Je suis allée voir Les Reines à la Manufacture des oeillets, un lieu au passé industriel, réhabilité en espace culturel, pour le Théâtre des Quartiers d’Ivry, qui convient très bien à la création et qui n'est pas encore très connu parce que son ouverture est récente (décembre 2016). Ensuite parce que c'est en banlieue, proche, mais en banlieue tout de même et que le public est un peu frileux pour se déplacer, ce que je regrette infiniment, d'autant que c'est tout à fait accessible en métro.
Le nom m'évoque la Révolution des oeillets, mais cela n'a rien à voir ... quoique le spectacle des Reines se situe en pleine guerre civile des Deux-Roses qui déchire l’Angleterre depuis 1455.
Ce qui était fabriqué ici c'était des oeillets ... métalliques, ceux qui consolident les trous pratiqués dans du tissu ou du cuir, pour y faire passer un lacet, un cordage (mot prohibé au théâtre). Et il faut se réjouir que le Théâtre des Quartiers d’Ivry dispose enfin d’un lieu autonome où regrouper toutes ses activités de création et de production, de formation professionnelle et amateur, et de rencontres.
Ce qui était fabriqué ici c'était des oeillets ... métalliques, ceux qui consolident les trous pratiqués dans du tissu ou du cuir, pour y faire passer un lacet, un cordage (mot prohibé au théâtre). Et il faut se réjouir que le Théâtre des Quartiers d’Ivry dispose enfin d’un lieu autonome où regrouper toutes ses activités de création et de production, de formation professionnelle et amateur, et de rencontres.
On entre dans la vaste Halle dotée d’un bar et d’une librairie, destinée à l’accueil du public, où pourront avoir lieu des rencontres, débats, cafés philosophiques et littéraires. On accède par un escalier à la Fabrique, qui est la grande salle de 400 places (mais il existe aussi Le Lanterneau, d’une centaine de places) surmontée de coursives qu'Elisabeth Chailloux a judicieusement exploitées.
Elle s'est entourée de fidèles collaborateurs comme Yves Collet, artiste associé au Théâtre des Quartiers d’Ivry depuis de nombreuses années, qui signe également la création graphique du théâtre, comme Dominique Rocher, et, il faut lui rendre hommage, Adel Hakim qui a pu participer à sa dernière collaboration artistique. Le co-directeur nous a quittés à la fin du mois d'Août 2017.
On nous dit que la scène se passe à Londres le 20 janvier 1483 mais ce que la metteuse en scène nous propose est résolument (et heureusement) contemporain. D'abord par un texte écrit en 1991 par Normand Chaurette à partir de Richard III et qui l'a conçu uniquement pour des femmes. Né en 1954 à Montréal, cet auteur, également romancier, connu pour ses traductions de Shakespeare, a fourni une des plus fortes et des plus singulières oeuvres de la dramaturgie québécoise.
Ensuite par la scénographie qui suggère très bien les souterrains d'un donjon et une brume qui d'emblée fait penser à la capitale anglaise, ce que renforce le souffle d'un vent qui ne cesse jamais. Elle s'inscrit dans la tradition du théâtre dit élisabéthain en vogue du temps de Shakespeare avec une scène centrale entre deux rangées de spectateurs. Yves Collet a choisi aussi des douches de lumière pour diriger le regard du spectateur. Même les saluts sont savamment orchestrés, faisant apparaitre chaque femme dans une découpe qui fait penser aux globes de verre d'un cabinet de curiosités.
Les costumes de Dominique Rocher sont situés entre le XV° par la présence de corsets, et surtout de fraises, mais ne dénotent pas à notre époque. Elle a dessiné de longues manches pour couvrir les mains coupées d'Anne Dexter (Bénédicte Choisnet) et lui donner une allure d'oiseau lorsqu'elle s'élance en patins à roulettes.
