les réjouissances commencent avant l'heure. Je me promets régulièrement de tirer un coup de chapeau aux ouvreuses. Je le fais ce soir en citant Clémence.
Vous la reconnaîtrez facilement, il suffit de penser à Julia Roberts. Et surtout à sa gentillesse et à sa manière toute personnelle de lancer le spectacle. Une parole bien choisie, une formulation différente à chaque fois pour nous rappeler efficacement de mettre nos téléphones en mode avion. Et surtout ce mot disant qu'on fait bien d’être là, chez des amis.
Je connais L'histoire du soldat aménagée à partir d'un conte populaire russe d’Afanassiev par Ramuz en 1918 sur une musique de Stravinsky. J'avais adoré la mise en scène qu'Omar Porras en avait faite et son parti pris de l'ancrer dans le fantastique. La version mise en scène par Stéphan Druet fut un succès la saison dernière au Poche. Je me suis donc décidée à venir le voir. Mon avis est partagé.
Les sept musiciens, le chef d'orchestre et le soldat entrent à jardin par la porte des décors et font une arrivée pimpante. Ce début donne le rythme. La toile de fond peinte par Laurence Bost permet de suggérer une campagne sans prendre de place sur l'étroit plateau.
Le parti pris retenu par Stéphan Druet est ancré dans le conte, que je connais bien, avec un récitant (Claude Aufaure), installé sobrement à cour près d'une table, qui scande les mots en les faisant sonner comme une litanie et qui maintient le spectateur à distance, une toile de fonds simple évocatrice d’un ciel d’automne au-dessus d’une campagne marquée par les privations que toutes les guerres imposent à une population.
Les costumes conçus par Michel Dussarat sont réalistes et élégants. La couleur écarlate est bien celle que les soldats portait à cette période de la Première Guerre mondiale. Mais ils sont si éclatants de propreté qu’on ne croit pas un instant que ce pauvre garçon revient de guerre. On pourra estimer que je pinaille mais ça me dérange de voir ses bottes briller comme si elles avaient appartenu à un porte drapeau défilant à la gloire de la patrie. Le doute n’est pas possible. On nous raconte un rêve ... ou un cauchemar.
Quoiqu'il en soit Joseph revient pour une permission de quinze jours dans son village. Il les mérite mais avant d’y parvenir il lui faut marcher, marcher, en tenant le rythme du pas cadencé. Il faut faire un effort d’imagination pour le voir épuisé au bord d’un ruisseau. Sans doute va-t-il s’y assoupir. A moins qu’un malaise ne l’y fasse choir et lui fasse voir une nuée de papillons poursuivis par un étrange personnage (Licinio Da Silva) un peu clownesque, le diable personnifié, mais si policé, si baratineur, qu’on se laisserait nous aussi manipuler.
Le diable, puisque c’est lui, ne veut qu’une chose, le petit violon de Joseph qu’il va chercher à se faire donner. Ça ne marche pas. Il tente de l’acheter contre monnaie sonnante et trébuchante, sans davantage de succès, mais l’échange convainc le jeune homme ... parce qu’il a faim, soif, besoin de repos. Il accepte le petit détour, puisque c'est dans la perspective de devenir riche pour toujours, comme le lui promet ce livre qui "dit les choses avant le temps".
Il va rogner sur son crédit de congé, perdre deux jours et au matin du troisième il s’envole dans une calèche qui le transporte dans les airs. Qui connaît l’univers fantastique des contes d’initiation appréciera cette référence comme plus tard la rencontre avec une Dame blanche.
On a compris depuis longtemps que Joseph ne s’est pas réveillé de son malaise au bord de l’eau. La vie ne s’est pas arrêtée au village où tous ceux qu’il connaît poursuivent leurs activités sans lui accorder la moindre importance.
Son ancienne fiancée est mariée et a déjà deux enfants, bougre de brigand. Seul le diable l’attend. Le récitant, formidable, lit dans les pensées de Joseph qu’il anticipe, permettant au spectateur d'entrer dans le cerveau du soldat et de partager sa perception (erronée) de la réalité.
Nous sommes un soir de mai. Acceptons d’entendre les chants des merles (comme dans le Temps des cerises). On veille, on fait son petit métier, les mots dansent une musique. Le diable est encore là, plus démon que jamais. Son costume noir est maintenant rouge vif. Il ouvre le sac à dos du soldat et en extirpe le petit violon, qui bien sûr ne produit plus un son, et un portait, ... qui est celui de sa belle d’autrefois. La rage de Joseph est violente. le violon désormais muet est fracassé, le livre déchiré.