Il n'y a pas de décor à proprement parler et le dépouillement témoigne de la précarité du statut de reine. Certaines en portent le titre sans en avoir la couronne. Quelques objets seront utilisés, avec une forte symbolique. Un globe terrestre représentera les voyages et l'impossible retour en Anjou de Marguerite (Laurence Roy). Un fauteuil symbolise le trône sur lequel la Duchesse d'York (Sophie Daull) aura régné l'espace de dix secondes. Il sera renversé rageusement par Anne Warwick (Marion Malenfant) à l'annonce officielle de la mort du roi. Elisabeth (Anne Le Guernec) portera un diadème quelques minutes. Isabelle Warwick (Pauline Huruguen) arrivera sur scène encombrée de deux bocaux de verre transparent, comme ceux qu'un museum emploie pour conserver des animaux dans le formol, mais ici gigantesques pour contenir les deux enfants d'Elisabeth assassinés par leur oncle Richard. Anne Dexter et Anne Warwick auront auparavant fait leur entrée sur scène chaussées de patins à roulettes.
Certains détails agaceront. Je les ai appréciés. Pour leur décalage et leur pertinence qui nous fait réfléchir sur les résonances que cette pièce peut avoir à notre époque qui, à sa manière connait une certaine forme d'épouvante, même si elle diffère de celle qui règne sur le palais londonien.
Le propos est dur. Les empoignades s'enchainent sans concession. Mais le traitement n'exclut pas l'humour et là encore on peut louer le parti-pris choisi par Elisabeth Chailloux de faire émerger le comique. Comme faire résonner jusqu'à l'obsession le God Save the Queen systématiquement après le mot "reine" ou songer à une chansons de Catherine Ringer des années 80 pour ouvrir en quelque sorte le bal alors que les deux Anne patinent. Egalement ce clin d'oeil d'Isabelle au public quand elle soupçonne que des oreilles les regardent et des yeux les écoutent.
Le second degré affleure avec bonheur. Il faut entendre avec attention Marguerite décrire la mort. Et goûter le moment de tendresse que la muette Anne Dexter partage (enfin) avec sa mère en recouvrant la parole. C'est que les six comédiennes sont de sensibles et flamboyantes interprètes d'un texte magnifique.
Et que les images qui nous sont proposées sont d'une cruelle beauté.
Pendant que le roi Édouard agonise, six femmes s’agitent et s’affolent, qui toutes convoitent le trône d’Angleterre : la reine Elisabeth, les soeurs Anne et Isabelle Warwick, la reine Marguerite, Anne Dexter et la vieille duchesse d’York âgée de quatre-vingt-dix-neuf ans qui s'acharne à vivre. Immortalisées par Shakespeare, ces reines, triviales et somptueuses, se réincarnent pour perpétuer toute la déraison et la cruauté de leurs exigences tragiques.
Puisque comme le déplore l'une d'elles : notre vie sur la terre est un mensonge, lambeaux que nous sommes.
Il ne faut pas passer à coté d'elles car elles sont bien vivantes !
Les Reines de Normand ChauretteElle s'est entourée de fidèles collaborateurs comme Yves Collet, artiste associé au Théâtre des Quartiers d’Ivry depuis de nombreuses années, qui signe également la création graphique du théâtre, comme Dominique Rocher, et, il faut lui rendre hommage, Adel Hakim qui a pu participer à sa dernière collaboration artistique. Le co-directeur nous a quittés à la fin du mois d'Août 2017.
On nous dit que la scène se passe à Londres le 20 janvier 1483 mais ce que la metteuse en scène nous propose est résolument (et heureusement) contemporain. D'abord par un texte écrit en 1991 par Normand Chaurette à partir de Richard III et qui l'a conçu uniquement pour des femmes. Né en 1954 à Montréal, cet auteur, également romancier, connu pour ses traductions de Shakespeare, a fourni une des plus fortes et des plus singulières oeuvres de la dramaturgie québécoise.
Ensuite par la scénographie qui suggère très bien les souterrains d'un donjon et une brume qui d'emblée fait penser à la capitale anglaise, ce que renforce le souffle d'un vent qui ne cesse jamais. Elle s'inscrit dans la tradition du théâtre dit élisabéthain en vogue du temps de Shakespeare avec une scène centrale entre deux rangées de spectateurs. Yves Collet a choisi aussi des douches de lumière pour diriger le regard du spectateur. Même les saluts sont savamment orchestrés, faisant apparaitre chaque femme dans une découpe qui fait penser aux globes de verre d'un cabinet de curiosités.
Les costumes de Dominique Rocher sont situés entre le XV° par la présence de corsets, et surtout de fraises, mais ne dénotent pas à notre époque. Elle a dessiné de longues manches pour couvrir les mains coupées d'Anne Dexter (Bénédicte Choisnet) et lui donner une allure d'oiseau lorsqu'elle s'élance en patins à roulettes.
Il n'y a pas de décor à proprement parler et le dépouillement témoigne de la précarité du statut de reine. Certaines en portent le titre sans en avoir la couronne. Quelques objets seront utilisés, avec une forte symbolique. Un globe terrestre représentera les voyages et l'impossible retour en Anjou de Marguerite (Laurence Roy). Un fauteuil symbolise le trône sur lequel la Duchesse d'York (Sophie Daull) aura régné l'espace de dix secondes. Il sera renversé rageusement par Anne Warwick (Marion Malenfant) à l'annonce officielle de la mort du roi. Elisabeth (Anne Le Guernec) portera un diadème quelques minutes. Isabelle Warwick (Pauline Huruguen) arrivera sur scène encombrée de deux bocaux de verre transparent, comme ceux qu'un museum emploie pour conserver des animaux dans le formol, mais ici gigantesques pour contenir les deux enfants d'Elisabeth assassinés par leur oncle Richard. Anne Dexter et Anne Warwick auront auparavant fait leur entrée sur scène chaussées de patins à roulettes.
Certains détails agaceront. Je les ai appréciés. Pour leur décalage et leur pertinence qui nous fait réfléchir sur les résonances que cette pièce peut avoir à notre époque qui, à sa manière connait une certaine forme d'épouvante, même si elle diffère de celle qui règne sur le palais londonien.
Le propos est dur. Les empoignades s'enchainent sans concession. Mais le traitement n'exclut pas l'humour et là encore on peut louer le parti-pris choisi par Elisabeth Chailloux de faire émerger le comique. Comme faire résonner jusqu'à l'obsession le God Save the Queen systématiquement après le mot "reine" ou songer à une chansons de Catherine Ringer des années 80 pour ouvrir en quelque sorte le bal alors que les deux Anne patinent. Egalement ce clin d'oeil d'Isabelle au public quand elle soupçonne que des oreilles les regardent et des yeux les écoutent.
Le second degré affleure avec bonheur. Il faut entendre avec attention Marguerite décrire la mort. Et goûter le moment de tendresse que la muette Anne Dexter partage (enfin) avec sa mère en recouvrant la parole. C'est que les six comédiennes sont de sensibles et flamboyantes interprètes d'un texte magnifique.
Et que les images qui nous sont proposées sont d'une cruelle beauté.
Pendant que le roi Édouard agonise, six femmes s’agitent et s’affolent, qui toutes convoitent le trône d’Angleterre : la reine Elisabeth, les soeurs Anne et Isabelle Warwick, la reine Marguerite, Anne Dexter et la vieille duchesse d’York âgée de quatre-vingt-dix-neuf ans qui s'acharne à vivre. Immortalisées par Shakespeare, ces reines, triviales et somptueuses, se réincarnent pour perpétuer toute la déraison et la cruauté de leurs exigences tragiques.
Puisque comme le déplore l'une d'elles : notre vie sur la terre est un mensonge, lambeaux que nous sommes.
Il ne faut pas passer à coté d'elles car elles sont bien vivantes !
Mise en scène Elisabeth Chailloux
Collaboration artistique Adel Hakim
Scénographie et lumières Yves Collet
Costumes Dominique Rocher
Son Philippe Miller
Vidéo Michaël Dusautoy
Maquillage Nathy Polak
Marionnettes Einat Landais
Manufacture des Oeillets -Théâtre des Quartiers d'Ivry
Place Pierre-Gosnat, Ivry-sur-Seine (94). Tél : 01 43 90 11 11
Jusqu’au lundi 29 janvier à 20 h, samedis à 18 h, dimanche à 16 h
avec Bénédicte Choisnet (Anne Dexter), Sophie Daull (La duchesse d’York), Pauline Huruguen (Isabelle Warwick), Anne Le Guernec (la reine Elisabeth), Marion Malenfant (Anne Warwick) et Laurence Roy (la reine Marguerite)
Les Reines de Normand Chaurette ont été publiées aux Editions Léméac/Acte Sud-Papiers
La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de Nabil Boutros
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