Les musiciens reprennent la marche militaire. Le chef d’orchestre dirige musiciens et récitant. Le vieil homme a des sanglots dans la voix en nous rappelant que le petit soldat a beaucoup marché. Il est sa conscience, tentant de le mettre en garde. Mais Joseph se voit (toujours) en gagnant et se lance dans une partie de cartes superbement mimée que le diable finit par emporter. Tout va par trois. Toujours. Les musiciens, compatissants, soupirent.
Le récitant prête cette fois sa voix à la jeune femme : raconte moi un peu de toi. On voit Joseph et sa fiancée main dans la main comme des mariés. Elle danse une chorégraphie hybride avec des pas classiques et des gestes appartenant au répertoire très contemporain initié par Magguy Marin qu plait beaucoup au public.
On n’a pas le droit de tout avoir, c’est défendu. La princesse disparaît, dans une lumière rouge, emportée à jardin par le diable par cette même porte d’où le soldat était entré sur scène.
On ne peut pas à la fois être qui on est et qui on était. La révolte est inutile. Fin de la musique, fin de l’histoire.
Si j'écrivais que mon avis était partagé c'est parce que la scénographie hésite entre réalisme et suggestion. Paradoxalement c’est le personnage le plus imaginaire, le diable, qui a sur scène la plus forte présence. Certains moments sont très réussis. D'autres sont maladroits. Ainsi même si la danseuse est une professionnelle accomplie l’anachronisme de la chorégraphie ne passe pas davantage que si le violon devenait soudain une guitare électrique. J'ai été aussi gênée de découvrir un instrument qui est un jouet. Et le soldat pourrait porter un bandeau qui évoquerait une blessure à la tête. Il est difficile de croire qu'il revient de guerre.
C'est néanmoins un spectacle très intéressant qui soulève beaucoup de questions sur le contexte historique, la vie de ces hommes ravie par le pouvoir politique (le diable) en échange de promesses d'honneur, de gloire, de patriotisme. Les musiciens sont davantage que des interprètes. Ils sont aussi comédiens.
Quant à la morale du conte, que l'on ne peut évidemment pas reprocher au metteur en scène, on peut regretter le propos qui est très restrictif pour le peuple qui n'aurait pas le droit de tout avoir. Sinon, sur le plan de la forme le spectacle s'adresse aussi bien aux adultes qu'aux enfants.
Histoire du soldatLe parti pris retenu par Stéphan Druet est ancré dans le conte, que je connais bien, avec un récitant (Claude Aufaure), installé sobrement à cour près d'une table, qui scande les mots en les faisant sonner comme une litanie et qui maintient le spectateur à distance, une toile de fonds simple évocatrice d’un ciel d’automne au-dessus d’une campagne marquée par les privations que toutes les guerres imposent à une population.
Les costumes conçus par Michel Dussarat sont réalistes et élégants. La couleur écarlate est bien celle que les soldats portait à cette période de la Première Guerre mondiale. Mais ils sont si éclatants de propreté qu’on ne croit pas un instant que ce pauvre garçon revient de guerre. On pourra estimer que je pinaille mais ça me dérange de voir ses bottes briller comme si elles avaient appartenu à un porte drapeau défilant à la gloire de la patrie. Le doute n’est pas possible. On nous raconte un rêve ... ou un cauchemar.
Quoiqu'il en soit Joseph revient pour une permission de quinze jours dans son village. Il les mérite mais avant d’y parvenir il lui faut marcher, marcher, en tenant le rythme du pas cadencé. Il faut faire un effort d’imagination pour le voir épuisé au bord d’un ruisseau. Sans doute va-t-il s’y assoupir. A moins qu’un malaise ne l’y fasse choir et lui fasse voir une nuée de papillons poursuivis par un étrange personnage (Licinio Da Silva) un peu clownesque, le diable personnifié, mais si policé, si baratineur, qu’on se laisserait nous aussi manipuler.
Le diable, puisque c’est lui, ne veut qu’une chose, le petit violon de Joseph qu’il va chercher à se faire donner. Ça ne marche pas. Il tente de l’acheter contre monnaie sonnante et trébuchante, sans davantage de succès, mais l’échange convainc le jeune homme ... parce qu’il a faim, soif, besoin de repos. Il accepte le petit détour, puisque c'est dans la perspective de devenir riche pour toujours, comme le lui promet ce livre qui "dit les choses avant le temps".
Il va rogner sur son crédit de congé, perdre deux jours et au matin du troisième il s’envole dans une calèche qui le transporte dans les airs. Qui connaît l’univers fantastique des contes d’initiation appréciera cette référence comme plus tard la rencontre avec une Dame blanche.
On a compris depuis longtemps que Joseph ne s’est pas réveillé de son malaise au bord de l’eau. La vie ne s’est pas arrêtée au village où tous ceux qu’il connaît poursuivent leurs activités sans lui accorder la moindre importance.
Son ancienne fiancée est mariée et a déjà deux enfants, bougre de brigand. Seul le diable l’attend. Le récitant, formidable, lit dans les pensées de Joseph qu’il anticipe, permettant au spectateur d'entrer dans le cerveau du soldat et de partager sa perception (erronée) de la réalité.
Nous sommes un soir de mai. Acceptons d’entendre les chants des merles (comme dans le Temps des cerises). On veille, on fait son petit métier, les mots dansent une musique. Le diable est encore là, plus démon que jamais. Son costume noir est maintenant rouge vif. Il ouvre le sac à dos du soldat et en extirpe le petit violon, qui bien sûr ne produit plus un son, et un portait, ... qui est celui de sa belle d’autrefois. La rage de Joseph est violente. le violon désormais muet est fracassé, le livre déchiré.
Les musiciens reprennent la marche militaire. Le chef d’orchestre dirige musiciens et récitant. Le vieil homme a des sanglots dans la voix en nous rappelant que le petit soldat a beaucoup marché. Il est sa conscience, tentant de le mettre en garde. Mais Joseph se voit (toujours) en gagnant et se lance dans une partie de cartes superbement mimée que le diable finit par emporter. Tout va par trois. Toujours. Les musiciens, compatissants, soupirent.
Le récitant prête cette fois sa voix à la jeune femme : raconte moi un peu de toi. On voit Joseph et sa fiancée main dans la main comme des mariés. Elle danse une chorégraphie hybride avec des pas classiques et des gestes appartenant au répertoire très contemporain initié par Magguy Marin qu plait beaucoup au public.
On n’a pas le droit de tout avoir, c’est défendu. La princesse disparaît, dans une lumière rouge, emportée à jardin par le diable par cette même porte d’où le soldat était entré sur scène.
On ne peut pas à la fois être qui on est et qui on était. La révolte est inutile. Fin de la musique, fin de l’histoire.
Si j'écrivais que mon avis était partagé c'est parce que la scénographie hésite entre réalisme et suggestion. Paradoxalement c’est le personnage le plus imaginaire, le diable, qui a sur scène la plus forte présence. Certains moments sont très réussis. D'autres sont maladroits. Ainsi même si la danseuse est une professionnelle accomplie l’anachronisme de la chorégraphie ne passe pas davantage que si le violon devenait soudain une guitare électrique. J'ai été aussi gênée de découvrir un instrument qui est un jouet. Et le soldat pourrait porter un bandeau qui évoquerait une blessure à la tête. Il est difficile de croire qu'il revient de guerre.
C'est néanmoins un spectacle très intéressant qui soulève beaucoup de questions sur le contexte historique, la vie de ces hommes ravie par le pouvoir politique (le diable) en échange de promesses d'honneur, de gloire, de patriotisme. Les musiciens sont davantage que des interprètes. Ils sont aussi comédiens.
Quant à la morale du conte, que l'on ne peut évidemment pas reprocher au metteur en scène, on peut regretter le propos qui est très restrictif pour le peuple qui n'aurait pas le droit de tout avoir. Sinon, sur le plan de la forme le spectacle s'adresse aussi bien aux adultes qu'aux enfants.
De Ramuz et Stravinsky
Mis en scène par Stéphan Druet
Avec Claude Aufaure - Le Lecteur
Julien Alluguette - Le Soldat
Licinio Da Silva - Le Diable
Aurélie Loussouarn / Malou Utrecht (en alternance) - La Princesse
Olivier Dejours / Loïc Olivier - Chefs d'orchestre en alternance
Et les musiciens de l’Orchestre-Atelier Ostinato : Thomas Cardineau / Gabriele Slizyte / Cécile Subirana, Alice Barbier / Victor Robin / Robin Seleskovitch, Seung-Hwan Lee / Hélène Richard / Juncal Salada Codina, Adrien Goldschmidt / Valentin Neumann, Antoine Lory / Luce Perret / Victor Rosi, Valentin Moulin / Hugo Dubois / Yvan Ferre, Quentin Broyart / Florie Fazio / Pierre Fourre
Du 4 janvier au 14 mars 2018
Du mardi au samedi 19h, dimanche 17h30
Au Théâtre de Poche Montparnasse
75 Boulevard du Montparnasse, 75006 Paris - 01 45 44 50 21
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